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Comme c'est souvent le cas, son engagement puise ses racines dans sa propre histoire. Quand on a « la chance de vivre le racisme et le sexisme » dans son enfance, on se retrouve un jour à défendre l'idée de l'égalité.

Huit fois championne de France de football et meilleure buteuse du championnat en 1983, Nicole Abar a connu l'époque où une fille qui aimait le foot était quasiment dans « la transgression ». En 2002, suite à une affaire de discrimination active subie par une équipe féminine, elle parvient à faire sanctionner un club. Une première dans l'histoire du sport.

C'est pour elle le déclic ; elle décide de s'adresser aux tout petits de sorte que les filles et les garçons apprennent l'égalité dès le plus jeune âge. Ainsi est né son projet éducatif, « Passe la balle ».

 

Un jour Nicole Abar a fait une grosse colère. « J'avais passé 47 ans à subir » raconte-t-elle au public de la MIR à l'occasion d'une conférence organisée à Rennes par l'association Questions d'Egalité. Subir le racisme d'abord pour cette fille d'émigré-e-s (papa Algérien, maman Italienne) ; subir le sexisme ensuite quand elle s'enflamme pour un sport largement masculin : le football. « J'avais fait mon chemin, j'avais eu un bonheur extraordinaire avec le football – poursuit-elle – j'avais à côté de moi des petites filles qui allaient penser la même chose que moi quand on me mettait au coin, alors je me suis dit : on se bat ! Je m'étais tue toute ma vie avec le racisme et je me suis rendu compte que le sexisme, c'était la même chose, c'est un regard qui pèse sur vous, tout le temps! »

Ce jour-là Nicole Abar ne se laisse plus faire. Elle défend l'équipe féminine de foot qui vient de se faire « virer » proprement du club local au profit des garçons pourtant moins brillants sur le terrain. « Je me suis dit qu'on ne pouvait pas continuer à laisser croire aux filles que c'était normal. » « On ne se révolte pas, on ne dit pas que c'est injuste et pourtant on le ressent et on se construit avec ça ! » ajoute-t-elle, se souvenant de son propre passé d'injustice.

« Qu'ils tombent, qu'ils se fassent les genoux tout bleus,

qu'ils aient des bosses ! »

Durant le procès (gagné), Nicole Abar prend conscience que les garçons aussi sont victimes des stéréotypes. « Les unes sont éduquées à subir, se taire, tout accepter – dit-elle – et les autres sont éduqués à être dominateurs, à prendre les décisions, à supporter les responsabilités. » Un constat qui la pousse vers deux conclusions : d'une part les filles ET les garçons « doivent progresser ensemble » et d'autre part, il faut « aller vers les plus petits ». Quelques années plus tard, Nicole Abar est devenue fer de lance d'un projet éducatif qu'elle a imaginé pour construire l'égalité entre les filles et les garçons. Et sa porte d'entrée est bien sûr le sport.

nicoleabar2« Le point de départ, c'est le corps, la motricité, le partage de l'espace » énumère-t-elle en déambulant devant le public. « J'ai du mal à rester assise » a-t-elle précisé en début de soirée. Et c'est tout l'enjeu de son programme : permettre à tous les enfants de se saisir au mieux de leurs capacités motrices. Avec elle, qu'ils soient filles ou garçons, ils vont apprendre à remplir l'espace, à courir, à jouer à la balle avec les mains mais aussi avec les pieds.

« Commençons à les faire courir partout tout le temps, qu'ils tombent, qu'ils se fassent les genoux tout bleus, qu'ils aient des bosses ! » Ensuite, elle transfert toutes leurs capacités nouvellement acquises aux « aspects intellectuels et cognitifs » par la verbalisation et le dessin. Là aussi, ils et elles devront apprendre à trouver leur place de façon égale, sans que les filles se contentent de petits dessins dans les coins comme trop souvent elles se satisfont de rester statiques dans un coin de la cour de récréation. Des habitudes différentes entre garçons et filles, intégrées dès le plus jeune âge et qui pour Nicole Abar « produisent des personnalités étriquées avec des ambitions étriquées ».

 

« J'ai été obligée

de prendre les comportements des garçons

pour exister »

Créé à Bagneux, le projet de Nicole Abar s'est déplacé à Paris puis depuis 2007 à Toulouse sa ville natale où elle vit actuellement. Une action qui a aussi été le socle des ABCD de l'égalité mis en place par le ministère de l'Education Nationale en 2013/2014 et malheureusement supprimés depuis. « Je ne cherche pas à effacer le fait qu'il y ait des filles et des garçons » explique Nicole Abar, comme si elle devait une fois encore se justifier. Elle défend simplement l'idée qu'il existe de nombreux moyens pour « solliciter les enfants, leur faire découvrir des choses et qu'on ne doit pas se poser la question de savoir si c'est un garçon ou si c'est une fille. »

« J'ai eu la chance de vivre le racisme et le sexisme – dit-elle encore – j'ai choisi un sport masculin, ; à mon époque c'était nul et c'était même une transgression. J'ai été obligée de prendre les comportements des garçons pour exister. J'étais toute seule donc, il fallait bien que j'intègre leur mode de fonctionnement. Je suis heureuse aujourd'hui de savoir que les filles peuvent faire du foot en restant dans leur propre fonctionnement. » Plus tard, elle dira aussi : « Je pense que je jouais bien au foot mais pour moi, ce n'était pas une source de fierté parce que ce n'était pas valorisé à l'époque ».

Trop souvent regrette-t-elle, les stéréotypes sont tellement intériorisés qu'ils deviennent la norme et qu'ainsi « on gâche des millions de talents ». Un coût économique collectif mais aussi un coût individuel. « Les garçons et les filles ne sont pas ce qu'ils et elles devraient être – plaide Nicole Abar – si on leur laissait vraiment découvrir tout leur potentiel, ils seraient certainement des personnes différentes. »

Geneviève ROY