A quelques semaines des élections européennes, le Planning familial d'Ille et Vilaine et le CIDFF 35 ont organisé début avril une table ronde sur le droit à l'avortement en Europe. Une occasion aussi pour faire le point sur la situation en Bretagne. Partout apparaissent des dysfonctionnements et des disparités pour un droit qui finalement n'en est pas toujours un.

On le sait l'Europe n'a pas l'objectif de mettre en place des politiques identiques dans tous les pays membres. En matière de droits sexuels et reproductifs, on est loin en effet de pouvoir parler d'égalité pour les européennes. Les situations sont aussi nombreuses que possible entre la Grande-Bretagne qui a légalisé l'IVG en 1967 et Malte ou l'Irlande où elle est encore interdite en passant par tous les cas de figures, de l'IVG entièrement remboursée comme c'est le cas en France depuis un an, des délais de douze semaines en moyenne et jusqu'à 24 semaines aux Pays-Bas, de la prise en charge des mineures, etc.

« En Europe toutes les situations existent et beaucoup continuent à évoluer » résume Françoise Laurant, présidente de la commission du Haut Conseil à l'Egalité en charge des droits sexuels et reproductifs et ancienne présidente nationale du Planning Familial. « Il peut aussi y avoir des reculs – précise-t-elle – comme c'est le cas actuellement en Espagne. » Elle évoque aussi les pays les plus récemment entrés dans l'Union Européenne, ces pays de l'Est de l'Europe où la politique communiste avait de fait autorisé l'avortement sans de véritables lois pour encadrer les pratiques. Depuis quelques années, ils sont en cours de révision de leurs législations, l'occasion pour certains d'inscrire ce droit dans la loi mais pour d'autres, où l'Eglise catholique est plus puissante, de s'interroger sur sa pertinence.

Si l'Europe n'a finalement aucun moyen d'influer directement sur les lois des pays, Françoise Laurant souligne cependant qu'elle a pour fonction de permettre aux différents états membres notamment à travers la Charte des droits fondamentaux dans laquelle est déjà inscrite l'égalité femmes/hommes d'attirer l'attention des états.

Elle insiste également sur l'écart qui existe parfois entre les gouvernements et leurs populations. En Espagne par exemple, le premier ministre semble bien décidé à mettre en œuvre sa promesse de campagne électorale, renvoyant les espagnoles trente ans en arrière, alors que 75% de la population est hostile au changement de loi et que même à l'intérieur du parti politique qui dépose le projet de loi, les sondages estiment que 55% des sympathisants sont contre. Les pays les moins avancés comptent sur d'autres, comme la France notamment, pour francoiselaurantpermettre des évolutions ; pourtant, chez nous aussi tout n'est pas rose.

Un rapport du Haut Conseil à l'égalité

Chargé par la ministre des droits des femmes d'un rapport sur les inégalités liées à la pratique de l'IVG en France, le Haut Conseil à l'égalité a rédigé un rapport fin 2013 et préconisé un certain nombre de mesures. « Le gros problème en France, c'est que personne ne considère que c'est un droit comme un autre » reconnaît Françoise Laurant. D'où le sentiment de culpabilité que continuent à ressentir certaines femmes quand on leur demande d'expliciter les raisons de ce choix ; depuis bientôt trente ans l'IVG est pourtant un droit qui ne devrait pas être à justifier. A cet égard, on ne peut que se réjouir de la disparition du terme de « détresse » votée récemment par l'Assemblée nationale.

Le HCEhf a par ailleurs pointé le délai de réflexion de sept jours imposé par la loi entre le premier entretien et l'IVG elle-même. Si cette réflexion pouvait se concevoir en 1975, Françoise Laurant souligne qu'aujourd'hui « dans 99% des cas, les femmes ont réfléchi avant de venir consulter ; leur demander de retourner chez elles pour continuer à réfléchir, c'est les infantiliser et les culpabiliser. »

Outre ces dysfonctionnements, le Haut Conseil rappelle surtout qu'il existe d'énormes disparités entre les régions de France et notamment en matière d'information. Hors des grandes villes, il est souvent difficile de savoir où et à qui s'adresser. Une première réponse a déjà été apportée par le ministère qui a mis en place en 2013 un site afin de centraliser l'information mais aussi pour éviter que les femmes en recherche de renseignements ne trouvent sur la toile que les sites anti-IVG très présents et bien référencés. Raison pour laquelle le rapport du HCEfh demande également l'ajout dans la loi d'un « délit d'entrave » qui puisse être utilisé contre les sites qui délivrent de fausses informations.

