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« Ce qui m'a plu dans ce projet, c'est qu'on sortait de l'expression de soi pour exprimer autre chose. Il y a beaucoup d'ateliers d'écriture au centre pénitentiaire mais ça reste artistique ; là, il y a un but informatif, il faut rechercher des sujets qui ne nous touchent pas toujours personnellement, j'ai trouvé ça particulièrement intéressant » témoigne Jessica, ancienne détenue de la prison des femmes de Rennes et rédactrice du magazine Citad'elles que plusieurs associations contribuent à publier chaque trimestre depuis deux ans.

 

 

 Tous les mois, l'espace Vie du Citoyen des Champs Libres à Rennes accueille une association. A l'occasion des Journées Nationales des Prisons fin novembre, la Ligue de l'Enseignement et les Etablissements Bollec sont venus présenter le travail qu'ils mènent avec les femmes détenues du centre pénitentiaire de Rennes.

Quelques jours plus tôt, cette même initiative avait reçu le prix « coup de cœur » de la Fondation RAJA à l'occasion de la remise des RAJA Women's Awards qui récompensent chaque année des « actions remarquables au service des femmes réalisées en France ou dans le monde par des associations Françaises. »

Le trophée trônait sur la table tandis que Anne-Héloïse Botrel de la Ligue de l'Enseignement et Alain Faure des Etablissements Bollec redonnaient les objectifs de leur projet en présence de Jessica Davies, ancienne détenue et rédactrice enthousiaste du magazine Citad'elles.

Remettre en cause certaines idées reçues

Depuis janvier 2013, c'est un rendez-vous attendu par les 240 femmes de la prison de Rennes mais aussi par le personnel de surveillance ou encore les intervenants extérieurs. Le 19 décembre, le numéro 6 de Citad'elles sera distribué dans toutes les cellules. Quelques jours plus tard, il sera consultable en ligne sur le site des Etablissements Bollec ; une façon de partager cette réalisation avec l'extérieur notamment les familles et les ami-es. Ainsi, les détenues sortent un peu de leur enfermement et les autres, à l'extérieur, se forgent une image différente du monde carcéral.

citadelles« Notre objectif est de faire un maximum de liens entre le dehors et le dedans – rappelle Anne-Héloïse, coordinatrice des activités culturelles au sein de la prison (au centre sur la photo) Si on arrive à remettre en cause certaines idées reçues sur ce monde qui par définition est fermé et à valoriser les personnes qui sont à l'intérieur et qui demain vont ressortir et vivre parmi nous dans la communauté citoyenne, tant mieux ! Moins il y aura de préjugés, plus la réinsertion sera facilitée. »

Pourtant, au départ, le projet ne se veut pas centrer sur la réinsertion. L'objectif premier défini par Anne-Héloïse était « de donner la parole aux personnes qui souhaitaient s'exprimer » sur la base du volontariat, bien sûr, et selon une méthode journalistique qui impose quelques règles : choisir les sujets, les hiérarchiser, trouver un angle d'approche, se documenter, argumenter, etc.

Eviter la désocialisation des détenues

A la veille du bouclage du numéro 6, les partenaires associatifs reconnaissent avoir trouvé « d'autres effets bénéfiques a posteriori » qu'ils n'avaient pas mesuré dans un premier temps : redonner confiance aux détenues, leur apprendre à écouter l'autre et à respecter son point de vue mais aussi savoir se présenter au téléphone ou saisir un texte sur un ordinateur par exemple.

Le plus important étant peut-être ce que souligne Jessica : la resocialisation de femmes condamnées à de longues peines. « En centre pénitentiaire contrairement aux maisons d'arrêt – explique l'ancienne détenue – on est seule en cellule. C'est une bonne chose à certains égards mais on a tendance à faire des activités en solitaire. Du coup, c'est important de se retrouver en groupe sur un projet commun. »

couv5« Le journal fonctionne comme n'importe quelle publication – souligne Audrey Guiller, journaliste professionnelle qui accompagne le comité de rédaction – Les filles arrivent avec des idées de sujets et on en discute mais elles restent maîtresses de leur projet de A à Z : définir qui interviewer, comment prendre contact, envoyer des mails et passer des coups de téléphone, etc. Ça ne leur donne pas de travail quand elles sortent, mais c'est exactement la démarche qu'elles devront faire pour en chercher. » Sans parler de toutes celles qui par ce biais entrent en contact avec l'informatique et se familiarisent avec la rédaction de messages électroniques et le traitement de texte. Autant d'atouts pour la suite. « On ne prépare peut-être pas un miracle pour la sortie – commente Jessica – mais je crois qu'on se donne de bons ingrédients pour éviter la catastrophe ! »

Economie, culture, politique... pour les femmes aussi !

Petit à petit les rédactrices, aujourd'hui au nombre d'une douzaine, prennent confiance en elles et rédigent des articles plus longs et plus documentés. Comme Jessica qui, après avoir travaillé sur la sexualité en prison ou la préparation d'un projet professionnel, a souhaité interviewer l'économiste Thomas Piketty parce qu'elle avait lu « Le Capital au 21ème siècle ».

Et le projet est complet puisqu'il allie l'écriture et l'illustration ; une façon aussi pour certaines, moins à l'aise avec les mots, de s'exprimer différemment. Citad'elles est tiré à 500 exemplaires et est disponible dans tous les établissements pénitentiaires de Bretagne et dans quelques médiathèques d'autres prisons en France.

Citad'elles, revue féminine ? « Oui – explique Anne-Héloïse – parce qu'elle est conçue par des femmes ; si on regarde le contenu, on trouve quelques rubriques cuisine, beauté, etc. mais on détonne quand même par rapport aux autres revues féminines. » Et Audrey d'ajouter : « Justement une revue féminine écrite par des femmes et pour des femmes peut parler d'économie, de culture, de politique et il ne faut pas en attendre que des sujets girly ! Elles peuvent faire des interviews après avoir lu un bouquin de 1000 pages, et c'est ça, aussi, être une femme ! »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin :

Lire les différents numéros du magazine en ligne sur le site des Ets Bollec

Retrouver d'autres écrits de Jessica Davies qui a publié "Les fleurs poussent aussi à l'ombre" un recueil de poèmes aux éditions Libre Label (mars 2013)