Aujourd'hui Marwa Rochay arbore un joli tatouage sur son poignet droit. Peut-être faut-il y voir une réponse à ce père tyrannique qui n'admettait pas, lorsqu'elle était petite fille, de la voir coller son papier de chewing-gum sur son bras pour y dessiner un cœur !

Façonnée par ses origines irakiennes, la longue déambulation de sa famille exilée de pays en pays, de camps en camps, et surtout par l'éducation conservatrice, qu'elle nomme aujourd'hui « emprise psychologique » dispensée par son père, elle aura attendu ses trente ans pour comprendre pourquoi elle avait besoin de toujours aller plus loin pour se prouver sa valeur.

De ce constat est né un livre, "Marathon vers la liberté".

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A l'écran comme sur scène, le désir et le plaisir féminins restent des sujets très peu traités.

Sur les dix-neuf ans de programmation du festival Court Métrange, les « films abordant ce sujet se comptent sur les doigts d'une main » assure Cyrielle Dozières, la directrice du festival.

Pas étonnant alors que ces thèmes ressortent par deux fois dans la programmation du mois de mars de Rennes Métropole intitulée cette année In.di.visibles, mot valise dans lequel on retiendra surtout : invisible...

 

J-3 

Plus la date approche, plus l’angoisse grandit.

Nous devons être à Roissy Charles de Gaulle une heure avant le décollage.
Deux heures et demi de vol ; nous atterrirons à seize heures environ à Lisbonne.

- Tu verras Lisbonne, ses azuléros, son tramway, le 28 qui passe par la vieille ville. Le tram, ça repose, parce que Lisbonne ça monte et ça descend tout le temps... Ah ! une bonne adresse : le marchand de bougies. C’est une boutique antique, entièrement en bois, on dirait qu’elle date du 19e siècle, comme le vendeur d’ailleurs ! Que des bougies, de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Quand on y est allé, une petite vieille achetait un cierge, plus grand qu’elle ! Si si, je t’assure ! Je compte sur toi pour m’en rapporter une pour le bougeoir que m’a offert Salomon.
Voilà ce que ma sœur dit de Lisbonne.

Richard, mon collègue et ami, vante les pastéis de nata, ces petits gâteaux à la crème et pâte feuilletée.
- Tu vas les a-do-rer, gourmande comme tu es !
Il me parle aussi de fête à la sardine, m’indique quelques bons plans : des petits restos sympas où on mange comme des rois... Richard et la nourriture : une véritable histoire d’amour !

Chacun possède sa vision de Lisbonne. Et bientôt, j’aurai la mienne.

En attendant, l’idée de prendre l’avion me tord les boyaux, me donne des sueurs froides, m’empêche de dormir, me noue la gorge, me provoque une poussée d’eczéma... bref m’angoisse plus que tout au monde !

Pourtant, Lisbonne, j’en rêve depuis... en fait, on devait y aller en voyage de noces, il y a dix ans... mais le moteur de ma voiture a lâché, alors l’argent du voyage a servi à en racheter un !
Pour mon quarantième anniversaire, connaissant l’histoire de notre voyage de noces avorté, mes amis m’ont offert ce fabuleux week-end à Lisbonne. Génial ! Si vraiment, j’en suis persuadée, c’est génial !

- Allez viens te coucher, on ne part que dans trois jours ! Alors arrête de tourner en rond en t’arrachant les cheveux un par un ! me dit Igor.

J-2

Je file à la pharmacie, de l’homéopathique devrait être bien utile pour calmer mes angoisses.
- Oui madame, une dose la veille, une le matin et une autre une demi-heure avant le décollage ! Mais ne vous inquiétez pas, il y a plus d’accidents de voiture que d’avion !
- Je sais, c’est ce que je me répète chaque heure pour décompresser !

Bon, j’ai tout ? Le guide ? Ma carte d’identité ? Je refais mon sac cinq fois avec le sentiment qu’il manque quelque chose à chaque fois.

Allez viens te coucher, on ne part que dans deux jours ! Alors arrête de tourner en rond en te rongeant les ongles comme ça ! me dit Igor.

