Quand elle a créé les Nouvelles Oratrices, l'objectif de Fanny Dufour était de former les femmes à la prise de parole en public. Mais aussi de « montrer que les femmes sont présentes partout ».

Pari gagné pour la deuxième fois avec cette nouvelle édition à Rennes de Visibles.

La soirée du 6 avril dernier a permis à une quinzaine de femmes de « raconter et de se raconter » sur scène devant un public nombreux, participatif et... pas toujours féminin !

 

 

Groupe

 

Dans leur vie, il y a un avant et un après. Fanny Dufour dit d'elles, qu'elles « ont passé un cap, fait un pas de plus ». Elles s'appellent Karine, Aurélie, Claire, Aminata ou Yasmine... et souvent elles évoluent en toute discrétion. Ce sont des femmes invisibles qui l'espace d'une soirée ont eu l'audace de monter sur scène pour dire ce qui fait leur vie aujourd'hui. Sous le marrainage de Nolwenn Febvre, fondatrice des P'tits Doudous, l'association qui a changé sa vie, elles ont évoqué des parcours parfois difficiles, des obstacles toujours surmontés et des joies partagées.

Karine et Aurélie : « On ne propose pas des formations mais des déformations »

Les moins visibles sans doute de ces femmes représentent un secteur à 96% féminin, celui de l'aide à domicile. Karine Boisramé et Aurélie Nicolas, toutes deux cadres, y ont travaillé pendant dix ans avant de dire stop. « Entre les arrêts de travail, les recrutements, les licenciements, les conflits entre salarié.e.s, les bénéficiaires pas contents » elles évoquent « des souffrances à tous les étages ».

« Nous avions réussi notre vie professionnelle – disent-elles encore – mais à quel prix ? Celui de devenir maltraitantes avec les autres et avec nous-mêmes ! » Des constats que confirme Laetitia Cail, auxiliaire de vie, qui avoue : « il y a deux ans j'étais au bord de l'épuisement professionnel à cause du regard sur mon métier et de la dégradation de ma qualité de vie au travail ». Lorsque les premières décident de trouver des alternatives à un système qui ne marche plus, ce sont toutes les autres qui en tirent des bénéfices.

Karine et Aurélie créent l'Atelier 48 à Nantes pour « garder ce qui est précieux » pour elles mais « remettre un peu d'air dans un secteur à bout de souffle ». Devenues membres du collectif l'Humain d'Abord, elles disent qu'elles ne proposent « pas des formations mais des déformations ». Apprendre à travailler autrement, remettre le pouvoir d'agir entre les mains des auxiliaires de vie, fonder un nouveau système où il n'y a « pas de chef, que des collègues ! » autant d'idées qui séduisent celles qui se les approprient.

Laetitia allait démissionner quand sa direction l'a convaincue de rencontrer le collectif. Aujourd'hui, elle témoigne : « j'ai retrouvé un équilibre dans ma vie personnelle et professionnelle ; je me sens coresponsable avec une envie folle d'aller de l'avant ! »

Clémentine : « Ce qui reste c'est une attitude, une manière de traverser la vie, un moment de rien »

Clémentine est une femme d'affaire comme une autre, c'est juste son sujet qui est invisible pour la société. La mort, un domaine qui fait peur peut-être, en tout cas avec lequel personne ne semble très à l'aise. Clémentine Piazza, elle, y a trouvé son équilibre. Parce qu'elle a un jour constaté que les familles en deuil étaient démunies au moment d'organiser les obsèques d'un.e proche, elle décide de repenser totalement l'existant.

Clementine« La mort est structurante dans nos vies – dit-elle – nous avons tous perdu un proche et nous avons été construits par cette perte. » Elle estime donc qu'il ne faut pas passer à côté de ces moments essentiels.

Depuis six ans, avec Inmemori, elle accompagne les endeuillé.e.s à travers un site qui permet de rendre des hommages en ligne mais aussi grâce à des maisons installées à Rennes, Paris ou Bordeaux et bientôt à Nantes et Lyon qu'elle veut apaisantes pour les familles. 

Le message qu'elle souhaite partager est le fruit de ses observations. « Sur les espaces d'hommage ou lors des cérémonies d'adieu – dit-elle – on connaît finalement peu le parcours ou les titres du défunt. Ce qui reste c'est une attitude, une manière de traverser la vie, un moment de rien, un geste ». Alors, dit-elle encore sachons « faire de la place à ces moments de rien dans nos vies parce qu'ils sont nos empreintes ! »

Claire : « Je ne peux pas marcher mais qui a dit que je ne pouvais pas voler ? »

Claire Duverger, elle, n'a rien inventé, rien créé. Pourtant, un seul jour a changé toute sa vie. Elle se souvient de ce 8 juin 2011 et de ce qu'elle se répétait en boucle à l'aérodrome de Laval. « Qu'est-ce que je fais là ? Pourquoi j'ai dit oui ? »

Accrochée à un moniteur, assise au bord d'un avion, les jambes dans le vide, à 4000 mètres d'altitude, elle vit les secondes les plus longues de sa vie avant de se retrouver « allongée sur l'air à 280 km/h ». Mais lorsqu'elle passe de la position horizontale à la position verticale et qu'elle n'entend plus que « le vent qui claque dans la voile », elle ne peut s'empêcher de crier, de hurler même, dit-elle « pas de peur mais de joie ! »

Pour cette jeune femme en situation de handicap l'image la plus marquante à la descente est celle de son fauteuil vide qui l'attend en bas. « J'avais envie de lui dire : je n'ai plus besoin de toi, je vole ! » raconte-t-elle avec exaltation.

ClaireDix ans et 195 sauts en parachute plus tard, Claire l'avoue, c'est devenue pour elle une passion. Elle est accro à la météo et dit-elle « quand je me lève, je regarde le ciel bleu avec un air béat ». Ce premier saut et tous les autres après lui ont donné confiance et ont fait tomber les barrières autour d'elle. « Je ne peux pas marcher – s'amuse-t-elle – mais qui a dit que je ne pouvais pas voler ? »

Claire a toujours besoin chaque matin de plus de temps que les autres pour se préparer avant de sortir de chez elle et peine à le faire sans l'aide d'une aide à domicile ; « et oui - reconnaît-elle avec le sourire – je saute d'un avion, mais je ne peux pas mettre mes baskets toute seule ! » Mais son expérience lui a prouvé une chose, c'est qu'un oui peut changer une vie. « La prochaine fois qu'on vous propose quelque chose qui vous fait un petit peu, voire très, peur, pensez à moi ! » demande-t-elle à son public.

Oser. C'est un peu le leitmotiv de cette soirée des Visibles. Fanny Dufour, dès l'introduction, avait promis des émotions. En slam, en monologue, sous forme de témoignages ou d'interviews, ces femmes ont su dire que si on ne leur donnait pas de place, elles savaient en trouver elles-mêmes.

« On casse les codes avec beaucoup de joie, on pirate les systèmes avec beaucoup d'amour et on change le regard » ont insisté Karine et Aurélie. « Si vous osez lâcher le confort, vous pourrez accéder à une forme de liberté ; si vous acceptez l'inconfort, vous aurez des ailes » a conseillé Clémentine. Ce qu'on a bien compris en tout cas en les écoutant, c'est que dans Visibles, il y a le mot... vie !

Geneviève ROY

Pour aller plus loin :
Retrouver toute la programmation de la soirée Visibles sur le site des Nouvelles Oratrices et bientôt les vidéos des différentes interventions

Photos ©Les Nouvelles Oratrices