violencesconjugales

 

Parler pour aller mieux, ou, en tout cas moins mal. C'est ce qu'une équipe de psychologues et de travailleurs sociaux* propose depuis quelques années à des femmes de Rennes, victimes de violences conjugales.

Elles sont chaque année entre vingt et trente à fréquenter le groupe de parole.

Et certaines d'entre elles ont découvert que le théâtre pouvait leur apporter un espace de respiration supplémentaire pour travailler l'affirmation de soi et retrouver estime et confiance en la vie.

 

 L'idée est née d'un constat et d'une surprise. Travailleur social, Eric Leclerc (à gauche sur la photo) a l'habitude de rencontrer des femmes en situation de violences intra-familiales. Un jour, il prend conscience que souvent la séparation n'apporte pas vraiment de solutions à ces femmes. Des années après les faits, elles continuent à souffrir de l'emprise de leur ex-conjoint notamment concernant la garde des enfants, le droit de visite, etc. Des manifestations violentes qui se concrétisent parfois par des interventions intempestives sur leurs lieux de travail par exemple, mais aussi augmentent leurs difficultés éducatives ou psychologiques.

ericleclercetsonia« Ça a contribué – reconnaît-il aujourd'hui – à vaincre une de mes premières représentations qui était qu'une fois la séparation effective, c'était fini ! J'ai découvert que c'était beaucoup plus compliqué que cela. » Un bref sondage auprès de ses collègues du Centre d'Action Sociale de Cleunay, à Rennes où il travaille, lui montre qu'une cinquantaine de situations difficiles ont été identifiées.

Parler, oui, mais comment aller mieux ?

Ainsi naît en 2005, un groupe de parole avec une quinzaine de femmes du quartier bientôt rejointes par des résidentes de l'ASFAD, partenaire de ce temps d'échange « sans objectif plus précis que de parler. » Petit à petit les demandes se précisent et le groupe invite des intervenants extérieurs : un policier sur la question du dépôt de plainte, un médecin-légiste, un professeur en criminologie, etc.

« Nous, ça nous fait du bien de parler – disent les participantes – mais nos enfants, aussi, en auraient besoin ! » En lien avec des psychologues*, le CDAS met donc aussi en place des ateliers pour les enfants. « Les mamans ont leur lieu de parole, les enfants, aussi ! » se réjouit Eric Leclerc qui envisage alors d'approfondir l'accompagnement des femmes en leur proposant de nouvelles activités. « Nous voulions répondre à une demande de mieux aller – résume l'assistant social – elles nous disaient : c'est bien d'en parler, mais comment on fait pour aller mieux ? »

Eric Leclerc les emmène au théâtre où elles découvrent que leurs expériences peuvent devenir œuvres d'art propices à la réflexion et à la conscientisation de tous. Cette première expérience avec le théâtre leur donne envie d'aller plus loin avec la Compagnie des Ronds dans l'Eau.

Retrouver la confiance

Depuis deux ans, des ateliers théâtre permettent donc aux femmes qui le souhaitent de s'exprimer non seulement par la parole mais aussi avec leurs corps. « Elles peuvent dire qu'elles vont bien et montrer que ce n'est pas vrai » dit encore Eric Leclerc se souvenant de femmes « ratatinées sur leurs chaises, avec leurs sacs sur les genoux, prêtes à partir dès qu'on leur pose une question. » Avec Anne Pia et Sonia Rostagni, deux comédiennes, elles apprennent à retrouver l'estime de soi, la confiance, une certaine cohérence entre le corps et l'esprit.

Les problèmes des femmes ne sont certes pas réglés pour autant, mais l'objectif d'Eric Leclerc est de « leur donner les outils pour qu'elles puissent le faire elles-mêmes ! » « Quand elles parlent avec les autres femmes, il n'y a pas de notion de jugement – analyse-t-il encore – parce que celle qui est en face sait aussi ce que c'est ; alors, la parole se libère plus facilement. Et puis, elles ne sont pas toutes arrivées au même degré de réflexion sur leur propre histoire et elles peuvent se tirer vers le haut mutuellement ; c'est du partage d'expérience. »

soniarostagniSonia Rostagni, qui anime les ateliers théâtre, constate l'évolution des participantes. « C'est pour elles un sas de respiration. Elles nous disent : c'est comme un médicament, mais sans les effets secondaires. On est prudentes parce qu'on ne sait pas forcément gérer les souffrances, alors on choisit des textes qui ne parlent pas de violences conjugales et on ne prévoit pas nécessairement de représentations sur scène. Certaines commencent à en avoir envie, mais toutes ne sont pas encore prêtes à ça. »

Un miroir qui aide à réfléchir

« Un des outils de l'emprise du conjoint c'est qu'il peut dire "je t'aime" avec un regard de tueur et l'inverse ; et ça participe à la déstabilisation complète de la victime » explique Eric Leclerc qui rappelle que certaines de ces femmes « n'ont jamais reçu une claque et ne subissent que des violences psychologiques. »

Trouver sa place dans le groupe de parole, n'a pas toujours été facile pour lui. « Certaines femmes me disaient : vous êtes un bonhomme, pourquoi vous intéressez-vous à nous ? » se souvient-il. Une occasion pour lui de travailler aussi sur ses propres représentations. Il ne voulait pas se voir – et être vu – comme « un chevalier blanc venu pour sauver la veuve et l'orphelin. »

« Que je sois un homme ou une femme, ça ne change rien – dit-il avec conviction – le cœur de mon métier, c'est de se centrer sur l'autre en tant qu'individu, avec son histoire, son propre vécu et de lui permettre de l'exprimer. » Il se voit comme un miroir qui aide à réfléchir ; « j'adore le double sens du mot "réfléchir" - dit-il en riant – je m'en sers tout le temps dans mon travail. Je suis le miroir des émotions de l'autre ; je les verbalise pour lui permettre de faire émerger sa réalité à lui. »

Geneviève ROY

* - L'équipe composée de deux assistant-es sociaux du CDAS de Cleunay, d'une éducatrice de l'ASFAD et de psychologues du CIAPHS (centre interdisciplinaire d'analyse des processus humains et sociaux de l'université de Rennes2) et de l'ASFAD se retrouve au Noroît, structure du Cercle Paul Bert.

Sur le même sujet voir aussi la rencontre avec Sonia Rostagni, comédienne, et Véronique Durupt, metteure en scène, à propos de la pièce « Au voleur »