Rendre les patientes plus conscientes de leur traitement et actrices dans leur protocole de soin, leur permettre de se sentir moins isolées. Tels sont les objectifs du Sénopôle Sévigné, association fondée en mars 2020 pour l'accompagnement des femmes atteintes de cancer du sein.

Si elles profitent du mois d'octobre pour présenter leurs activités, les membres de l'association restent « mitigées » sur cette vague rose qui déferle sur la France.

« Ce n'est pas si rose d'être malade » prévient Géraldine Giboire, patiente experte de l'équipe qui redoute les dérives de cette période où les paillettes ont parfois tendance à cacher la dure réalité.

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Le Sénopôle Sévigné, association indépendante hébergée par l'hôpital de Cesson-Sévigné, c'est toute une équipe de femmes qui « s'orchestrent » selon les mots du docteur Cécile Bendavid-Athias. La chirurgienne sénologue fait partie d'une équipe médicale et para-médicale pluridisciplinaire composée d'une kinésithérapeute, d'une sexologue et d'une sophrologue qui lors de consultations ou d'ateliers individuels ou collectifs accompagnent « au mieux les malades dans leur parcours, au moment de l'annonce, pendant les traitements ou après en fonction de leur temporalité et de leurs besoins ».

Aucune obligation pour les malades, suivies à Cesson ou ailleurs, qui viennent quand le moment s'en fait sentir. Les intervenantes du Sénopôle sèment « des petites graines », font des propositions et les patientes y répondent quand elles sont prêtes mais savent qu'elles vont trouver à cet endroit « un groupe qui va entendre » ce qu'elles ressentent. Pour Géraldine Giboire, co-fondatrice du Sénopôle, il y a celles qui vont « tout chercher sur internet » et celles qui « ne posent jamais de questions » mais toutes les femmes concernées doivent savoir qu'une porte est ouverte pour elles quand elles ont besoin ou envie de dire « j'en ai marre » ou de trouver des réponses.

« Au niveau médical, j'avais toutes les réponses que je voulais – se souvient Géraldine Giboire – mais je ne pouvais pas demander au médecin où j'allais trouver une perruque ! » C'est cet accompagnement-là qui lui a manqué lorsqu'elle était malade et qu'elle tente de procurer aujourd'hui aux patientes du Sénopôle.

 

« Je suis une projection pour elles ;

le visage de l'après »

 

Une façon un peu différente donc de vivre la relation médecin/malade empruntée aux maladies chroniques - le diabète par exemple - qui fonctionnent ainsi depuis longtemps. Au cœur de cette équipe, Cécile Bendavid-Athias insiste sur une spécificité qui fait la différence, la présence d'une patiente experte. Géraldine Giboire, préfère parler de « patiente partenaire ». Pour assurer sa fonction auprès des équipes médicales, elle a suivi une formation d'un an et obtenu un Diplôme Universitaire à la Sorbonne-Salpêtrière, estimant que si son expérience était primordiale elle ne suffisait pas à sa crédibilité.

Senopole2Pourtant, c'est bien son vécu qui intéresse les patientes qui la consultent aujourd'hui. « Le médecin va dire "vous allez perdre vos cheveux" mais moi, je peux leur dire ce que c'est de vivre sans cheveux ! » explique-t-elle évoquant ces femmes qui après quelques conversations téléphoniques demandent à la rencontrer physiquement. «  Je suis une projection pour elles - dit-elle encore - elles veulent voir le visage de l'après ».

Des moments de grande sororité pour la patiente partenaire qui anime entre autres choses les ateliers papotage. « Il y a – dit-elle – des confidences entre femmes, ça fait du bien d'être entre nous, sans " blouses blanches". Chacune sait pourquoi elle est là et ça permet de mettre des mots sur les maux ». Géraldine Giboire se voit comme « une passerelle » entre le monde médical et les patientes mais aussi les associations, les aidants, les familles... « L'idée – dit-elle – c'est de trouver une autre façon de s'adresser aux patientes, d'expliquer les choses, de parler de patientes à patientes. »

 

«  Ça ne doit pas être une fête ;

ce n'est pas si rose d'être malade ! »

 

Si c'est à l'occasion du mois d'octobre que le Sénopôle Sévigné s'est rendu visible à Rennes, notamment le 12 octobre place de la Mairie, les événements labellisés Octobre Rose sont perçus avec une certaine méfiance par l'équipe présente ce jour-là.

« On est en rose toute l'année » précise Cécile Bendavid-Athias qui reconnaît toutefois que « malgré la connotation un peu commerciale » cette période permet de « sensibiliser la population sur l'intérêt du dépistage et de rassembler autour d'une cause ». « C'est aux soignant.e.s de faire attention à ce qu'il n'ait pas trop de dérives – ajoute Anne Mercier-Blas, oncologue – octobre permet surtout de lancer des projets qui vont durer toute l'année comme ces formations à l'auto-palpation que nous allons proposer aux personnels hospitaliers ».

Seno3De son côté Géraldine Giboire se montre plus réticente face à cette vague rose. « D'une part – dit-elle – ce n'est pas vraiment rose d'avoir un cancer ; beaucoup de femmes vont apprendre leur maladie en octobre et d'autres vont décéder. Ce qui me fait peur c'est la banalisation, le côté festif ; on entend beaucoup dire que maintenant le cancer du sein se guérit très bien. Il y a quand même 12 000 mortes par an et une femme sur deux en France ne répond pas à l'invitation du dépistage systématique ! »

Une indignation qu'elle accompagne d'exemples concrets comme cette photo d'une vache aux pis roses ou encore cette pâtisserie à la framboise élégamment accompagnée du slogan "croque le nichon". Le tout bien sûr aux couleurs d'Octobre Rose.

Chaque mois, ou presque, a sa couleur et son cancer rappellent ensemble les membres du Sénopôle Sévigné. Qui connaît Septembre Turquoise dédié aux maladies gynécologiques ? « Je pensais – regrette Géraldine Giboire – que notre visibilité allait permettre d'éclabousser les autres cancers mais j'ai l'impression que c'est devenu le mois des femmes qui ont eu un cancer du sein et plus du tout le mois de la sensibilisation. On donne 5€ pour aller courir entre copines avec une perruque rose sur la tête pour se donner bonne conscience et puis c'est tout. Le message ne passe pas vraiment... Ça ne doit pas être une fête ! »

Geneviève ROY

 

Photo 2 : de gauche à droite, Géraldine Giboire, Anne Mercier-Blas et Cécile Bendavid-Athias sous leur bulle place de la Mairie le 12 octobre à Rennes