Jean-René Gouriou est psychologue et psychothérapeute de couples ; Charline Olivier est assistante sociale avec une longue expérience en protection de l'enfance et des familles.

Tous deux ont conjugué leurs expériences pour proposer depuis 2012 des stages de responsabilisation à destination des auteurs de violence conjugale.

NELL, leur association est mandatée par le Tribunal de Grande Instance de Rennes pour mettre en place un dispositif psycho-criminologique. « On ne soigne pas – dit Jean-René Gouriou – La violence intervient souvent comme mode de résolution de conflit dans un couple qui ne peut plus fonctionner. On se pose en tiers pour permettre de passer de la responsabilité du passage à l'acte à la coresponsabilité du lien. »

 

 « La composition pénale est une alternative à la peine – explique Charline Olivier on appelle ça la troisième voie entre le classement sans suite, autrefois très largement majoritaire, en cas de faits jugés non graves, et la correctionnelle pour les faits graves. » Depuis deux ans, c'est une centaine d'auteurs de violence – à une exception près, des hommes – qui ont accepté de suivre le stage proposé. Un engagement à se rendre à sept rencontres : une individuelle pour faire le point sur leur situation, cinq en groupes et une dernière de bilan individuel. « Ils ne reconnaissent pas toujours la gravité de leurs actes mais ils se sentent responsables de ce qui s'est passé » dit encore Charline Olivier qui insiste sur l'importance de verbaliser les choses. « On ne lit pas les dossiers, on recueille leurs paroles. Et au premier regroupement, chacun doit dire devant les autres pourquoi il est là ; c'est quelque chose d'intime, donc c'est difficile. Mais c'est important et c'est aussi important que chacun écoute ce que les autres ont à dire. »

« De la contrainte naît l'adhésion »

Les auteurs de violence orientés vers l'association NELL, sont donc sous contraintes. Ceux qui n'adhèrent pas sont renvoyés devant la justice. Mais pour Charline Olivier « de la contrainte naît l'adhésion » et il semblerait en effet que même les plus réticents au début du parcours acceptent de jouer le jeu du groupe de parole. « Ce qui est important, pour nous, c'est le groupe – détaille Jean-René Gouriou – dans ce cadre-là, les participants peuvent s'autoriser à dire et c'est le début d'un travail psychologique. » Un effet thérapeutique qui selon le psychologue peut « induire des changements de positionnement psychique par rapport à eux-mêmes, par rapport aux autres et par rapport à leur propre histoire, souvent elle-même violente. »

Geneviève ROY

 

gouriou

« Ce qui nous intéresse, c'est que les gens changent »

Interview de Jean-René Gouriou

 

Qui sont les hommes que vous rencontrez ?

Pour nous, la première condition c'est qu'ils reconnaissent les actes commis. Notre association n'est pas un dispositif thérapeutique ; on n'est pas non plus dans le travail social. On est dans un dispositif psycho-criminologique c'est-à-dire qu'on reçoit des personnes qui, sous contraintes, sont orientées vers un stage de responsabilisation. Ceux qui n'adhèrent pas sont renvoyés vers la justice ; mais généralement, les personnes qui viennent vers nous et jouent le jeu...
On ne travaille pas sur la vérité de ce qui s'est passé ; ça ne nous intéresse pas ! On ne travaille qu'avec ce qu'ils nous disent ! Ce qui nous intéresse, c'est que les gens changent ! Pour nous, il ne s'agit pas d'hommes violents mais d'hommes qui ont eu un comportement violent. C'est une nuance importante même si parfois certaines personnes sont dans une position agressive et destructrice avec leur entourage et pas seulement dans le cadre conjugal, mais aussi dans le cadre professionnel, familial, ou du voisinage. On peut alors parler de modes de fonctionnement psychopathologiques qui font qu'ils sont dans une relation d'agressivité. On constate aussi que dans la quasi totalité des cas, on a affaire à des personnes qui elles-mêmes ont été atteintes, parfois fortement, dans leur enfance par des situations de violence.
Il s'agit d'auteurs de violences plutôt physiques du fait que l'objectivation des violences passe souvent par les violences physiques. On commence à prendre en compte le harcèlement, les violences psychologiques... et ça va donner lieu aussi j'espère à des prises en charge judiciaires mais pour l'instant, c'est plus difficile.

Pourquoi la violence intervient-elle dans un couple ?

