Julie

 

Julie Caré a été victime de violences conjugales. Elle a écrit un livre pour dire son histoire.

Un livre au titre évocateur : Pour exister.

Pour exister, elle a fait le choix de quitter son conjoint violent même si, elle le dit aujourd'hui, l'après allait être long et compliqué. Pourtant, c'était pour elle la seule solution pour s'en sortir et pour mettre sa fille à l'abri.

Six ans après les faits, elle continue à témoigner pour aider d'autres femmes. Elle était invitée voilà quelques jours par Kuné, le collectif des femmes de Villejean à Rennes.

L'occasion, juste avant qu'elle ne s'adresse à elles, de recueillir son témoignage.

 

 

« Ça fait des années que je suis partie mais j'ai toujours à cœur de partager mon témoignage parce qu'il y a les violences, celles qu'on vit, mais il y a aussi ce qui se passe après et je veux pouvoir aider toutes ces femmes à se reconstruire.

La société aussi peut être violente, l'incompréhension des gens, le jugement, la stigmatisation. Il faut être forte et j'ai un grand respect pour les femmes qui ont vécu ça et qui s'en sortent. Parce qu'on aimerait que toutes puissent s'en sortir, mais malheureusement ce n'est pas toujours le cas...

Je pense que c'est important de pouvoir en parler et j'aimerais qu'il n'y ait plus de honte. La honte est notre pire ennemie. On se croit fautives, coupables. On a l'impression que c'est nous le problème et que si on fait des efforts, ça va s'arranger. Mais les efforts que l'on faits ne sont jamais suffisants ; on s'épuise, on souffre, on s'oublie et un jour on n'existe plus. Quand on n'est plus qu'un petit morceau de ce qu'on a été, la vie est vide de sens. Heureusement, il y a les enfants qui restent un moteur pour se lever le matin. Ma fille a été ma force.

Quand on vit des violences, on n'a plus aucune considération pour soi-même, comme si on ne faisait plus partie de l'équation. Nos enfants sont alors plus importants que notre propre vie ; c'est ce qui nous maintient en vie. Moi, ma fille a été cet ancrage ; je vivais des choses très difficiles, mais elle me ramenait à l'existence. Ça peut paraître superficiel et futile mais pour elle je me maquillais parce que je voulais qu'elle me trouve jolie et qu'elle se dise « maman va bien » ! Je suis très fière de ça parce que je pense que ça l'a aidée et protégée.

 

"C'est extrêmement violent
de se dire que si on part avec nos enfants,
on peut avoir des problèmes avec la justice."

 

Ce n'est pas des coups que j'ai le plus souffert. La violence psychologique est la pire. Et elle ne se voit pas, et les gens ne vous croient pas... mais elle tisse une toile de fond qui finit par déstabiliser, par détruire. On n'a peut-être pas de marques sur le visage, mais on n'est plus là ! Ma bulle d'oxygène était ma fille, quand elle était là je me sentais intouchable. Et en même temps, c'était ma faiblesse.

On ne peut pas toujours cacher la réalité ; un jour on se rend compte que l'enfant grandit et que ses yeux captent beaucoup de choses. C'est à ce moment-là, quand ma fille a eu quatre ans et demi, que j'ai décidé de partir. Mais pour aller où ? Il me disait « si tu pars avec elle je vais porter plainte pour enlèvement d'enfant et si tu pars sans elle pour abandon ». C'est extrêmement violent de se dire que si on part avec nos enfants, on peut avoir des problèmes avec la justice.

Je n'ai jamais porté plainte pendant, j'avais trop peur. J'ai attendu de savoir où mettre ma fille en sécurité. Et là j'ai enclenché les plaintes. Je voulais que mon histoire soit entendue. En réalité, je n'étais pas prête, je ne savais pas ce qu'il y avait derrière. J'ai cru que le jour où je partais c'était fini, que la société allait me protéger, me soutenir, qu'on allait nous aider, moi et mon enfant. Mais, ça, c'est la théorie ! Aujourd'hui, je ne peux pas mentir aux femmes ; je leur dit : il faut partir, mais ce sera compliqué ; n'imaginez pas que le plus dur est fait !

 

"Ce que je veux dire aux femmes, c'est :
ne les laissez pas gagner,
ne les laissez pas piétiner votre dignité !"

 

J'ai été élevée dans un contexte de femmes. Je suis d'origine andalouse et dans la culture espagnole, c'est très important tout ce qui se transmet entre les femmes de différentes générations. J'ai retrouvé ça lorsque j'ai rejoint des groupes de paroles entre femmes victimes ; beaucoup sont devenues des amies aujourd'hui. Il y avait quelque chose d'assez fort entre nous, une union, une absence de jugement. Cette sororité nous donnait l'impression d'être fortes ensemble. J'ai beaucoup apporté aux autres et elles m'ont beaucoup apporté. On s'est nourries ensemble ; ça aide dans la guérison.

Ma fille a bientôt onze ans. On parle beaucoup, elle me pose des questions. Elle ne sait pas tout, bien sûr, mais je peux lui parler de certaines choses et je trouve ça très important parce que je crois beaucoup en l'éducation. On a un travail énorme à faire auprès de nos enfants ; il y a plein de choses qu'on doit apprendre à nos filles mais aussi à nos garçons, sur le harcèlement, le consentement, le respect de soi et de l'autre, la légitimité à dire non... La notion de consentement pour moi est fondamentale, c'est la base de tout. C'est en travaillant tous ensemble, hommes et femmes, qu'on avancera. Un enfant, on ne lui donne pas juste la vie, il faut aussi lui donner les clefs pour s'en sortir. Bien sûr qu'il faut lutter contre les violences faites aux femmes mais aussi travailler en amont sur toutes les problématiques qui font qu'on en arrive à ces extrémités.

Aujourd'hui, je suis quand même fière de pouvoir dire : j'ai vécu tout ça et je suis là, je suis toujours debout, je n'ai pas perdu la tête et je peux parler, offrir à ma fille une vie saine où elle ne manque de rien. Ce que je veux dire aux femmes, c'est : ne les laissez pas gagner, ne les laissez pas piétiner votre dignité ! Je suis juste une femme qui parle aux autres femmes. Je n'ai pas d'autre étiquette. Je suis Julie, c'est tout ! »

Propos recueillis par Geneviève ROY

Pour aller plus loin : lire Pour exister de Julie Caré, éditions Hedna (2020)