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Filiz vient de Turquie et son texte parle de son prénom qui signifie « petite fleur qui vient d'éclore ». Elle dit encore d'elle qu'elle « oublie tous les problèmes » et qu'elle « aime les gens ».

Dans l'ambiance studieuse d'un local associatif, en cette veille de représentation publique, elle est venue comme les autres femmes, répéter son texte. D'un bout de la table à l'autre on s'interpelle en arabe ou en français, on s'encourage, on se conseille. Dans la pièce d'à côté, on répète en musique.

Depuis janvier, le projet Slam'O féminin pluriel, porté par Janice Denoual et Déclic Femmes, se construit jour après jour. Dans quelques heures, ces femmes migrantes diront à haute voix leurs propres mots dans une langue qu'elles apprennent peu à peu à apprivoiser.

 

 « La vie est belle quand j'aide les personnes âgées » ; « la vie est belle quand le rêve devient réalité » ; « la vie est belle parce que je viens d'un pays où les gens aiment danser et écouter de la musique ».

L'une après l'autre, elles quittent les rangs du public pour, comme sur une scène de slam, dire au micro le texte que chacune a écrit. Elles viennent de Somalie, d'Afghanistan, de Côte d'Ivoire, de Turquie, du Yémen ou encore du Venezuela ; certaines sont nées ici, en France, peut-être à Rennes.

La soirée proposée par Déclic Femmes est ponctuée de textes de ces « grandes » femmes qui font ce soir-là un peu figure de modèles, à travers le monde et à travers le temps, de Gisèle Halimi à Margaret Sanger, d’Olympes de Gouges à Helen Keller.

 

« Ce n'est pas facile de faire de la poésie
dans une autre langue que la sienne »

 

Depuis le mois de janvier, toutes ces femmes se sont retrouvées régulièrement dans les locaux de Déclic Femmes à Villejean ou ceux des associations partenaires DIDA et Si on s'alliait. « Ce n'est pas facile de faire de la poésie et d'aller loin dans ce qu'on veut dire dans une autre langue que la sienne » commente Janice Denoual, animatrice du projet. Pourtant, toutes ces femmes en cours d'apprentissage du français ont souvent préféré écrire directement dans cette langue étrangère pour elles, « même celles qui étaient débutantes ».

Un beau succès pour la jeune femme, volontaire en service civique à Déclic Femmes jusqu'en juin prochain. Son projet, né de son expérience de professeure de FLE (français langue étrangère) était de réunir des femmes de tous horizons culturels et avec elles de composer des slams. Elles ont répondu à son appel au-delà de ses espérances et elle a dû partager l'accompagnement avec les bénévoles des deux autres associations.

Malgré les contraintes, les empêchements fréquents liés aux démarches administratives ou à la garde des enfants, plus d'une vingtaine de femmes ont pu participer plus ou moins régulièrement. Ce mardi soir à la Maison de Quartier de Villejean, elles sont fières de dire leurs textes entre elles mais surtout devant un public attentif et nombreux.

 

« Ça leur fait du bien de se faire applaudir ;
elles ont beaucoup gagné en assurance ! »

 

« Dans ma tête », « je me souviens » « la belle vie » « la nuit »... Janice a proposé des thèmes, a fait découvrir des textes, a proposé de visionner des courts-métrages, et au fil des semaines le travail s'est construit dans la confiance et sans jugement. Filiz, venue de Turquie avec ses trois enfants, a pu dire son rêve « d'ouvrir un restaurant gastronomique parce que tout le monde aime [sa] cuisine ». Celles qui craignaient de ne pas être là à l'heure pour la représentation ont enregistré leurs voix. Chacune a passé du temps à répéter, à redire les mots difficiles, s'est entraînée à parler moins vite malgré le trac. Elles ont parfois choisi d'évoquer des souvenirs personnels, d'entrer dans l'intime, mais ont quelquefois préféré garder leurs jardins secrets.

declic1Elles ont été soutenues par Asma, Françoise ou encore Janice bien sûr, mais aussi sur scène par Hélène Biard, comédienne professionnelle qui a su les guider, ou Clémence Davoust, qui les a discrètement accompagnées à la guitare.

Et puis surtout, ce projet atteint tous ses objectifs lorsque Janice Denoual peut constater ce qu'elles en retirent chacune personnellement. « Elles sont plus à l'aise et se sentent plus légitimes à parler français, elles ont acquis du vocabulaire – analyse la jeune femme – mais le plus important c'est que tout le monde les écoute et respecte ce qu'elles disent ; ça leur fait du bien de se faire applaudir ; elles ont beaucoup gagné en assurance ! »

L'aventure ne s'est pas arrêtée ce mardi 21 mars en fin de représentation. Toutes celles qui le souhaitent pourront continuer à fréquenter les ateliers d'écriture et les cours de français de Janice et des autres associations. Il reste quelques mois pour prolonger le projet et qui sait, proposer une autre soirée slam. « Elles n'ont pas beaucoup parlé d'elles » estime finalement Janice qui espère pourvoir aller plus loin, parce que pense-t-elle « c'est beau ce qu'elles disent... »

Geneviève ROY

 

Photos : Déclic Femmes