J-1
Il est six heures. Le réveil sonne.
Les yeux encore fermés, je cauchemarde : demain, l’avion, le décollage, les trous d’air… Il y a toujours des trous d’air, l’atterrissage… Rien que d’y penser, mon ventre se contracte comme si une main invisible tordait mes boyaux. Non ! C’est impossible ! Je vais offrir mon billet à quelqu’un.

Prends ta dose d’homéopathie, me dis-je en me levant.

Je rajoute dans mon sac tous mes petits trucs précieux :
• un “ maman je t’aime ” de mon fils quand il avait six ans ;
• un dessin de ma fille : “ c’est toi Maman et là c’est moi ! ” ;
• un marron, parce que j’aime les marrons ! ;
• une photo de mon mari, le lendemain de notre première nuit d’amour, les yeux dans le vague et les cheveux ébouriffés ;
• enfin, une dernière photo de nous six. Oui, nous quatre plus le chat, un gros chat de gouttière qui ressemble trait pour trait à celui d’Alice au pays des Merveilles et le chien, un chien sans forme, sans race, sans signe particulier, on sait que c’est un chien parce que le vétérinaire nous l’a assuré !

- Allez viens te coucher, on ne part que demain ! Alors arrête de te gratter jusqu’au sang ! me dit Igor.

 

Jour J
Quand Igor se lève, cela fait déjà longtemps que je suis réveillée.
Hier, j’ai pris ma dose homéopathique. J’avale la deuxième avant le petit déjeuner, comme me l’a conseillé le pharmacien. Puis, je tourne tellement mon café qu’il est froid quand je le bois ! La première bouchée de pain passe, mais pas la suivante.

Heureusement les enfants sont chez mes beaux-parents !

- Allez ! On y va !
- Oui, oui, j’arrive ! Attends !Je vais faire pipi !

Le trajet se passe bien : pas d’embouteillage, on arrive à l’heure.
Je me mords l’intérieur des joues.
On laisse la voiture au parking.
On arrive au terminal. Les toilettes ? Là ! Attends-moi !
J’ai mal au ventre.

- Viens, on va boire un café ! propose Igor.
Comment peux-tu être aussi zen, toi ? Rien, pas la moindre petite trace de nervosité, pas de sueur qui fait briller ta moustache naissante, pas de main moite ni de tremblement !
Au contraire, je sens même de l’excitation. Igor boit son expresso à vitesse grand V puis m’entraîne vers la porte d’embarquement, me donnant, m’emprisonnant, la main.
Tu sais bien, moi j’adore l’avion ! J’aurai voulu être pilote, mais mes yeux...
Oui, je sais, il faut de bons yeux.
Comment sont ceux de notre commandant de bord ? La porte du cockpit est ouverte, comment s’y retrouve-t-il avec tous ces boutons ? Oh, il est vieux ! Il est gros, son ventre lèche ses jambes, son alliance est incrustée dans sa peau. Il est calme, comme lorsque je m’assoie au volant de ma voiture. Un sourire naît sur ses lèvres lorsqu’il me voit : je dois être blanche comme un linge et, à coup sûr, il lit la terreur dans mes yeux.

Je regarde les autres voyageurs, personne ne semble avoir peur. Tous s’installent tranquillement. Je cherche ma place. J’ai l’impression de ne plus savoir lire, d’avoir un voile devant les yeux. La voici.
Igor me coince contre le hublot.

C’est tout petit l’intérieur de l’avion. On a l’impression d’être dans un bus avec des ailes ! Comment peut-il tenir en l’air à quelque dix kilomètres au-dessus de la terre, sans être rabattu par une rafale de vent ?

J’ai envie de partir !

Les passagers finissent de s’installer. L’avion est presque plein.

