Leur groupe est né par nécessité au début du mouvement étudiant contre la réforme du code du travail. Les étudiantes féministes de Rennes 2 qui voulaient juste faire entendre leurs voix dans le débat ont désormais plusieurs causes à défendre.

Entre le scandale de harcèlement sexuel à l'Université et les débordements sexistes d'un restaurateur rennais, les combats ne manquent pas à tel point qu'elles envisagent de former un collectif.

Jasmine et Valentine, membres du comité féministe nous ont livré leurs témoignages. Pour elles, les récentes affaires montrent sans ambiguïté que les pouvoirs, policiers, judiciaires ou médiatiques, se trouvent toujours du côté de l'agresseur sexiste !

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« Le comité FéminismeS de Rennes 2 s'est créé au début de la mobilisation étudiante en mars dernier parce qu'il y avait des problèmes de sexisme et plus largement d'oppression dans le mouvement étudiant contre la loi Travail – témoigne Jasmine - Certaines d'entre nous ont senti le besoin de constituer un groupe pour pouvoir en parler et essayer de trouver des solutions.
En fait, l'environnement dans lequel on évoluait était beaucoup monopolisé par les hommes. Quand on est une femme dans un milieu militant c'est compliqué de prendre la parole ; on a l'impression d'être moins légitime et on manque de confiance donc en AG il n'y avait pratiquement pas de femmes qui parlaient.

Il y avait aussi assez souvent des propos vraiment déplacés. Comme on ne voulait pas ne pas avoir notre place au sein du mouvement alors qu'on faisait complètement partie de la lutte, on a proposé de créer ce comité en AG. Il y a eu pas mal de débats autour de la question de la mixité et de la non mixité mais au final on a réussi à avoir une réunion en non mixité.

JasmineDès la première réunion, on était assez nombreuses et toutes les personnes qui étaient là avaient vraiment besoin de parler de ce qui se passait. On s'est rendu compte que nous avions toutes déjà vécu des réflexions sexistes ou des situations humiliantes ; par exemple quand dans un groupe on ne s'adresse qu'aux garçons et jamais aux filles ! On a d'abord commencé par parler de tout ça, et ça nous a fait du bien. Et ensuite, on a essayé de voir ce qu'on pourrait faire au sein du mouvement. Une fois par semaine on se réunissait entre nous et on organisait d'autres réunions en mixité pour parler du sexisme avec les hommes et leur expliquer ce qui posait problème.

On a aussi organisé un atelier. Dans un amphi totalement vide, on a fait des exercices pour se réapproprier la parole pendant deux heures ; il n'y avait que nous et on criait des slogans, on faisait un peu comme un atelier théâtre et toutes celles qui étaient là avaient vraiment besoin de ça.

On a fait des tracts pour dénoncer les propos ou les situations sexistes ; les personnes qui étaient visées se sont senties vraiment agressées. Du coup, on a pu en parler pendant les réunions mixtes.

On a également constitué un cortège féministe au sein du cortège étudiant dans les manifs.
Puis la mobilisation étudiante s'est un peu éteinte au moment de l'occupation de la Maison du Peuple [le 1er mai- ndlr] et puis, on avait les examens ; le comité féministe n'a plus été très actif. Depuis quelques semaines, nous nous sommes à nouveau réunies et nous avons beaucoup de choses à régler notamment autour de deux affaires très importantes : une affaire de harcèlement sexuel à Rennes 2 et le scandale de la communication sexiste, raciste et homophobe d'une enseigne de restauration rapide. On pense d'ailleurs que notre comité va devoir se former en collectif pour perdurer au-delà du mouvement social actuel. On a aussi quelques autres projets notamment une émission sur Radio Croco. »

Deux affaires , deux colères

« Le harcèlement sexuel dans les universités, il y en a partout dans tous les départements et ça s'exerce sur les profs comme sur les étudiantes – poursuit Jasmine – pourtant, c'est quelque chose dont on parle peu. A Rennes 2 il y a plusieurs cas ; une affaire vient de prendre un peu d'ampleur parce que trois professeurs ont été jugés par la section disciplinaire de la fac. Ce n'est pas une affaire qui a été portée en justice, pour l'instant elle est restée dans le cadre de l'université.

Sur les trois profs accusés, deux ont été relaxés et pour le troisième la commission a reconnu les faits. Sa peine c'est seulement de ne pas pouvoir monter en grade pendant deux ans !
Ça nous pose vraiment un gros problème parce qu'il va être remis en poste à la rentrée et qu'il va être en contact avec les étudiantes qui ont témoigné dans le dossier, avec les professeures qui sont les plaignantes et bien sûr avec de nouvelles personnes ; et comme c'est un harceleur, il ne va pas s'arrêter comme ça !