La violence intervient comme mode de résolution d'un couple qui ne peut plus fonctionner. Souvent c'est quand le couple décide de se séparer que la violence intervient presque comme pour marquer un coup d'arrêt à cette relation. On a remarqué beaucoup de séparations qui se passent sur ce mode-là. C'est-à-dire qu'ils sont en difficultés relationnelles et n'ont pas interpellé de thérapeute de couples ou de conseillers conjugaux, pour pouvoir dépasser cette situation de crise. C'est pourquoi je pense qu'il faudrait mettre de l'argent dans des dispositifs de dépassement de crises et de prévention. Je vais faire une caricature, mais analogiquement à la sécurité routière, on en est encore avant les années soixante-dix ; c'est-à-dire qu'on fait de grands discours, de belles affiches, de beaux colloques, alors qu'il faut aller directement au cœur des problèmes ! Il me semble que travailler avec les auteurs, c'est aller directement au cœur des problèmes : pourquoi vous avez fait ça et comment on va faire pour que ça ne se reproduise pas ?

Peut-on dire qu'on mari violent peut malgré tout être un bon père ?

Certaines personnes peuvent produire un acte violent sans protéger les enfants de cet acte-là et du coup, on peut imaginer qu'effectivement atteindre l'identité parentale de ces enfants-là c'est une violence ! A partir du moment où les enfants sont témoins des violences, on produit des comportements qui sont toxiques pour eux, qui sont susceptibles en tout cas d'être violents et difficiles à vivre pour eux. Mais j'ai travaillé avec des personnes violentes dans le mode de fonctionnement conjugal et qui pour autant exerçait une parentalité non dommageable à leurs enfants, qui n'étaient pas dans une logique d'agressivité mais seulement dans des enjeux conjugaux.

En cas de violences conjugales, la première réponse est-elle forcément la séparation ?

Certains conjoints ont plus facilement tendance à se séparer qu'à se distancier pour essayer de trouver d'autres façons d'être avec l'autre, de réaménager leur conjugalité. C'est plus facile pour eux, ça ne veut pas dire pour autant que le problème est réglé ; c'est-à-dire que ce n'est pas la séparation qui va régler le problème. Les deux conjoints vont reformer d'autres couples ; alors, certains ne reproduisent pas forcément le mode de fonctionnement violent avec d'autres conjoints, mais il peut y avoir une réitération des modes de fonctionnement avec le futur conjoint... et la séparation ne fait que tourner une page et puis parfois on réécrit la même. Je pense qu'il faut sinon séparer en tout cas distancier les personnes ; c'est le premier temps de l'intervention. Et il faut que chacun puisse avoir un cadre de travail personnel sur ce qui s'est passé.

Comment évaluez-vous votre travail ? Est-ce qu'il permet d'éviter toute récidive ?

Notre action n'a commencé qu'en 2012. Il nous faut du temps pour formaliser notre pratique et du temps pour pouvoir mesurer l'effectivité du dispositif. Nous envisageons de concevoir un questionnaire pour avoir un retour du point de vue des participants. Le problème en matière de violences conjugales, c'est qu'il peut ne pas y avoir de récidive mais une réitération de la violence. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de récidive légale, pas de dépôt de plainte, mais modification du type de violences conjugales. Il y a des modes de fonctionnement qui peuvent se réaménager en fonction de l'intervention de la justice ; et c'est encore plus toxique parce que précisément on pourra plus difficilement faire appel aux services de la justice.

Propos recueillis par Geneviève ROY

Contact de l'association : NELLCette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – 06 497043 29 ou 06 49 10 21 81

 

Pour aller plus loin :

Quelques données extraites du rapport d'activité de l'association pour l'année 2013 :

Le profil des auteurs apparait relativement homogène en terme de classe d'âge : 74,35 % des auteurs ont entre 30 et 50 ans ( 77% en 2012) mais l'amplitude d'âge est très large, de 22 ans à 66 ans. Ils sont majoritairement en situation d'emploi à 79,5 %. Pour les huit auteurs sans activité professionnelle, trois sont en retraite. 89,7 % sont pères de famille (80,7% en 2012), dont 71,8 % d'enfants mineurs au moment des faits de violences ayant entraîné le dépôt de plainte.

Mais certaines caractéristiques sont hétérogènes : au regard de leurs catégories socio-professionnelles : un enseignant, des salariés du secteur BTP, des salariés de l'industrie automobile, des artisans, des commerciaux, des fonctionnaires, des travailleurs indépendants, intérimaires, intermittents du spectacle, étudiant... Ils résident dans toute l'Ille-et-Vilaine, principalement sur des communes rurales ou rurbaines, correspondant aux zones gendarmerie. Une minorité réside sur les quartiers reconnus prioritaires par les politiques de prévention de la délinquance.

La question de la longévité de vie de couple est hétérogène : 28, 2% ont vécu moins de 5 ans ensemble ; environ 36 % entre 5 et 10 ans ; 18 % entre 10 et 20 ans, et 18 % plus de 20 ans. Pour comparaison, le profil des couples est différent en 2013 en terme de longévité : les couples concernés sont plus « jeunes » : 64, 15 % ont moins de 10 ans en 2013, pour 53, 7 % en 2012. L'amplitude de longévité s'étend de 18 mois à 41 ans de vie de couple.