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Fin novembre le Tour de France de l'Egalité s'est arrêté à Rennes. Initié par la coordination française pour le lobby européen des femmes, cette tournée un peu particulière à pour but d'octobre 2017 à mars 2018 de présenter à un public le plus large possible la CEDEF (ou CEDAW en anglais).

Cette convention de l'ONU ratifiée par 190 pays dans le monde, dont la France, date de 1979 et reste pourtant très méconnue.

Son application elle-même pose problème puisque les pays peuvent choisir l'importance qu'ils lui donnent notamment en matière de primauté sur leur constitution.

 

 

La CLEF (coordination française pour le lobby européen des femmes) regroupe 65 associations, collectifs ou fédérations ; elle est la branche nationale du lobby européen des femmes, présent dans 28 pays d'Europe et pouvant se targuer, avec près de 2000 membres, d'être la plus grande coalition d'associations en Europe.

« L'objectif de la CLEF est de promouvoir un projet de société partagé entre les femmes et les hommes en exigeant que la voix des femmes ait le même poids que celle des hommes dans tous les domaines, que l'indépendance économique des femmes soit enfin une réalité, que la maîtrise de leur corps leur appartienne, que la peur de la violence masculine physique, sexuelle et psychologique soit enfin écartée de leur vie, que la vie privée, familiale, professionnelle des femmes puisse être combinée pleinement et librement sur un pied d'égalité avec les hommes » a tenu a rappeler Françoise Morvan, sa présidente, qui présentait à Rennes le 28 novembre dernier une étape du Tour de France de l'Egalité.

Adoptée en 1979, la Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEF) se veut un « socle commun et une référence universelle en matière de droits humains fondamentaux des femmes ».

 

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Françoise Morvan à gauche, Béatrice Delzangles à droite

 

Oui, mais... avec des réserves

Et c'est Béatrice Delzangles, maîtresse de conférence à l'Université Paris Dauphine, qui était chargée ce soir-là de présenter la convention à un public très largement féminin et malheureusement assez clairsemé.

D'emblée la conférencière s'est attachée à démontrer les aspects innovants d'un texte rédigé à la fin des années 70, le présentant comme « l'un des textes internationaux les plus ratifiés en matière de protection des droits humains » quasiment à égalité avec la CIDE (convention internationale des droits de l'enfant).

« On peut s'étonner – a-t-elle même insisté – qu'à l'époque autant d'états aient accepté de ratifier ce texte ». Une observation aussitôt éclairée par la précision suivante : la présence de réserves qui donnent aux états la possibilité de limiter leur engagement !

En effet, Béatrice Delzangles estime que « la CEDEF n'aurait jamais été aussi ambitieuse dans son contenu s'il n'y avait eu la possibilité d'émettre des réserves » mais dit-elle encore les pays réticents « mieux vaut qu'ils soient dans le système plutôt qu'à l'extérieur ». « S'ils ne faisaient pas partie de la CEDEF, on ne pourrait même pas savoir ce qui se passe chez eux en matière de discriminations entre les femmes et les hommes » alors qu'en ratifiant la convention – même avec des réserves – ils s'engagent à produire un rapport tous les quatre ans et à se voir en retour communiquer des recommandations de progrès par le comité de suivi de la convention, organe « indépendant et impartial » composé d'une vingtaine d'expert-e-s.

Le progrès comme obligation

Par ailleurs, les réserves notifiées par les états se doivent d'être temporaires. Progresser devient une obligation pour les états. Il s'agit souvent, en fait, d'un délai accordé aux états pour mettre leur droit en conformité avec le texte de l'ONU. D'ailleurs depuis l'entrée en vigueur de la CEDEF, une vingtaine d'états ont retiré toutes leurs réserves, la France ayant levé sa dernière en 2013 !

Au début des années 80, la CEDEF apparaît comme une innovation juridique. C'est la première fois, explique Béatrice Delzangles, qu'un tel texte a une approche catégorielle des droits fondamentaux visant des « discriminations spécifiquement subies par les femmes » - comme l'abandon scolaire, la précarité rurale, la prostitution ou le droit à la planification familiale - et autorisant les états à mettre en place des discriminations positives.

Mais attention, précise encore la conférencière, « il ne faut pas voir dans la CEDEF une déclaration des droits des femmes. Ce texte n'est pas dédié à leur émancipation ; son objectif reste l'égalité femmes/hommes dans la jouissance des droits fondamentaux ». D'ailleurs, il occulte certains aspects ; notamment « le corps des femmes est totalement absent » ainsi que les violences symboliques : harcèlement sexuel, pornographie, image dans les médias, etc.

Enfin, autre limite : « le statut de la convention dans chaque état est déterminé par l'état lui-même, c'est-à-dire que la CEDEF n'impose pas la manière d'intégrer ce texte dans l'ordre juridique national ». Si en France, par exemple, tous les traités sont supérieurs aux lois, la méconnaissance de la CEDEF est guère propice à son application réelle.

C'était aussi l'ambition du Tour de France de l'Egalité : montrer aux magistrat-e-s que la loi nationale peut être « lue à la lumière de la convention », des pratiques de plus en plus fréquentes dans d'autres pays comme le Canada, l'Inde ou les Pays Bas par exemple, et qu'on espère voir se développer en France !

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : retrouvez le texte intégral de la CEDEF/CEDAW sur le site des Nations Unies