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Le salon de thé de la rue Vasselot où elle donne ses rendez-vous est pour Patricia Godard un endroit symbolique.

C'est là, dit-elle, qu'elle a souvent rencontré Colette Cosnier, décédée en janvier 2016. Tout juste cinq ans ; le temps qu'il aura fallu pour écrire la biographie de la professeure d'université elle-même autrice de tant de biographies de femmes oubliées.

Son féminisme, traduit « en toutes lettres » dans son enseignement et ses écrits, permet aujourd'hui à Patricia Godard de se sentir maillon d'une chaine de femmes engagées. Une façon pour elle de rendre hommage à cette « rennaise discrète » dont elle a fait son modèle.

 

Lorsque les deux femmes se rencontrent, Patricia Godard travaille avec Lydie Porée avec qui elle a créé l'association Histoire du Féminisme de Rennes. Leur ouvrage Les Femmes s'en vont en lutte, écrit à quatre mains, retrace les luttes féministes des années 70 et 80 à Rennes. On leur a dit qu'elles devaient entendre le témoignage de Colette Cosnier même si celle-ci ne se considère pas comme une militante. « Elle se voyait un peu comme une sorte de dinosaure féministe, c'est elle qui utilisait cette expression – se souvient aujourd'hui Patricia – et elle était très contente de savoir qu'on existait et de voir les luttes continuer ».

Elle n'aimait ni les honneurs, ni le devant de la scène

Dès le début, Patricia pense qu'elle vient de croiser une « grande dame » et décrit, des années après, cette « belle rencontre » comme un « coup de foudre ». Régulièrement, les deux femmes se revoient et s'entretiennent de ce combat qui aboutit à la fin des années 70 au droit à l'IVG voté par l'Assemblée Nationale. Le jour de leur première rencontre, à son domicile rennais, en novembre 2012, Colette Cosnier offre à Patricia Godard un exemplaire de sa pièce de théâtre Marion du Faouet. « Je l'ai lu – dit la jeune femme - et ensuite je n'ai pas arrêté d'essayer de dégoter ses livres qui n'étaient plus édités ». Et quand la professeure meurt c'est une évidence pour elle de prolonger cette complicité par l'envie d'écrire pour lui rendre hommage.

Godard2Pendant cinq ans, donc, Patricia emploie tout le temps libre que lui laissent son travail d'enseignante en école maternelle, sa vie personnelle et ses nombreux engagements associatifs et militants pour marcher sur les pas de Colette Cosnier. A Rennes, bien sûr, et à Angers aux Archives du Féminisme (17 cartons à éplucher !) mais également jusqu'à la Flèche où elle était née en 1936. Ainsi, une trentaine de personnes – ami.es, ancien.nes collègues, ancien.nes étudiant.es – et de nombreuses lectures vont lui permettre de retracer le parcours de cette femme discrète qui n'aimait ni les honneurs, ni « le devant de la scène » et souhaitait mettre en avant son travail avant sa propre personne. Une de ses principales « sources orales » est André Hélard, mari de Colette Cosnier, qui veille désormais sur l'héritage culturel de son épouse.

L'été dernier, avant de partir en vacances, Patricia Godard a mis le point final à son récit, Colette Cosnier, un féminisme en toutes lettres, puis l'a confié à André Hélard. Quelques heures plus tard, il lui faisait part de son enthousiasme. La jeune femme qui avait entamé son travail de recherche sans savoir où tout ça la mènerait, se réjouit désormais à quelques jours de la sortie officielle de son livre aux éditions Goater. « Je m'étais dit que je faisais ça toute seule dans mon coin ; je ne voulais pas me mettre la pression pour que ça reste un plaisir. Je n'ai contacté l'éditeur qu'au dernier moment ».

