« J'avais dit que je serais là avant de voir le titre ; je n'avais pas réfléchi à ce que ça voulait dire de parler de soi en tant que "femme chimiotée" ! » D'entrée de jeu, c'est avec beaucoup de vérité et d'humanité que Anne Patault aborde le sujet.

Après la projection du film réalisé par Karine Nicolleau et l'association Yadlavie, ce sont trois Belles Combattantes qui ont accepté de témoigner de leur propre expérience de femmes atteintes d'un cancer du sein sous le titre un peu cru de "femme chimiotée, femme envers et contre tout".

Un moment de forte émotion, sans non-dit, pour parler de ce qui fait peur à tou-te-s : la maladie.

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Elles ont dit leur sentiment, parfois face aux médecins, de n'être « qu'un symptôme » et plus une « femme-sujet » rattrapée par la maladie ; elles ont parlé de leurs proches et de l'importance de se sentir entourée, de cette mère prête à tout pour soutenir sa fille et de ce petit garçon à qui on ne pouvait pas cacher la vérité ; elles ont évoqué les milieux professionnels pas toujours tendres et ces places parfois occupées par d'autres au moment de reprendre une activité... C'est en toute vérité que Anne Patault, vice-présidente de la Région Bretagne, Maryse Thaëron, déléguées syndicale à la SNCF, et Sonia Rostagni, comédienne et autrice, se sont dévoilées.

La soirée avait lieu en marge de l'exposition éponyme et dans le cadre des journées du mois de mars de Rennes Métropole.

Extraits de leurs témoignages.

 

« J'avais peur de vieillir, maintenant j'essaie de me projeter en vieille dame, et ça me fait plaisir »

Anne Patault a connu deux fois la maladie. La deuxième fois, elle était déjà élue et a dû gérer aussi sa place de femme publique pour qui l'image est importante.

Anne« La deuxième fois ce n'est pas plus dur, c'est plus cruel. Evidemment, la maladie n'est jamais une chance, mais je m'estime tout de même chanceuse par rapport à toutes celles qui n'en sont pas revenues. A une certaine époque, j'avais peur de vieillir ; maintenant, j'espère vieillir ! Et du coup, je vieillis avec bonheur. J'essaie de me projeter en vieille dame et ça me fait plaisir ! (...)

Je ne sais pas si la maladie m'a changée mais ça m'a donné des orientations de vie un peu différentes. J'étais assez indolente par rapport à la vie, je laissais le temps filer. La principale leçon de cette maladie, de toutes les maladies en général, c'est la notion du temps écoulé. Je suis beaucoup plus dans l'instant en me disant "la vie, c'est maintenant". Et en même temps, j'ai une certaine impatience, l'envie de voir le bout de l'histoire. Je suis devenue une fonceuse ! (...)

C'était peut-être le plus douloureux : ma mère commençait une maladie d'Alzheimer et c'était terrible, je devais lui annoncer à chaque fois que j'étais malade et elle oubliait aussitôt. (...)

Mon environnement a été à l'exact endroit, ni trop envahissant, ni trop dans la compassion. Mais j'ai le sentiment quand même que dans la maladie on est toujours tout seul, définitivement seul ; c'est un parcours solitaire. Et comme la maladie dure longtemps, il ne faut pas éreinter son entourage, tout le monde doit pouvoir tenir dans la durée. La première fois, j'avais un petit garçon de neuf ans, et je ne savais pas comment lui en parler. Et un jour c'est lui qui est venu me voir et qui m'a dit : " tu sais, j'ai eu très peur pour toi !" (...) Le plus beau souvenir pour moi c'est tout ce que j'ai construit avec mes fils ; je sens maintenant que notre relation n'est pas ordinaire et ça tient sans doute à ce que nous avons vécu ensemble. (...)

Lors de ma première expérience, j'ai arrêté de travailler. J'avais la coresponsabilité d'une entreprise, je m'en occupais de loin mais je n'apparaissais plus. (...) Quand je suis revenue, j'ai compris que je ne retrouverais pas ma place. C'est complètement stupide de penser qu'on va revenir et qu'on va retrouver la même place, dans le même contexte ; et c'est l'erreur que j'ai faite. Paradoxalement, j'ai trouvé que le monde politique était moins difficile ; j'étais déjà élue pour ma deuxième maladie et j'ai choisi de continuer à travailler, même si à un moment j'ai essayé de n'être pas trop visible. C'est difficile d'être une personne publique et de voir dans le regard des autres qu'on doit aller mal ! Mais j'ai senti beaucoup de soutien de mes collègues élu-e-s et j'ai été agréablement surprise qu'on me propose de repartir pour un second mandat. (...)

