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« Tu as enlevé le tabou et on t'en remercie ; aujourd'hui est tous là pour dire qu'il faut que ça s'arrête. Et pour que ça s'arrête, il faut te soutenir dans ton combat ! » Le public réuni pour l'avant-première du film « La Forêt Sacrée » est déjà tout acquis à la cause que défend Martha Diomandé avec son association ACZA.

Même si sa façon de lutter contre l'excision dans sa région natale de Côte d'Ivoire peut parfois surprendre et souvent susciter des questions.

C'est d'ailleurs cette ambiguïté qui a séduit Camille Sarret, la réalisatrice. A les entendre toutes les deux, on devine le temps qu'il leur a fallu pour s'apprivoiser jusqu'à ce jour où l'une a emmené l'autre dans son village à la rencontre de ces matrones qui pratiquent encore aujourd'hui un acte devenu hors la loi.

Sur l'écran se succèdent pendant près d'une heure les confidences de Martha Diomandé, danseuse et chorégraphe, fondatrice à Rennes de l'association ACZA. Des scènes entrecoupées d'images de formation dispensée par une sage-femme, de femmes pénétrant une forêt profonde comme si elles allaient dévoiler le plus grand des secrets, d'enfants occupés aux tâches quotidiennes... Petite-fille et fille d'exciseuse, Martha aurait dû l'être aussi dans son petit village de Côte d'Ivoire. Le destin en a décidé autrement. Et si elle se bat désormais pour l'arrêt de cette pratique qu'elle qualifie elle-même de « barbare » elle défend aussi l'idée qu'il faut en garder une part, ce qu'elle appelle « l'éducation ».

Aujourd'hui, l'excision est interdite en Côte d'Ivoire et les femmes qui continuent sont passibles de prison. Martha pense que cette « tolérance zéro » est excessive. Quinze villages sont actuellement accompagnés par son association sous l'œil bienveillant du préfet de la région qui comme Martha doit penser « qu'il faut adapter la politique à chaque région et à chaque croyance. »

afficheDans ce peuple animiste où la jeune femme a grandi, l'excision, c'est surtout un moment où les femmes âgées transmettent leur savoir et leur sagesse aux plus jeunes. Et la danseuse se souvient avec un peu de nostalgie combien elle attendait cet événement qui lui permettrait de devenir adulte. « Ils n'arrivent plus à transmettre à leurs enfants tout ce qui concerne leur religion – dit-elle – Moi, je veux garder quelque chose de cette pratique. Il y a l'acte barbare, mais il y a autre chose qui est positif. On ne peut pas balayer une tradition comme ça, sans tenir compte de ceux et celles qui la font. »

« Martha pouvait être une clé de compréhension »

Martha le sait, son attitude laisse parfois dubitatif. Comment une femme qui a vécu un tel traumatisme peut dire avec sincérité : je n'en veux pas à ces femmes ?

C'est sans doute ce qui a plu à la réalisatrice Camille Sarret qui se souvient : « J'ai lu un article sur Martha et ça m'a attirée. Elle était descendante d'exciseuse et on sentait qu'elle restait attachée à cette tradition tout en voulant l'éliminer. Je voulais comprendre ce paradoxe. Et quand je l'ai rencontrée, j'ai senti qu'elle voulait m'ouvrir une porte. C'est elle qui m'a invitée à aller dans son village que j'ai trouvé magnifique et où j'ai rencontré des femmes très attachantes. Je me demandais pourquoi autant de femmes en Afrique continuaient à faire exciser leurs petites filles alors que tant de choses évoluent, que l'éducation primaire s'est développée, que beaucoup d'associations de femmes s'investissent soit dans l'économie soit sur les droits des femmes et notamment la sexualité. Martha pouvait être une clé de compréhension et me permettre de décaler mon regard. Elle avait une approche émotionnelle, sentimentale, un attachement réel à son village et à ces femmes. »