Une histoire qui traverse une époque, un destin dans un monde

C'est une forme particulière que Patricia Godard a choisie pour parler de Colette Cosnier. Elle s'est livrée à « un entretien imaginaire ». Elle pose les questions et son héroïne lui répond. « J'ai beaucoup cherché d'extraits de textes où elle s'exprime en son nom – explique-t-elle – comme elle a elle-même écrit beaucoup de biographies, ça me faisait un peu peur. J'ai mis du temps à trouver la bonne forme ». Une façon peut-être de revivre ces heures de dialogue passées autour d'une tasse de thé...

couvcosnierL'ancienne étudiante en philosophie ne le cache pas : elle a un peu retrouvé d'elle-même dans le parcours de Colette Cosnier. « Moi aussi – dit-elle sobrement – je viens d'un milieu populaire ». Et c'est cette implication personnelle qu'elle souhaite aussi faire expérimenter à ses lecteurs-trices. Ce qui l'a interessée, dit-elle, dans l'écriture de ce parcours c'est la façon dont il traverse toute une époque. « On démarre en 1936 et on arrive en 2016 – résume-t-elle – c'est un destin dans un monde. Je veux qu'en lisant la vie de Colette, on puisse retrouver des lieux, une époque, une ambiance... »

Même si elle s'en défendait, Colette Cosnier apparaît bel et bien comme une militante. Certes, on la voyait peu dans les manifestations de rues, mais ses engagements se vivaient ailleurs. « Elle avait un féminisme très affirmé et sans concession sur plein de choses – estime Patricia Godard – c'était une militante dans le sens où elle n'a jamais fait de compromis par rapport à ses idées. Elle était farouchement anti-8 mars parce qu'elle craignait que cette date soit récupérée à des fins commerciales. »

Celle qui prétendait « il faut faire ce qu'on sait faire et moi, ce que je sais faire c'est écrire et enseigner » a su montrer sa détermination en imposant pour la première fois dès 1973 un cours universitaire de littérature entièrement composé d'autrices. « Son arme c'était la littérature – dit Patricia Godard – et ce qu'elle transmettait à ses étudiantes c'était vraiment des idées féministes ! Elle a milité par ses cours, par ses textes, sans jamais rien lâcher !  »

Comme une force nouvelle, comme un modèle

Ecrire un livre seule, c'était pour Patricia Godard une première expérience dont elle ressort enchantée. « Ça n'a pas toujours été facile – dit-elle – mais ce n'est que du positif. Ce travail a ancré davantage mon féminisme et m'a donné une force nouvelle. Colette est un modèle pour moi car quand elle voulait faire quelque chose elle le faisait et là, j'ai pu aller au bout de mon projet. Je pense que le féminisme, c'est comme une chaine de femmes et je fais partie de cette chaine ».

Avec la sortie du livre, le travail de Patricia Godard ne s'arrêtera pas pour autant. Et les occasions vont être nombreuses à Rennes de mettre en lumière le parcours de Colette Cosnier. En effet son œuvre se matérialise non seulement dans ses livres mais aussi dans des pièces de théâtre ou encore des films vidéo amateur conservés par la Cinémathèque de Bretagne.

Pour l'écriture, Patricia a longtemps travaillé le matin, de six heures à sept heures, avant de partir à l'école. Cette expérience de travail solitaire lui a tellement plu qu'elle envisage déjà une suite. « Un travail de recherches, forcément ça fait naitre de nouveaux projets – dit-elle avec malice – je n'ai encore rien de précis, mais j'ai plein d'idées ». De toute façon, elle a gardé l'habitude de mettre son réveil à sonner très tôt le matin...

Geneviève ROY

Pour aller plus loin

Parution le 25 février de Colette Cosnier, un féminisme en toutes lettres de Patricia Godard aux éditions Goater, préface de Michelle Perrot - soirée de lancement au café le Papier Timbré le 25 février

Patricia Godard présentera son ouvrage à la MIR le 17 mars prochain en compagnie de André Hélard qui reviendra sur une biographie écrite par Colette Cosnier, Marie Bashkirtseff, un portrait sans retouche réédité en janvier 2022 par les PUR (Presses Universitaires de Rennes)

L'association Histoire du Féminisme à Rennes propose des visites guidées sur les traces de Colette Cosnier – la prochaine aura lieu le 19 mars 2022

A paraître : Louise Bodin, la bolchévique aux bijoux de Colette Cosnier – réédition aux PUR en 2023