Quant aux centres IVG eux-mêmes, ils sont de moins en moins nombreux sur le territoire ; « il y a eu des regroupements d'hôpitaux – explique Françoise Laurant – à cause de la réforme hospitalière, destinée essentiellement à faire des économies, et certaines femmes doivent parfois faire plus de 150 kilomètres pour avoir recours à une IVG ».

En Bretagne moins qu'en France

En Bretagne, 26 établissements pratiquent l'IVG aujourd'hui soit quasiment toutes les maternités. Le centre de Vitré a été fermé depuis quelques années et d'autres « petits » centres ont une activité très limitée, c'est donc sur les grandes villes et notamment à Rennes que se concentrent les IVG avec près de 2000 interventions par an ( 400 à Saint-Malo et entre 100 et 150 dans les autres centres plus petits) dont la moitié sur des femmes de plus de 25 ans.
vincentlavoueLa médecine libérale et les cliniques, y compris les cliniques mutualistes, se désengagent d'une pratique que gère donc presque seul l'hôpital public. La raison bien sûr est financière. « Ce n'est pas rentable puisque les coûts engendrés sont supérieurs aux remboursements de la sécurité sociale » explique le Docteur Vincent Lavoué, gynécologue responsable du centre IVG de l'hôpital sud à Rennes.

On compte un peu moins d'IVG en Bretagne que sur le reste du territoire français soit environ 12 pour 1000 femmes contre 14 pour 1000 en France, un taux stable qui situe notre pays en milieu de classement par rapport aux autres états européens (6 pour 1000 en Grèce ; 17 pour 1000 en Suède).

« Notre service administratif est organisé indépendamment du service administratif global pour respecter une certaine discrétion » indique encore le docteur Lavoué relevant lui aussi que le sentiment de culpabilité reste présent pour bien des femmes.

« Moi, je suis arrivé après les combats – témoigne celui qui est devenu responsable du centre IVG en 2009 – donc je pratique l'IVG comme un autre acte médical ». Si une attestation signée par un médecin est obligatoire pour faire une demande d'IVG, ceux-ci se voient contraints par la loi de la faire ; le docteur Lavoué déplore que certains de ses confrères restent réticents ce qui est donc illégal.

Françoise Laurant pour sa part a rappelé l'existence d'une clause de conscience incluse dans la loi de 1975 alors qu'une clause de conscience globale existe déjà pour les personnels de santé en milieu hospitalier en France concernant tous les domaines d'interventions. « Il n'y a pas besoin de cette clause spécifique pour l'IVG » pense-t-elle.

Quand l'Union Européenne crée de l'espoir

Peut-on attendre de l'Europe, quelle qu'elle soit dans quelques semaines après les élections (entre le 22 et le 25 mai pour 500 millions d'électeurs des différents états membres) que les droits sexuels et reproductifs des femmes avancent ?

Pour Françoise Laurant, ce n'est clairement pas dans les compétences directes de l'UE. Néanmoins, ces lois typiquement réservées aux états restent interdépendantes de ce qui peut se jouer au niveau international.

« Il faut remonter aux années 90 pour entendre parler des droits et des devoirs des pays à s'occuper des femmes et de leur possibilité de gérer leur maternité ou leur non maternité – explique-t-elle - La première grande conférence internationale à y faire référence était celle du Caire en 1994, qui avait soulevé l'idée que tous les pays devaient organiser la planification familiale, la contraception, etc. et essayer de faire en sorte que les avortements soient faits de façon sûre, autrement dit qu'ils soient encadrés par une loi. Depuis le début des années 2000, il y a eu des retours de balanciers alors qu'on sait que le développement d'un pays ne peut se faire que si les femmes sont autonomes ce qui passe d'abord par une maîtrise de leurs maternités. Avec notamment l'arrivée au pouvoir de Bush aux Etats-Unis et des tentatives de certains lobbies réactionnaires pour faire reculer non seulement le droit à l'avortement mais aussi la reconnaissance de l'homosexualité ou la prévention du VIH, on peut avoir l'impression d'un retour en arrière. »

On a vu dernièrement avec le rejet du rapport Estrela que l'Europe actuelle a du mal à garder le cap sur ces questions de société. Or, il est de son ressort de prévoir des textes qui certes n'obligeront pas les états à voter des lois mais pourront permettre aux associations notamment de s'appuyer dessus pour faire pression sur leurs gouvernements. Pour Françoise Laurant, « les institutions européennes peuvent créer de l'espoir » pour tous. Un enjeu important des prochaines élections !

Geneviève ROY