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Pour la trouver il faut faire preuve d'un peu de curiosité, pousser un portillon bleu dans le fond d'une impasse, se risquer dans l'allée étroite entre les poiriers couverts de fruits. Découvrir, si près du centre ville, un repaire préservé dans lequel Annick Leroy réussit à combiner, semble-t-il avec succès, son esprit mathématique et sa vie d'artiste. « J'ai eu deux vies » dit-elle d'emblée.

Dans la première elle était informaticienne ; dans la seconde, elle fait de la sculpture au fond d'un jardin derrière la gare de Rennes.

Entre les deux, il y eu des rencontres, des apprentissages et une grosse commande. Depuis 2008, elle est reconnue pour ses grands bronzes et elle vient d'offrir à la ville de Carhaix une statue géante des trois sœurs Goadec.

 

 

Au rythme d'une pluie d'orage qui crépite sur les velux, Annick Leroy se raconte. « Un jour, on m'a proposé de faire une sculpture des personnages sur la poutrelle, l'illustre photo de Manhattan ; ça m'a pris un an de travail mais c'est devenu une sorte de carte de visite. »

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En quelques années, elle a su faire son trou dans le petit monde des sculpteurs de Bretagne et elle a changé de vie. Depuis cette œuvre gigantesque qui orne le siège social d'une grande société rennaise, d'autres commandes sont arrivées. Et des concours aussi auxquels Annick Leroy est habituée. Le dernier en date lui a permis de réaliser les statues des trois sœurs Goadec qui depuis le mois de juin dernier ornent la place du Champ de Foire à Carhaix.

Chaque personnage est un arrêt sur image

Pour ce travail de près d'une année, l'artiste a d'abord convoqué ses souvenirs personnels. « J'ai dansé à un fest-noz place des Lices, sous les Halles, en 1973 – se souvient-elle – et c'était quand même étonnant de voir ces trois vieilles femmes de 70 à 80 ans faire danser plusieurs centaines de personnes. Et sans aucun instrument, avec juste le bruit de leurs sabots ! »

 

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Dans les archives de l'INA, elle a ensuite retrouvé quelques reportages qui lui ont permis d'étudier les attitudes des chanteuses, « ces paysannes aux trognes bien expressives, ces femmes simples et un peu rudes, aussi ». Ce qui compte pour elle, c'est l'action, les regards échangés, les expressions des mains et des visages. « J'aime le mouvement – explique-t-elle – j'aime qu'il y ait une intensité dans le visage, dans le corps. Pour moi, chaque personnage est un arrêt sur image. C'est très troublant ; je sens leur vie dans mon atelier. »

 

« Dès que j'ai pu, je me suis dit :
maintenant, c'est à moi ! »

 

Mais si le ressenti de l'artiste est nécessaire pour donner vie à la sculpture, Annick Leroy laisse peu de place à l'improvisation. « Je pars du crâne, je prends des dimensions, j'aligne des points – énumère-t-elle – je ne fais pas ça au feeling en attendant que le visage sorte ; c'est très analytique ! »

Une façon sans doute de faire le lien avec sa formation scientifique. Car si l'art est entré tôt dans sa vie avec une mère « qui faisait de la couture » et un père « qui dessinait et fabriquait des meubles » la petite fille du Nord qu'elle était alors n'avait qu'un rêve : devenir architecte. « Je travaillais la terre comme ça – raconte-t-elle – mais mon gros désir c'était d'être architecte. J'ai commencé des études en 1969 et ce n'était pas la bonne période pour aller dans les écoles d'art ; c'était vraiment le bordel ! J'avais quand même un bac scientifique, je me suis dit : ce n'est pas possible, je ne vais pas perdre mon temps comme ça ! Et je me suis inscrite en fac. J'ai fait de l'informatique avec beaucoup de regret et toute ma vie, je ne pensais qu'à faire autre chose. Dès que j'ai pu, dès que ma fille a pu voler de ses propres ailes, je me suis dit : maintenant, c'est à moi ! »

Rendre les femmes plus indépendantes

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Malgré tout, la jeune femme garde la tête froide et ne commence que progressivement d'abord en conservant son poste de chercheure à temps partiel, puis en prenant une disponibilité. Et arrive un jour où l'avenir lui semble suffisamment serein pour qu'elle décide de se lancer totalement. « J'ai appris à gérer doucement – analyse-t-elle – j'ai monté mon truc sans prendre de risque et finalement je suis allée vers des créneaux qui étaient porteurs. » Un sens de l'entreprise qu'elle pense avoir hérité de sa mère et de sa grand-mère, deux modèles de « femmes indépendantes et curieuses » dont elle se revendique. « Ma grand-mère était camelot, c'est elle qui menait sa barque ! Elle a travaillé jusqu'à 73 ans et ça paraissait tout à fait normal. Ma mère était aussi très entreprenante. Je crois que c'est ça qui fait la différence : l'ambition de la mère. Je crois que je suis née sous une bonne étoile ! J'avais aussi la confiance de mon père ; pas mal d'ingrédients qui font que les choses ne me font pas peur, quoi ! » reconnaît Annick Leroy dans un rire. Puis, elle ajoute : « Je me suis toujours assimilée à un homme et je ne me soumets pas très facilement. J'ai voulu avoir une maison, j'ai construit ma maison. Je ne me suis pas dit : ce n'est pas un truc de femmes ! »

 

« Il y a une histoire culturelle
qui fait que les femmes
prennent les choses en main »

 

Un caractère bien trempé donc, qui lui fait regretter l'absence des femmes dans le monde scientifique. « Je trouve ça triste que si peu de femmes fassent des sciences. C'est comme si elles ne voulaient pas prendre leur indépendance. Parce que pour être indépendantes, les sciences sont quand même un bon moyen ; on est sûres d'avoir du boulot, d'avoir une certaine reconnaissance sociale ! »

Toujours être la meilleure

Dans ce monde de la sculpture où, dit-elle, « les femmes sont de plus en plus nombreuses » Annick Leroy ne se revendique pas féministe. Pourtant, elle reconnaît que des combats restent à gagner. « Je pense bien sûr qu'il faut exactement les mêmes droits pour les hommes et pour les femmes et qu'il faut tout partager de façon égalitaire – dit-elle – mais on voit bien que dans une maison, par exemple, ce n'est pas du tout le cas. Il y a une histoire culturelle qui fait que les femmes prennent les choses en main et que les hommes laissent les femmes ou parfois leur demandent de prendre les choses en main ! Je pense qu'il faut éduquer les femmes à faire ce qu'elles veulent et peut-être aussi à négocier pour avoir leur place. » Puis dans un rire, elle précise : « enfin, éduquer les femmes et les hommes aussi ! »

De ce qu'elle a appris dans sa « première vie », Annick Leroy a gardé une grande rigueur et le goût du travail abouti. « Il faut être la meilleure, toujours – dit-elle en évoquant ses différentes participations à des concours – Il ne faut pas se rater trop souvent, sinon, c'est terrible ! Et puis on ne mange plus ! » Elle, elle continue à manger grâce à ses sculptures même si à chaque fois c'est un petit peu d'elle qui s'en va. « Au début surtout – reconnaît-elle – on aimerait bien les garder à côté de soi mais je sais qu'elles sont quelque part, qu'elles vivent quelque part et si je veux, je peux aller les voir ! »

Geneviève ROY

 

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