Harlicot

Pour clore le mois de mars dédié aux droits des femmes à Rennes, l'association l'ATEP et le club Soroptimist invitaient vendredi dernier à la MIR à réfléchir sur « l'intégrité physique et psychique des femmes et des filles ».

Le docteur Jean-Philippe Harlicot, gynécologue, a battu en brèche deux idées reçues assez partagées dans le public.

Non, les femmes excisées n'ont pas toutes ni l'envie ni le besoin de se faire réparer.

Oui, les matrones, responsables des excisions en Afrique de l'Ouest, sont des femmes capables de prendre conscience de la gravité de leurs actes et de se remettre en question pour le bien-être des femmes qu'elles accompagnent.

 

Jean-Philippe Harlicot se souvient de ce jour où il a dû porter un collier de grigris sous sa blouse en salle d'opération. Une façon de dire combien, pour lui, une meilleure connaissance des traditions a été nécessaire à sa pratique d'accompagnement des femmes victimes d'excision. Pour celle-ci, ce jour-là, la présence des cadeaux reçus le jour du rituel de l'initiation devait lui permettre de se reconstruire malgré son désaccord avec ses ancêtres.

Confronté à des femmes excisées au CHU de Rennes où il exerce comme gynécologue obstétricien, le docteur Harlicot n'a pas hésité à s'impliquer personnellement pour mieux comprendre ses patientes. A l'origine, dit-il, il y a comme souvent des rencontres. « Pour moi - résume-t-il – il y en a eu deux : un confrère gynécologue au CHU d'Angers et Martha Diomandé », fondatrice de l'association ACZA, bien connue à Rennes. Avec le premier, il a appris les gestes techniques, avec la seconde il s'est approché au plus près de la culture africaine.

 

« Elles sont tombées de haut
quand elles ont compris que c'était leur acte
qui générait la mort de femmes en couches »

 

« Dans nos études, on parle très peu des mutilations génitales féminines. Une fois la technique apprise, ça ne suffisait pas à ma légitimité – explique aujourd'hui Jean-Philippe Harlicot - J'avais tout de suite compris que c'était bien plus compliqué que la seule intervention chirurgicale ; il y avait autre chose derrière et j'avais besoin de comprendre ».

affiche droits femmes mars 23Avec Martha Diomandé, il part en Côte d'Ivoire à la découverte de l'origine du problème. Et dit-il « les clichés tombent » ! Arrivé sur place pour opérer, il constate que les conditions ne sont pas réunies mais il rencontre les matrones, ces femmes « fascinantes qui pensent sincèrement faire le bien ». « Ça m'a fait gagner du temps de compréhension – dit-il encore- et ça m'a permis d'améliorer l'accueil des patientes en France ».

Depuis dix ans, le docteur Harlicot se partage entre Rennes et la Côte d'Ivoire. Côté France, il a pu mettre en place toute une équipe multidisciplinaire d'accompagnement avec des sages-femmes mais aussi des psychologues et une sexologue. Côte Afrique, à travers ACZA ou GSF, il a multiplié les missions de coopération avec les personnels soignants sur place. C'est avec beaucoup d'humilité qu'il évoque ce travail ; « on est - dit-il – dans la collaboration, l'échange de pratique. Si on arrive avec nos gros sabots d'occidentaux en disant on va bannir l'excision, ça ne marche pas ! »

En effet, grâce à ses voyages répétés en Côte d'Ivoire, il a notamment découvert le vrai visage des exciseuses, les matrones. Elles aussi cheminent et prennent conscience des conséquences de leurs gestes. « Les matrones – dit-il – sont des femmes de pouvoir, elles sont l'équivalent du chef coutumier dans le village et sans leur accord aucune décision ne peut être prise ».

Martha Diomandé, petite-fille d'exciseuse, l'a compris depuis longtemps. Avec son association, elle a entrepris de leur proposer une reconversion mettant en avant leurs autres fonctions de guérisseuses ou d'accoucheuses. Le docteur Harlicot a ainsi pu observer toute leur bonne volonté. « Elles sont tombées de haut – se souvient-il – quand elles ont compris que c'était leur acte qui générait des accouchements difficiles voire la mort de femmes en couches ».

 

« Elles nous déposent ça en consultation
mais certaines voudraient
que leur témoignage trouve plus d'écho »

 

Mieux armé pour accueillir les femmes excisées à Rennes, le médecin avoue avoir beaucoup changé dans sa pratique professionnelle. « C'est un sujet qui va bien au-delà du soin – reconnaît-il – pour finalement revenir au soin avec un autre regard. Quand je prends en charge des femmes qui n'ont pas ce souci-là, je suis plus naturel pour aborder certains sujets comme la sexualité, plus détendu comme j'ai appris à l'être en Afrique ».

Chaque année c'est entre trente et quarante opérations de reconstruction qu'il pratique au CHU de Rennes mais c'est beaucoup plus de patientes concernées. Si l'excision est leur motif de consultation, ce sont souvent les violences associées dues notamment aux parcours de migration qui semblent plus importantes et seules deux ou trois patientes sur dix iront jusqu'à la chirurgie. « Au début – reconnaît Jean-Philippe Harlicot – c'était la technique qui m'intéressait, maintenant on ne la met plus du tout en avant » Il y a des traumatismes que la réparation ne pourra jamais corriger.

ATEP SoropEn revanche, l'engagement du médecin s'inscrit aujourd'hui plus globalement dans la lutte contre les violences grâce notamment à un travail en partenariat. Deux projets lui tiennent désormais à cœur, celui de la photographe Anne-Cécile Estève dont quelques clichés de l'exposition Mue étaient présentés à la MIR le soir de la table ronde, mais aussi un projet qui débute avec l'université Rennes 2.

Sous le parrainage du médecin congolais, Prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, Renée Dickason et Jean-Philippe Harlicot imaginent, avec plusieurs collègues universitaires, professionnels de santé et membres de la société civile la création d'un mémorial des violences : le "Mémorial vivant virtuel des survivant.es de viol(ence)s". Pour ne pas laisser dans l'oubli toutes celles qui souffrent. « Elles nous déposent ça en consultation – dit le médecin rennais évoquant les récits de co-violences souvent entendus – mais certaines voudraient que leur témoignage trouve plus d'écho ». Le travail est en cours...

Geneviève ROY

Photo 3 : Jean-Philippe Harlicot entre Fatma Safi (à gauche) présidente de l'ATEP et Solenn Douard (à droite) présidente du club Soroptimist de Rennes