Quand des femmes malades viennent me voir aujourd'hui, j'essaie de leur dire de vivre la maladie de la manière la plus sincère possible, c'est-à-dire en n'essayant pas d'être un héros et en n'ayant pas trop peur non plus. Je ne crois pas au courage, je crois qu'on peut ou qu'on ne peut pas et j'essaie de dire à chacune de prendre le combat à la hauteur qu'elle va pouvoir porter ! »

 

« La maladie apprend l'humilité » et « une conscience un peu plus aiguë de notre mortalité »

Maryse Thaëron est membre des Roz'Eskel ; dans le film « Les Belles Combattantes » on la voit, enthousiaste, se lancer à l'assaut de la Grande Muraille de Chine. Sa maladie lui a permis de découvrir son goût pour les sports nautiques et le dragon boat en particulier.

Maryse« Ce qui peut relever de la chance dans la maladie, ce sont les belles rencontres que l'on fait, des femmes qui deviennent des copines, presque une deuxième famille. Moi, j'ai la chance de pratiquer une activité physique adaptée, le dragon boat. Il y a à Rennes, un environnement associatif riche pour l'écoute, l'accompagnement ; je conseille aux femmes malades d'aller voir rapidement une association. (...)

C'est pas parce qu'on a eu un cancer qu'on est devenu spécialiste de la maladie ; on traverse l'épreuve chacune avec son histoire et on ne peut pas la calquer sur quelqu'un d'autre ; mon cancer, c'est le mien, pas celui d'une autre ! (...)

J'ai perdu ma maman dix jours après ma première opération ; on avait été diagnostiquées toutes les deux en même temps et pour la même maladie ; ça a rajouté de l'insupportable à ce qui déjà n'était pas supportable et je crois qu'aujourd'hui encore je traîne ça comme un boulet ! (...)

Une des priorités, je crois, c'est d'être toujours son propre sujet, de se réapproprier soi-même. Il y a toutes sortes d'injonctions faites aux malades qui devraient se comporter comme ça, dire ça, vivre les choses de telle ou telle manière... chacune vit sa maladie comme elle est et comme elle peut. Certaines femmes vont changer, d'autres ne changeront pas. La maladie apprend l'humilité, on acquiert une conscience un peu plus aiguë de notre mortalité. ( ...)

Professionnellement, pour moi, ça s'est plutôt bien passé, mais dans certains endroits on conteste le temps partiel thérapeutique parce qu'il existe une vraie méconnaissance de la maladie et de ce que ça peut apporter à un-e malade de reprendre son travail. Les entreprises attendent du rendement et si vous n'êtes pas 100% là, ça peut vous être reproché. »

 

« Je ne rejoue pas mon cancer tous les soirs (...) on oublie la personne pour voir le personnage »

Sonia Rostagni a voulu transformer sa maladie - la « sublimer » dit-elle - en un spectacle. 649€, c'est le titre de sa pièce ; c'est aussi le prix que lui a coûté sa perruque.

Sonia« Mon spectacle tourne beaucoup en octobre, j'ai un projet avec le CHU pour accompagner des étudiant-e-s en médecine de troisième année sur le thème de l'annonce de la mauvaise nouvelle, bref, je fais beaucoup de choses qui sont en lien avec le cancer.

Mon mécanisme de défense, à moi, c'était de sublimer par l'art, c'est tout ce que j'ai trouvé. C'était une façon de dire au cancer : d'un truc moche, je vais faire un truc esthétique ! Je ne sais pas si ça a été une chance en tout cas, j'ai pris une conscience plus aiguë de la vie ; aujourd'hui c'est plus intense de vivre ! (...)

Je ne rejoue pas mon cancer tous les soirs. Je fais d'abord mon métier de comédienne avant de jouer Sonia Rostagni qui a le cancer ; on oublie la personne pour voir le personnage, une femme, n'importe quelle femme ! (...) C'est pas sexy un spectacle sur le cancer du sein ; ça ne remplit pas les salles. Le public qui vient me voir se compose majoritairement de dames qui ont été touchées, de leurs compagnons, leurs enfants et des personnels de santé. (...)

Pendant ma maladie, la moindre intention était énorme pour moi. Si on me disait "t'as bonne mine aujourd'hui" sans même savoir que j'avais le cancer, c'était génial ! J'étais très entourée et ce n'est pas toute seule que je me suis battue ; si je m'en suis sortie, c'est aussi grâce aux autres. Ma mère, elle faisait absolument tout ce que je voulais ; mon fils prenait sa trottinette pour aller me chercher mes médicaments ; mon conjoint a été extraordinaire. (...)

Si j'avais un conseil à donner à des patientes, ce serait de rester sujets ; on n'est pas juste un symptôme, on est d'abord une femme, un individu pour qui le cancer arrive un moment dans sa vie, on est là avec un passé. (...)

Avec la maladie, il y a des traits de caractère qui se sont affirmés ; on apprend à mieux se connaître dans ces épreuves-là, à ne plus se laisser bouffer. S'il fallait que je donne un sens à la maladie, ce serait ça : j'ai bâti mon socle ! »

Propos recueillis par Geneviève ROY