Le 26 août 1827 - ou le 24 août 1826 selon les sources -  dans le café brestois tenu par les époux Duval on fête la naissance de la dernière fille de la famille : Nathalie.
Il semble que les revenus des Duval soient suffisants pour assurer à l'enfant une éducation correcte.

A 12 ans elle quitte l'école et elle devient ouvrière relieuse de livres.

A 18 ans, elle épouse Jérôme Lemel – ou peut-être Le Mel selon certains biographes – de huit ans son aîné, également ouvrier-relieur. Le couple ouvre en 1849 une boutique de librairie-reliure à Quimper où ils se sont installés. De leur union naissent trois enfants. Mais leur activité périclite et en 1861 la famille quitte la Bretagne pour s'installer à Paris où ils espèrent trouver du travail.
Nathalie Lemel commence semble-t-il par vendre des livres, puis elle se fait engager par un atelier de reliure.

Une des premières femmes déléguées syndicales

En Europe, le climat social est de plus en plus agité. En 1864, l'Association Internationale des Travailleurs plus connue sous le nom de « Première Internationale » est créée à Londres. En août les ouvriers relieurs se mettent en grève. Le mouvement est extrêmement dur. Un certain Eugène Varlin se distingue particulièrement lors de ce conflit (1).

lemelEst-ce au contact des livres sur lesquels elle travaille que Nathalie se conscientise politiquement ?
Toujours est-il qu'elle devient socialiste et qu'elle adhère à l'Internationale en 1865.
Sous l'impulsion de Varlin, partisan de l'égalité des sexes, elle entre à un poste élevé à la Société d'Epargne de Crédit Mutuel des Relieurs dont il est Président.
Une nouvelle grève éclate. Nathalie y prend une part très active. Fait exceptionnel pour une femme à l'époque elle est élue déléguée syndicale. On remarque rapidement ses qualités d'organisatrice et sa détermination.

Nathalie Lemel se bat, entre autres, pour la parité des salaires entre hommes et femmes. Sujet encore, ô combien, d'actualité de nos jours.
Si elle est distinguée par ses camarades de lutte elle ne laisse pas indifférent le pouvoir comme en témoigne cet extrait d'un rapport de police : « Elle s'était fait remarquer par son exaltation, elle s'occupait de politique (sic!) ; dans les ateliers elle lisait à haute voix les mauvais journaux (re-sic!) Elle fréquentait assidûment les clubs » D'autre part l'opposition de la jeune femme au Second Empire ne passe pas inaperçue non plus auprès des autorités.

Elle quitte son mari et s'engage en politique

En 1868, lasse des frasques alcooliques de son mari, elle quitte le domicile conjugal. Cette nouvelle manifestation d'indépendance féminine, pour ne pas dire féministe, ne manque pas d'énerver considérablement ses adversaires de la bourgeoisie bien-pensante et de la police de Napoléon III.
La disponibilité que lui procure sa rupture conjugale lui permet de militer encore plus. Ainsi avec Varlin et quelques autres relieurs elle crée une coopérative alimentaire : « La Ménagère » et un restaurant ouvrier : « La Marmite ». Peut-être une référence clin d'œil à Jules Vallès : « Quand la ménagère arrache le drapeau noir qui flotte sur la marmite pour le planter entre deux pavés, c'est que le soleil se lèvera sur une ville en révolte » (2) Quatre établissements à cette enseigne serviront, à terme, des repas à près de 8000 ouvriers.

L'égalité hommes-femmes préside sans doute à la philosophie du mouvement mais il est à noter que c'est Nathalie qui est employée à la préparation des repas ! Il semblerait qu'on ne se débarrasse pas aussi vite des - mauvaises ? - habitudes.

Après « Le désastre de Sedan » et la déchéance de Napoléon III, les élections du 8 février 71, sensées entériner auprès du peuple les conditions d'une armistice bâclée, provoquent en portant à la Chambre une majorité de députés monarchistes favorables à la Paix, le mécontentement du peuple de Paris.
barricadesEn effet celui-ci a terriblement souffert du siège de la capitale et, compte tenu de sa résistance, ne se considère pas vaincu. Ainsi la majeure partie des élus parisiens appartiennent à des listes « pour la guerre ».

Le gouvernement en place se braque, interdit un certain nombre de journaux dont « Le Cri du Peuple » de Jules Vallès, transfère son siège à Versailles et met fin « au moratoire sur les effets de commerce » acculant à la faillite de nombreux artisans et commerçants.

« Pétroleuse » de la Semaine Sanglante

Le 18 mars, le peuple de Paris se soulève, fraternise avec les troupes envoyées par le gouvernement pour les désarmer. Les élections municipales du 26 mars donnent naissance à « La Commune de Paris ». Dès le début de l'insurrection Nathalie Lemel prend une part très active aux événements. Elle prend souvent la parole dans les clubs de femmes. Elle n'est pas la seule. De nombreuses femmes s'investissent dans la lutte : Anna Jaclard, Paule Mink, Marguerite Tinayre... et tant d'autres, sans oublier cela va de soi : Louise Michel.