Je parle, pour museler ma peur, du dernier barbecue entre copains.
Tu as vu comme Olivier et Christine se sont rapprochés. Hum à mon avis, en rentrant, ils nous diront qu’ils sortent ensemble ! Et la gamine de Chloé et Paul ! Pfff ! Une vraie tête à claque. Elle n’arrête pas de tirer les cheveux de son père ! Déjà qu’il ne lui en reste plus beaucoup ! 
Je ris tandis que mon mari imite Paul en train de se coiffer. Il passe sa main dans sa chevelure épaisse et blonde. Comme s’il tentait de guider une mèche fine d’un côté vers l’autre. Puis, il lèche le bout de ses doigts et recommence le même mouvement de droite à gauche. Il imite Louis de Funès, son idole. Plus je le regarde, plus je le trouve beau. Des traits fins et réguliers qui sembleraient féminins s’ils n’étaient contrebalancés par cette cicatrice en demi-lune sous son œil droit. Souvenir d’une chute. À huit ans, il s’est élancé du haut d’un arbre avec le parasol du jardin, persuadé que ça ferait un bon parachute !

Tous les deux, on rit comme des gamins. Il est toujours prêt à faire le clown. Peu importe qu’on soit dans la rue ou qu’il y ait du monde autour de nous.

Je suis plus discrète. Toute en muscles grâce à l’athlétisme que je pratique depuis de nombreuses années. Mon corps est habitué à m’obéir… sauf en ce moment où il se contracte sous l’effet de l’angoisse. J’ai gardé la blondeur de mon enfance. Mon sourire est chaleureux, mes yeux pétillent habituellement, mes deux dents de devant sont légèrement écartées, les dents du bonheur. Cela me complexe mais me rend charmante, me dit Igor avec un regard attendri. Pourtant en ce moment, mes deux dents de devant qui me complexent sont le cadet de mes soucis…

Plus que quelques minutes avant le décollage.

J’attache ma ceinture, je la serre. Je serre aussi la main d’Igor. Lui est ravi. On dirait même qu’il rayonne !
J’ai bien pris la dernière dose d’homéopathie. L’avion s’ébranle. Je me tais, persuadée que je vais mourir.
L’hôtesse commence son blabla tandis que l’avion roule sur la piste.
La carlingue ne résistera pas.

L’avion se place dans la file d’attente de la piste. Je vois ceux qui le précèdent s’envoler les uns après les autres.
Un moteur va exploser parce qu’un oiseau se sera encastré dans un réacteur.
L’avion s’immobilise. Il est le prochain à décoller.
Ohhh !
L’appareil redémarre, prend de l’élan, accélère encore et encore.

Ma tête est scotchée à l’appui-tête. Tout bouge : fauteuils et carlingue. Ma respiration se fait courte.
Ça y est ! Toc, les roues ne touchent plus l’asphalte. Il est en l’air et il vole ! Je ne respire plus... On grimpe, encore et encore. Mes oreilles bourdonnent.

Dix minutes plus tard, les voyants s’éteignent. Tout va bien.
Le voyage est calme.
L’homéopathie remplit son rôle. J’ai peur, mais c’est supportable.

J+1

Lisbonne est une ville magique. Il fait beau ; la chair est bonne ; l’architecture est en pleine rénovation et reconstruction. Cette ville transpire le bonheur...

On dîne dans un petit restaurant de quartier, hors des sentiers touristiques et recommandé par le Guide du routard. On y croise un autre couple de Français qui termine son dessert au moment où on s’installe. Ils nous conseillent sur deux ou trois plats, ravis de leur repas. Une heure plus tard nous le sommes aussi ! Belle découverte ce lieu.

On se balade. C’est une ville où il fait bon vivre. Nous admirons les bougainvilliers géants, cette liane d’un rose lumineux et vif orne nombre d’habitations.

Nous arrivons au moment où la fête de la sardine bat son plein ! Une sardine grillée. Puis deux. Puis trois. Elles sont charnues et goûteuses, posées sur des tranches de pain imbibées d’huile d’olive et cuites sur des barbecues installés sur les trottoirs. Et pour faire descendre le tout, une Sagres bien fraîche ! Puis deux. Puis trois. On rit, on danse toute la nuit dans les rues noires de monde.

Oubliées mes frayeurs ! Je me traite intérieurement d’idiote !

J+2

Le lendemain, on se rend dans la boutique antique de bougies et cierges. J’en achète pour ma sœur et plusieurs pour nous.

Plus tard, sur un bateau de type petit cargo, on traverse le Tage. En débarquant, on tombe sur des centaines de pêcheurs. J’ignore si c’est un concours ou si c’est comme ça tous les week-ends… Alignés sur les quais, ils sont presque à touche touche sur au moins un kilomètre. Enfants, jeunes, adultes, vieux, presque que des hommes. Leur nombre est impressionnant !