ValentineAvec des syndicats étudiants et des associations étudiantes, on a écrit un communiqué, avec l'accord des victimes, pour dénoncer la sentence de la section disciplinaire qui nous parait trop minime par rapport aux faits qui sont reconnus. Et on a demandé au président de l'université de faire appel de la décision puisqu'il est le seul en capacité de le faire.

Cette semaine, on a eu un rendez-vous avec lui et il a refusé de faire appel. Donc, on va engager une autre procédure – notamment en lien avec le CLASCHES - parce que cette situation est inacceptable. En parallèle de ça, les deux profs harcelées vont porter plainte au pénal. »

Sur l'autre affaire, c'est Valentine qui prend la parole. « Bagelstein est une enseigne de restauration rapide présente dans plusieurs pays dont la France avec un restaurant à Rennes. Mercredi dernier, grâce à une de nos copines, on s'est rendu compte que sa communication se base entièrement sur des « blagues » censées faire de l'humour décalé et qui en fait ne sont que des citations sexistes, racistes, homophobes, etc. Que des petites phrases « sympas » qu'on retrouve un peu partout : sur leurs brochures, sur leurs tables, sur les murs.*


Voilà comment des stratégies de communication sont autorisées dans le cadre du commerce parce qu'elles rapportent de l'argent, alors qu'elles incitent plus ou moins explicitement à des comportements agressifs ou qu'elles véhiculent la culture du viol !

De plus, on a fait le constat que cette violence est soutenue par l'état puisqu'il y a eu une répression énorme vis-à-vis de personnes qui ont essayé d'agir contre cette enseigne.

Hier [vendredi 27 mai – ndlr] nous avons organisé un rassemblement qui est parti en cortège à 80/100 personnes et s'est rendu devant le restaurant avec des affiches, des tracts et quelques slogans pour dénoncer cette politique de communication. A notre arrivée, on a trouvé la BAC qui nous a accueillis en sortant fièrement les matraques télescopiques et en enfilant des gants renforcés. Heureusement, ça s'est bien passé, il n'y a pas eu d'altercations, mais il y avait la volonté de nous intimider ; on a été copieusement filmés et les quatre ou cinq agents de la BAC qui étaient là nous ont suivis jusqu'à la place Sainte-Anne jusqu'à ce que le cortège se dissolve.

Simultanément, se déroulait un procès absolument hallucinant où quatre de nos camarades interpellés jeudi après la manifestation ont été condamnés en comparution immédiate à des peines allant de un à trois mois de prison ferme. Jeudi, ils s'étaient simplement rendu au restaurant Bagelstein pour réagir à cette communication abjecte en collant des autocollants antisexistes sur les tables ; le gérant du lieu a réagi d'une façon très violente et ça s'est terminé par l'interpellation des quatre militants.

Ça questionne un peu le rapport que peuvent avoir nos institutions, que se soient les forces de l'ordre qui font de l'intimidation quand on vient dénoncer ces politiques-là ou le système judiciaire qui va imposer des peines monumentales à des gens qui étaient venus simplement discuter et qui se retrouvent accusées pour violences en réunion et dégradations de bien public !

Si on regarde un peu les faits, on voit bien qu'il y a tout un appareil policier, juridique et médiatique au service des patrons et qui n'hésite pas à les défendre quand ils ont des discours oppressifs et là en l'occurrence des discours sexistes, racistes et homophobes ! »

Propos recueillis par Geneviève ROY le samedi 28 mai

* - Pour donner à nos lectrices et lecteurs un aperçu de cette communication ignominieuse, nous acceptons de reproduire quelques phrases types collectées sur les emballages, affiches, etc. de l'enseigne : « L'amour c'est sportif surtout quand l'un des deux n'est pas d'accord » ; « il existe trois types de femmes : les putes, les salopes et les emmerdeuses ; les putes couchent avec tout le monde, les salopes couchent avec tout le monde sauf toi et les emmerdeuses ne couchent qu'avec toi ! » ; « il y en a marre de ces gays-là » ; « quand je vois tes yeux, je suis amoureux ; quand je vois ton cul, je suis très déçu ».

Vous comprendrez qu'il ne s'agit pas là de faire de la publicité pour cette enseigne ni pour les « créatifs » responsables de ce genre de campagnes de communication mais bien au contraire d'inciter au boycott de ce restaurant, situé rue Bertrand à Rennes, et de tous les autres du même nom !

Une pétition est en ligne pour demander l'amnistie des quatre étudiants incarcérés depuis vendredi. Et un rassemblement en solidarité est programmé pour le mercredi 8 juin à 18h à Rennes. Une précédente manifestation avait réuni une centaine de personnes le 1er juin. Lire le récit de cette marche dans le centre de Rennes. (Mise à jour du 7 juin)