Il y a également parmi toutes ces femmes animées par le désir de plus de justice et de plus d'égalité avec les hommes : Elisabeth Dimitrieff. Cette russe de vingt ans, fille illégitime d'un officier tsariste, arrive de Londres à Paris en mars 71. Envoyée par Karl Marx en mission d'information, elle se lie rapidement avec Nathalie. Ensemble elles créent, le 11 avril, la première organisation autonome de femmes : « l'Union des Femmes pour la Défense de Paris et les Soins aux Blessés ». Nathalie Lemel fera partie du Comité Central.
Durant « la Semaine Sanglante » (3) nombre de femmes payent leur engagement de leur vie. Par exemple, le 25 mai 1871, rue du Château d'eau, la garde nationale fidèle à la Commune, abandonne une barricade devant l'avancée des troupes versaillaises. Au cri de « Vive la Commune » de nombreuses femmes armées de fusils accourent pour tenter de faire reculer les assaillants. L'affrontement est terrible. Seules cinquante-deux communardes survivent à l'assaut. Désarmées, elles sont aussitôt fusillées par les Versaillais sans autre forme de procès.
La veille, un incendie avait détruit l'Hôtel de Ville. Monsieur Thiers que Clémenceau, alors Maire de Montmartre, définissait ainsi : « Le type même du bourgeois cruel et borné qui s'enfonce sans broncher dans le sang » fait endosser aux femmes l'origine du sinistre. On les affuble alors du sobriquet de « pétroleuses ». La responsabilité des communardes ne fut jamais avérée.

Nathalie n'est pas en reste. Elle est sur les barricades, entre autres rue de Pigalle et place Blanche. Non seulement elle se bat mais elle s'emploie aussi à soigner les blessés. Lorsqu'elle rentre chez elle, couverte de poussière et harassée de fatigue, après avoir combattu durant quarante-huit heures sans répit, elle dit : « Nous sommes battus mais nous ne sommes pas vaincus »

En déportation avec Louise Michel

Elle est arrêtée le 21 juin. Traduite devant le Conseil de guerre Nathalie Lemel est condamnée à la déportation et à l'enfermement au bagne en Nouvelle Calédonie. Ses amis tentent d'obtenir une grâce et font un recours dans ce sens. Elle l'apprend.

Sur le point d'être embarquée vers Nouméa elle écrit au Préfet de La Rochelle : « Je déclare formellement que non seulement je n'en ai pas fait [de recours en grâce], mais je désavoue celui qui serait fait à mon insu, ainsi que tous ceux qui pourraient être faits dans l'avenir. Ma décision est irrévocable... »

Le 24 août à bord du « Virginie » elle voit s'éloigner les côtes françaises. Parmi les déporté-e-s qui sont à ses côtés : Louise Michel.
Au bout de quatre mois de traversée, arrivée en terre kanaks. Avec « Enjolras » (4) elle refuse de bénéficier, en tant que femme, d'un régime différent de celui des hommes. « Nous ne demandons ni n'acceptons aucune faveur et nous irons vivre avec nos co-déportés dans l'enceinte fortifiée que la loi nous fixe »

ParisDurant sa détention sur la presqu'île Ducos où se situe le bagne c'est, semble-t-il, avec Louise Michel quelle partage sa cabane. Certains biographes s'accordent pour dire que Nathalie aurait pu avoir une certaine influence sur sa camarade de misère.

Amnistiée, elle rentre à Paris en 1880. Elle est engagée par Rochefort dans son journal « L'Intransigeant ».
Elle continue avec acharnement sa lutte pour la condition féminine en général et le droit des femmes en particulier. Mais ses années de déportation l'ont épuisée. Sans soutien matériel, elle sombre dans la misère.
Aveugle elle entre, en 1915, à l'hospice d'Ivry. Elle s'y éteindra en 1921.

Ce petit bout de femme - elle mesurait 1 mètre 49 - socialiste, révolutionnaire, anarchiste, féministe, défenseure acharnée du droit des femmes a donné son nom à une rue à Rennes mais aussi à Quimper et à Brest. Une allée à Nantes, ainsi que deux places, l'une à Paris, l'autre à Nanterre ont été baptisées de son patronyme.

Philippe KLEIN

Notes :

1 - Cet artisan relieur né en Seine et Marne en 1839 est un militant socialiste et libertaire, membre de la Première Internationale et de la Commune à laquelle il participe activement. Le 28 mai 1871, dernier jour de la semaine sanglante, il est reconnu rue Lafayette, arrêté et conduit à Montmartre. Là, la populace le lynche et l'éborgne. Finalement Eugène Varlin est fusillé par les « Lignards » (soldats des Régiments de ligne)

2 - « L'Insurgé » – Jules Vallès –

3 - Episode final et dramatique de l'insurrection parisienne connue sous le nom de « La Commune de Paris » Les « Versaillais » (le gouvernement s'était réfugié à Versailles devant la révolte parisienne) ont décidé d'en finir avec les « Communards ». L'armée intervient brutalement entre le 21 et le 28 mai 1871. On estime entre 6 et 7000 les victimes, souvent innocentes, de la répression ordonnée par Thiers. Dans le même temps des milliers d'arrestations ont lieu. Les « Communards » ou considérés comme tels seront traduits devant des Conseils de Guerre qui siégeront durant quatre ans. C'est lors de cette Semaine Sanglante que Jean-Baptiste Clément écrira un chant éponyme devenu un classique des chants révolutionnaires.

4- Surnom donné par ses camarades à Louise Michel en référence au personnage créé par Hugo dans « Les Misérables »

Sources :
Les sites Wikipédia, Raspou Team, Ces Grandes Femmes qui font l'Histoire, l'Histoire par les Femmes, l'article de Claude Kowal sur le site de l'association Autogestion