Lorsque le film se termine sur les images d'une jeune femme emportée par le rythme d'une musique de danse, lorsqu'on entend sa voix chanter « on est des guerrières », on se dit que si c’était une fiction on parlerait de happy end.

Comme il s'agit d'un film documentaire, on est un peu moins optimiste pour l'avenir de Chaylla.

Quelques jours plus tard, au téléphone, Clara Teper qui a co-réalisé le film, nous confirme que son héroïne a encore connu des heures sombres après la fin du tournage mais qu'aujourd'hui les choses semblent s'arranger.

affiche chaylla

 

Chaylla est une jeune femme du Nord de la France dont la vie, dès l'enfance, a été semée de nombreuses embûches. Victime de violences conjugales, elle se retrouve dans un foyer d'hébergement et c'est là que les documentaristes Clara Teper et Paul Pirritano font sa connaissance.

Leur envie n'est pas au départ de faire un film sur les violences conjugales mais plutôt de raconter cette région éprouvée par les crises économiques et notamment la fermeture des mines de charbon. Originaire du Pas de Calais, Paul Pirritano veut montrer le bassin minier qui l'a vu naître. Sa compagne, Clara Teper se dit également intéressée par l'histoire ouvrière. « Ma démarche en tant que réalisatrice – dit-elle – c'est d'être dans la rencontre, de voir comment se passe la vie des gens et de comprendre comment les gens eux-mêmes parviennent à changer le cours de leur existence ».

« La complexité d'une histoire singulière »

Le couple choisit un foyer d'hébergement pour femmes, le 9 de Cœur, à Lens, commence à échanger avec les résidentes et imagine filmer quelques portraits croisés. C'est leur rencontre avec Chaylla qui en décidera autrement. « On fumait une cigarette avec d'autres résidentes devant le foyer quand elle est arrivée – se souvient aujourd'hui Clara Teper – elle était lumineuse, elle a fait une blague qui a fait rire tout le monde et on s'est dit que c'était cette joie, ce dynamisme qu'on voulait montrer ». Chaylla, dès qu'ils la voient, devient « l'héroïne du film ».

Pas question pour eux d'en faire « la victime exemplaire ni un étendard » de la cause. C'est « la complexité d'une histoire singulière  » qui les inspire. La jeune femme accepte assez facilement et le tournage commence alors qu'elle vit au foyer avec son petit garçon. Si Chaylla n'oublie jamais la caméra, un tel rapport de confiance s'est établi au sein du trio que l'intimité se dévoile sans voyeurisme ni jugement.

clarateperQuatre ans plus tard, à l'automne 2021, le film est enfin en phase de montage. Les documentaristes ne sont pas pressés, ce qu'ils apprécient c'est de prendre le temps d'entrer dans la vie de leur sujet, d'être en « immersion ». Des années durant lesquelles, régulièrement, ils reviennent dans le Nord pour filmer des scènes toujours prises sur le vif. La vie de Chaylla se déroule avec ses hauts et ses bas : elle quitte le foyer pour recommencer à vivre avec son conjoint violent, elle donne naissance à un deuxième enfant, elle finit par porter plainte puis c'est à nouveau la rupture.

« Elle est fière du film, elle le porte et le défend »

Sur l'écran se succèdent les plans de fêtes et les images de larmes, les bougies d'anniversaire et les entretiens avec l'avocat. A sa meilleure amie, elle confie que sa visite au commissariat ne servira sûrement à rien. Pourtant Clara Teper modère ces propos. « Il faut continuer à encourager les femmes à porter plainte car le cas de Chaylla montre que ça ne mène pas à rien. Son conjoint sera condamné et c'est grâce à l'injonction d'éloignement qu'elle pourra vraiment cesser cette relation complexe. » Mais il faut aussi encourager les femmes à poursuivre leur combat, estime-t-elle. L'avocat de Chaylla a reconnu hors caméra que sur treize plaignantes, Chaylla était la seule à être allée jusqu'au bout.

Etonnament peut-être, c'est sa belle-mère, la mère du conjoint, qui est à ses côtés et la soutient à la fois dans ses démarches et pour la prise en charge de ses deux enfants. En quelques semaines, pendant le montage du film, cette précieuse alliée s'en est allée, emportée par un cancer foudroyant. Pour Chaylla, que l'on avait quittée soulagée par la décision de justice sur les dernières images du film, c'est une nouvelle épreuve. Elle ne peut plus faire face et ses enfants doivent être placés.

Aujourd'hui, voilà un an que le film qui porte son nom est sorti et suit son chemin de festival en festival. Chaylla en est « très fière - confie la co-réalisatrice - elle le porte et le défend », participant souvent elle-même aux débats qui sont proposés en fin de projection. Est-ce cette aventure qui lui donne la force ? En tout cas, elle a repris sa vie en main, a volontairement rejoint le centre d'hébergement pour y être accompagnée psychologiquement et dans ses démarches pour retrouver la garde de ses enfants, ce qui semble en bonne voie.

Clara Teper qui met au cœur de son travail les mécanismes qui permettent de « changer la vie des gens » a peut-être, le jour où elle a rencontré Chaylla, permis cette transformation.

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : le film Chaylla diffusé le 11 mars à Rennes dans le cadre du festival Ré-elles sera projeté à Rezé, près de Nantes, le mercredi 29 mars prochain à 20h 30 au cinéma Saint-Paul à l'occasion du Forum-Visages, festival du film documentaire d'intervention sociale