J+3

Et le dernier jour, nous nous perdons dans les rues. L’Affama, quartier typique, est celui qui nous plaît le plus.

Notre voyage touche à sa fin. Pour notre dernière soirée, nous allons écouter du fado, incontournable. Là encore, Richard m’a donné une adresse secrète, « il n’y a que des Portugais ! » m’a assuré Richard. Et la musique sublimée par cette voix féminine m’émeut et me communique sa nostalgie.
C’est promis, je reviendrai ici ! Avec nos enfants.

J+4

Après un petit déjeuner copieux et un dernier tour de la ville en tramway, nous reprenons le chemin de l’aéroport.

Aujourd’hui, je suis légèrement plus tranquille. L’angoisse est moins forte mais toujours là : mes jambes pèsent une tonne chacune, des perles de sueur glissent le long de ma colonne vertébrale, mon ventre me rappelle qu’il existe… Je suis contente de retrouver mes enfants, alors ça me motive pour pas faire demi-tour.

Le personnel de bord est accueillant. Un steward particulièrement. Il comprend que je suis inquiète. Pour me faire rire, il m’offre un jouet : « On en donne aux enfants ! », dit-il avec un grand sourire apaisant. Plus tard, il me servira un apéritif copieux qui me détendra plus que la peluche !
Je suis assise à côté d’Igor. Il n’y a pas de trou d’air… Je pousse tout de même un gros soupir en touchant le sol de Roissy-en-France.

Le week-end se termine bien : ma tante Catherine nous a proposé de dormir chez elle avant de rentrer. Tant mieux parce que ce voyage était merveilleux mais épuisant : c’est vrai Lisbonne ça monte et ça descend et on a énormément marché, alors une bonne nuit de sommeil avant de rentrer à Lyon nous fera du bien. Et Catherine habite au Mesnil-Amelot, près de l’église, à peine à cinq kilomètres de l’aéroport.

J+5
France inter.
Le journal de sept heures ouvre sur l’accident d’avion survenu il y a presque une heure. L’avion, qui se rendait à Lisbonne, venait de décoller quand un de ses moteurs a pris feu. On ignore encore les causes de l’accident. En quelques secondes l’incendie s’est propagé à l’ensemble de la carlingue. C’est une boule de feu qui est tombée sur le Mesnil-Amelot. Les pompiers et les secours sont sur place.

Aucun survivant n’a été retrouvé dans l’avion ni sur le quartier de l’église Saint-Martin où il s’est crashé.

 

Edith Combe

 

 

Suspendu à une guirlande lumineuse qui clignote, un ours en peluche fait de la balançoire. Un autre conduit un traîneau sur lequel s’amoncellent, dans un équilibre précaire, des cadeaux aux emballages de papier doré. Un chœur de pingouins en smokings et nœuds papillons s’égosille sur le devant de la scène. Il neige des papillotes légères comme des plumes.

Par la fenêtre, elle observe la rue qui s’anime en cette toute fin d’après-midi, le grand magasin en face illuminé et les enfants, le nez collé à la vitrine, qui s’absorbent avec ravissement dans les saynètes animées.

Chaque année à cette époque, la ville brille de mille feux. Préparatifs enthousiastes, course aux cadeaux, élaboration des menus et invitations familiales. L’ambiance est à la fête. Dans trois jours, on ouvrira les cadeaux ; surprise feinte, joie sincère ou déception dissimulée, chacun aura le sien. Trois jours, « trois dodos » leur diront leurs parents, c’est long pour les enfants. C’est long pour moi aussi.

Elle, elle n’a pas le cœur à la fête. La magie de Noël, tu parles ! Elle s’en fiche complètement et donnerait tout pour être au printemps déjà. Elle voudrait que tout soit terminé, elle voudrait passer à autre chose. J’essaie de la comprendre même si c’est difficile, je ne suis pas la mieux placée pour ça. Elle s’est retirée en cette fin d’année ; non, elle ne veut pas réveillonner, elle n’en a pas envie, qui voudrait l’inviter d’ailleurs ? Ses parents sans doute. Mais elle ne veut pas les voir, encore moins leur parler. Elle préfère rester seule dans cet appartement où résignée, elle attend que le temps passe, monotone, en regardant la vie par la fenêtre.