Quant à Martha, elle a rencontré en la personne de Camille, celle qui pourrait lui permettre de s'expliquer. « Mon objectif était de faire comprendre aux gens tout ce qui me passait par la tête – dit-elle – tout ce poids que j'avais. Je sais que mon combat est compliqué à comprendre pour des gens qui ne me connaissent pas. Je ne veux pas condamner ces femmes ; je les respecte. Je veux que tout le monde comprenne qu'elles le font par ignorance. »

« Le changement viendra quand les femmes seront autonomes »

marthaAlors avec son association, Martha a choisi d'aider ces femmes, les matrones exciseuses, à se reconvertir. Aujourd'hui, dans sa région d'origine, si l'excision a beaucoup diminué, on la pratique encore. Mais progressivement, Martha en est persuadée, les choses vont changer. Et sans qu'il soit utile de mettre qui que se soit en prison.

« Une matrone fait vivre au moins vingt à trente personnes de sa communauté et dans chaque village, il y a quatre ou cinq matrones – explique Martha – Nous voulons former les matrones pour qu'elles deviennent des accoucheuses traditionnelles. Le but est que toutes ces femmes arrivent à s'en sortir financièrement. On a aussi un projet pour leurs acolytes, ces femmes qui les accompagnent dans la forêt pour s'occuper des filles, pour danser, etc. Le changement viendra quand toutes ces femmes seront autonomes. Déjà, elles commencent à cultiver du riz, à vendre de l'huile ou du savon que l'association finance. »

Pour leur permettre de s'organiser, ACZA est en train de terminer le financement d'une construction. La maison sortie de terre et qui n'attend plus que le matériel nécessaire sera maison d'accouchement dès le printemps prochain. « Elles ne sont pas encore toutes d'accord pour arrêter l'excision – explique Martha – mais celles qui sont prêtes vont commencer le travail d'accoucheuses dès l'inauguration de la case en avril. Et progressivement les autres aussi vont suivre. »

« La répression est ce qu'il y a de plus facile et de moins coûteux »

En attendant, la case sert déjà de salle de réunions à toutes ces femmes et Martha reconnaît que sa dernière sensibilisation contre l'excision a permis de recueillir « beaucoup plus de confidences parce que c'était dans un lieu sécurisé » et que « les femmes étaient fières d'être dans leur case. »

Convaincue aujourd'hui du combat de Martha – et surtout de ses méthodes parfois étonnantes – Camille Sarret rappelle que l'excision est interdite en Côte d'Ivoire depuis 1997 mais que très peu de projets de sensibilisation sont financés par l'état. « La répression est ce qu'il y a de plus facile et de moins coûteux » en déduit-elle. Son film est destiné à éclairer sur cette question, mais pour le projeter en Côte d'Ivoire elle devra attendre encore un peu. « Il faut d'abord préparer le terrain » estime Martha qui par ailleurs se pose la juste question : « ce film ne va-t-il pas servir à dénoncer des femmes qui vont se retrouver en prison ? » Une réaction contre productive puisque, rappelle la danseuse, chaque arrestation d'exciseuse entraîne une vague massive d'excisions par des « femmes [qui] se braquent contre le gouvernement. »

Martha sait qu'il faut du temps. « Avec tout le poids de la tradition que j'ai encore – analyse-t-elle – même si j'ai changé ici, j'ai encore du mal à affronter mes parents là-bas. » Alors, le changement, elle y croit mais elle compte l'apporter « tranquillement ».

Geneviève ROY

Pour aller plus loin :

Le film « La Forêt Sacrée » de Camille Sarret produit par Vivement Lundi sera diffusé sur TV Rennes le 20 octobre à 20h 45 puis le 21 octobre à 10h et le 24 octobre à 15h et 23h. Il sera disponible prochainement en DVD à la vente ainsi que pour des associations ou des professionnel-les qui souhaiteraient organiser une diffusion pour ouvrir un débat ou sensibiliser à la question de l'excision.

Le documentaire est également sélectionné pour le festival Lumières d'Afrique de Besançon du 7 au 15 novembre.

L'association ACZA dispense des sensibilisations et des formations en Côte d'Ivoire et organise chaque année à Rennes l'élection de Miss Africa pour sensibiliser localement à la question de l'excision, notamment les adolescentes et les jeunes filles d'origine africaine.

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