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Quand une jeune femme pousse sa porte, elle cherche souvent un dernier recours à une situation inextricable. « L'essentiel – explique-t-elle – c'est de l'empêcher de quitter la France ». Car une fois à l'étranger elle aura du mal à revenir. Et partir c'est entrer dans l'enfer du mariage forcé.

Directrice de l'association Voix de Femmes depuis vingt ans, c'est à l'occasion des journées de sensibilisation aux violences faites aux femmes en novembre dernier que Christine Sarah Jama a répondu à l'invitation de l'UAIR.

Si elle pointe des chiffres terrifiants – une jeune fille de moins de 18 ans mariée de force dans le monde toutes les trois secondes – elle se félicite que parmi celles qu'elle reçoit, trois sur quatre échapperont à ces unions violentes.

 

Une étude faite sur la Seine-Saint-Denis, département modèle en matière de repérage des mariages forcés en France indique que plus de 90 % des familles issues de l'immigration ne marient pas leurs filles de force. « Quand on veut nous faire croire que c'est ultra traditionnel dans certaines cultures, on voit bien que c'est complètement faux ! » en conclue Christine Sarah Jama qui s'inquiète tout de même que les moins de 2 % restant représentent un potentiel de 1000 victimes par an. Et la conséquence n'est pas seulement les viols et autres violences ; pour plus d'une fille sur dix ça veut aussi dire l'empêchement de poursuivre des études et d'apprendre un métier voire l'arrêt brutal de la scolarisation avant 16 ans. « Des avenirs brisés » résume-t-elle.

Filles, homos, toxicos

Si la tranche d'âge la plus touchée est celle des 16/21 ans, les jeunes filles que rencontre Christine Sarah Jama ont pratiquement toujours plus de 18 ans. Chaque jour, l'association Voix de Femmes qu'elle dirige est saisie d'un nouveau cas. Heureusement, se réjouit-elle « trois sur quatre nous contactent avant le mariage et empêcher une fille de quitter le territoire c'est quand même plus facile que de faire des démarches une fois qu'elle est à l'étranger ! » D'autant plus, comme elle le rappelle, qu'alors « c'est la loi du pays qui s'applique ». Parfois, comme en Algérie ou au Mali par exemple, la majorité est plus tardive qu'en France.

L'association note encore que les victimes se révoltent de plus en plus tôt. Plus de 70 % des mariages ayant lieu à l'étranger, c'est souvent trop tard que les jeunes femmes réalisent qu'elles sont piégées. L'Angleterre est selon Christine Sarah Jama, « le seul pays au monde à avoir mis en place un dispositif – et les moyens financiers - permettant de rapatrier environ 450 jeunes femmes par an. Quand on arrive à en rapatrier une trentaine en France, c'est miraculeux ! »

affiche2Mariage thérapeutique pour "soigner" un enfant (souvent des garçons) homosexuel ou toxicomane, mariage sanction pour "punir" une fille qui a perdu sa virginité, mariage bouclier pour faire taire une rumeur sur le comportement d'une adolescente... Les motifs ne manquent pas pour les familles bien déterminées à peser sur l'avenir matrimonial de leurs enfants. Des filles, en grande majorité. Elles représentent 95 % des jeunes qui font appel à Voix de Femmes.

Or, tient à rappeler la directrice de l'association, le seul « fondement juridique d'un mariage c'est le consentement » Mais de quelle marge de manœuvre dispose une jeune fille à laquelle on fait croire que sa grand-mère est mourante pour l'attirer dans un pays étranger ou encore qu'on mariera sa petite sœur à sa place si elle refuse ? Sans compter celles dont on confisque les papiers d'identité.

Médiation et petite cuillère

Quelles réponses apporte une association comme Voix de Femmes, seule spécialisée sur cette violence spécifique, ou d'autres comme Plan, ONU Femmes ou l'UNICEF qui travaillent sur des violences plus générales ? La première réponse que préconise Christine Sarah Jama est simple : écouter. Que la victime sache qu'elle n'est pas coupable, qu'elle n'est pas seule et que le mariage forcé en France est interdit par la loi.

« Ces jeunes filles nous font confiance – dit-elle encore – il faut d'abord leur dire "je te crois" car on ne leur a jamais dit ça ! » Surtout, ne jamais entamer de médiation. « Ça précipite souvent les choses - explique-t-elle – toutes les tentatives de médiation qu'on connaît ont échoué même les religieux n'y arrivent pas ! » En revanche, qu'elle soit mineure ou majeure, une jeune fille peut obtenir une interdiction de sortie de territoire.

Et si très peu d'entre elles couperont les ponts avec leurs familles et encore moins iront jusqu'à porter plainte, elles peuvent accepter de prendre de la distance pour souvent revenir quelques années après quand les relations se sont apaisées. En attendant, souligne la professionnelle, il est important de leur proposer un hébergement qui ne soit pas conditionné au dépôt de plainte, de les accompagner sans les culpabiliser.

Ce qu'il faut encourager pour protéger les filles dit-elle encore, c'est un « travail d'éducation et de sensibilisation dès l'école ». En Angleterre, on a développé « la stratégie de la petite cuillère ». Une association de Manchester invite les jeunes femmes à déposer un objet métallique sur elles, de préférence dans leurs sous-vêtements, pour faire réagir les portiques de contrôle des aéroports et les policiers sont formés pour intervenir. Une initiative à faire connaître pour que chacun-e puisse « faire respecter sa liberté d'aimer ».

Geneviève ROY