Il n’y a pas si longtemps, elle était de l’autre côté. Mais ça, c’était avant.

C’était l’été. Insouciante et légère, elle était dans la vie, adolescente extravertie entourée d’amies. Ensemble, elles parlaient fort, elles riaient fort, elles pleuraient fort, toujours dans l’exagération, la caricature ou l’excès, passant du drame à la comédie en un clin d’œil. Les adultes, parents ou professeurs, étaient à l’origine de conflits récurrents tandis que les copines étaient liées par une complicité joyeuse et une solidarité indéfectible. L’année scolaire touchait à sa fin, les beaux jours invitaient à se prélasser sur la pelouse devant le lycée, à suçoter des brins d’herbe en bavardant des vacances à venir.

Elle ne partirait pas. Comme la plupart d’entre elles d’ailleurs. Elles se retrouveraient en ville pour aller au cinéma ou boire un café ; quand il ferait beau et chaud, elles iraient nager au lac où elles resteraient jusqu’à la tombée de la nuit. Elles emporteraient de quoi grignoter, de quoi boire aussi, une petite enceinte pour la musique et des magazines dans lesquels elles se plongeraient avec délice. Et elles commenteraient articles, tests et photos en gloussant et en se culbutant dans l’herbe. Le soleil à son zénith mordrait leur peau nue puis au couchant, les caresserait et donnerait à leurs cheveux des reflets mordorés. Ce serait alors le moment des confidences et des secrets partagés. La nuit tomberait, les masques aussi. Ça aurait pu être mais cela n’avait pas été.

Elle l’avait pressenti, le cœur n’y était pas. Son cœur à elle n’y était pas. Elle ressentait comme une gêne, un malaise, elle était un poids au milieu de cette légèreté désinvolte. Arborer un bronzage parfait, « Dis, tu me mets de la crème dans le dos s’te plaît ? », glousser devant les photos de jeunes éphèbes aux abdos marqués, « Oh trop beau, lui ! », se gaver de biscuits au chocolat tout en commentant les régimes de starlettes… à quoi bon, quel intérêt ? Elle n’avait plus envie de parler pour ne rien dire. Elle niait l’évidence et se butait, sourcils froncés, aux remarques moqueuses des autres filles. Alors un jour, elle n’était plus allée au lac. Elle s’était isolée, marre des autres, envie d’être seule. Moi, je ne comptais pas. Elle m’ignorait, indifférente à tous les messages que je lui envoyais.

Avant la fin de l’été, elle avait compris. Moi aussi. Elle voulait qu’on se sépare ; plus encore, elle espérait que de moi-même je la quitte. Je l’entendais soliloquer dans sa chambre, incrédule, faisant les cent pas et donnant des coups de pied à ses peluches impuissantes. Sa sœur aînée la rejoignait parfois quand elle rentrait du supermarché où elle travaillait pendant l’été. Elles s’enfermaient et parlaient des heures, allongées sur le lit. A sa sœur, elle pouvait tout dire, le meilleur comme le pire, sans crainte d’être trahie. Et puis sa sœur lui racontait des anecdotes de sa journée à la caisse, les clients étourdis ou maladroits, les commentaires drôles ou amers sur les prix de l’alimentation, et elles riaient. Quand même. En présence des parents, leur connivence faisait bloc, ce qui avait le don de les exaspérer.

Mutique, évasive ou rude, elle était tendue. A son entrée dans une pièce, le silence se faisait et elle ne pouvait ignorer les regards à la dérobée qui la dévisageaient avec un singulier mélange de pitié et de ressentiment. Evidemment, j’aurais voulu la soutenir mais je n’avais pas mon mot à dire. Alors nous faisions corps, retranchées en notre for intérieur, l’hostilité ambiante comme une terrible chape de plomb.

La pression se faisait de plus en plus forte à mesure que les semaines avançaient. A partir de septembre, il est clair qu’elle ne retournera pas au lycée. Elle est en colère. Elle hurle qu’elle veut passer son bac, se tirer d’ici et ne plus jamais les voir. Le ton monte, les portes claquent.

Après m’avoir ignorée, elle est agressive. Je sens sa mâchoire se crisper, son corps se contracter, ses poings se serrer. Elle a envie de cogner. Mais je résiste, il en faut plus pour me décourager. Ni les pleurs, ni les cris ni les menaces ne me feront céder.

Ses parents l’ont inscrite aux cours du CNED. Elle suit la rentrée de son lycée via les réseaux sociaux et une amie dans la confidence lui apporte ses notes de cours. Elle aura son bac, elle n’en doute pas. Assidue et volontaire, elle travaille sans relâche, lit, prend des notes et ponctuelle, rend tous les devoirs.  Malgré la douceur persistante, les jours raccourcissent, les arbres flamboient, elle fait craquer sous ses pieds leurs feuilles rougissantes quand elle va marcher dans le jardin. Très vite, le soleil sombre et les températures fraîchissent.

Le premier jour de décembre, le froid s’abat sur la ville. La pluie glacée s’écrase sur les trottoirs et les rend noirs et glissants.

Elle s’installe dans l’appartement d’une amie de sa mère partie quelques mois à l’étranger.
Dans cet appartement où elle s’ennuie, elle s’apaise. Le temps passe, les jours se fondent les uns aux autres dans une monotonie tranquille. Elle n’a plus envie de travailler. Enroulée dans un plaid sur le canapé, elle lit en buvant un chocolat chaud. Elle se lève souvent, regarde par la fenêtre l’agitation du dehors. Une petite musique lui trotte dans la tête, cette chanson de son enfance qu’elle écoutait avec sa sœur sur un mange-disque.

Tes yeux se voilent / Écoute les étoiles / Tout est calme, reposé / Entends-tu les clochettes tintinnabuler ?

Je l’entends fredonner, sa voix est claire. Elle hésite sur les paroles, fait la-la-la quand elle ne se souvient pas. Tintinnabuler ; je n’avais jamais entendu ce mot auparavant mais il restera un de mes préférés, comme un grelot cristallin annonçant un événement heureux.

Dans trois jours, nous serons délivrées l’une de l’autre et nos chemins se sépareront pour toujours. Je ne lui en veux pas, je suis impatiente et triste à la fois. Dans trois jours, en pleine nuit je verrai le jour. Au son des chants de Noël nappant de leur écho la nuit glaciale. A la lumière chatoyante des sapins qui scintillent sous le ciel noir. Tintement des coupes de champagne qui s’entrechoquent et rires impatients des enfants. Dans trois jours. Je viendrai au monde, clandestine. Trois jours. Moi la fille, elle la mère. Fille mère.

Christine Leroy

 

 

Si l'on en croit la sociologue et politologue Hanieh Ziaei, « en Iran, tout bouge et rien ne change ».

Invitée par l'AFIB cette semaine à Rennes pour parler de la crise qui secoue actuellement son pays d'origine, elle a tenu à rappeler que ce mouvement de contestation est loin d'être le premier ; depuis plus de quarante ans, le peuple iranien manifeste régulièrement son désir de liberté.

Particularité pour un pays du Moyen-Orient, dans ces périodes de crise les hommes et les femmes restent uni.e.s dans la lutte. Indivisibles, en quelque sorte.

Hanieh

 

cinematheque

 

A la cinémathèque de Bretagne, les femmes ont souvent un rôle de passation. Ce sont elles qui viennent déposer les films réalisés par leurs pères ou leurs époux. Pourtant, elles furent aussi parfois derrière la caméra.

Du côté de la musique traditionnelle bretonne, peu nombreuses sont les femmes sur les scènes des fest-noz ou dans les festivals. Pourtant, ce sont elles qui transmettent la culture bretonne ou gallèse à leur entourage.

Des constats qui suffisent à se convaincre qu'il est urgent de redonner toute sa place au matrimoine, cet héritage des mères. C'est cette question qu'avaient choisie de mettre en lumière l'association HF Bretagne et la cinémathèque de Bretagne en ces premiers jours du mois de mars à Rennes.