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 Cela fait des années que ça dure, mais elle ne désarme pas. « Jamais je ne suis découragée car mon frère, c'est tout pour moi » s'emporte Awa Gueye si on évoque devant elle la possibilité de baisser les bras.

Depuis ce soir de décembre 2015 où son jeune frère Babacar est tombé sous les balles de policiers dans une cité de Rennes, son objectif est de voir triompher la justice.

Dans quelques jours, elle organise la sixième journée commémorative de ce triste jour entourée du comité de soutien rennais mais aussi de nombreux.ses anonymes venu.es parfois de loin pour dénoncer les violences policières.

 

« Au niveau de la famille, je suis toute seule avec mon fils » explique Awa Gueye qui ajoute aussitôt : « mais, je ne me sens pas seule grâce au collectif Justice et Vérité pour Babacar et il y a des gens qui me soutiennent partout en France ».

Pour la jeune femme, en effet, sa famille c'était d'abord Babacar, ce presque « fils ainé » venu la rejoindre en France après un long parcours depuis leur Sénégal natal. « Il est passé par le désert, la mer, il a voyagé en charrette, en bateau, en voiture et à pied pour arriver jusqu'en Espagne » raconte-t-elle se souvenant de cette période où il était marchand ambulant sur les plages de Malaga avant de la rejoindre en Bretagne. « On vivait ensemble tous les trois avec mon fils, j'ai fait les démarches partout pour les papiers » dit-elle désireuse de décrire un jeune homme actif, sportif, professeur de danse bénévole et assidu à ses cours de français.

Puis, elle termine son récit par cette soirée de décembre 2015. Parti passer la soirée chez des amis sénégalais dans le quartier de Maurepas, son frère n'est pas rentré à une heure tardive ; ce n'est pas ses habitudes, alors elle s'inquiète et l'appelle. « Ce sont mes dernières paroles avec mon frère » se désole Awa.

Quelques heures plus tard, les secours sont appelés par l'ami qui reçoit Babacar ; le jeune homme a commencé à s'automutiler à l'aide d'un couteau de table. Ce ne sont pas les Pompiers qui arrivent mais la Police, très vite la tension monte et le jeune homme s'effondre atteint de cinq balles. Il est alors menotté et décède à l'arrivée des secours.

 

« Un couteau de table

ne peut pas percer un gilet pare-balles »

 

« Ils ont tiré cinq fois sur mon frère qui était en pleine crise d'angoisse » insiste Awa qui ne se satisfait pas des arguments mis en avant par les policiers présents ce soir-là. Pour elle, ces hommes étaient « formés pour maitriser les personnes quoiqu'il arrive » et sur les huit policiers présents « aucun n'a empêché le collègue de sortir son arme ». La colère dans la voix, Awa parle de « racisme d'état » : « pourquoi faire une enquête ? On sait qui est l'assassin ! »

Et depuis toujours elle en est persuadée, la légitime défense ne peut pas être prise au sérieux. « Un couteau de table ne peut pas percer un gilet pare-balles » dit-elle encore. Awa le répète depuis des années, « la vérité [elle] la connait » maintentant c'est la justice qu'elle veut et notamment la condamnation du policier qui a tiré sur son frère.

Ce sont souvent des femmes – des mères, des sœurs – qui se battent pour faire reconnaître les violences policières. Awa Gueye ne fait pas exception dans sa volonté farouche de comprendre. Jamais, dit-elle, elle ne renoncera. « Jusqu'à mon dernier souffle, je ne serai jamais découragée et je suis très fière d'avoir empêché que le dossier soit classé sans suite après l'enquête préliminaire du procureur. » Hélas, elle le déplore, certains éléments des scellés ont été détruits notamment l'arme utilisée contre Babacar.

 

« On a essayé d'embrouiller le dossier

mais ça ne marche pas avec moi »

 

« On a essayé d'embrouiller le dossier mais ça ne marche pas avec moi ; on a tout fait pour étouffer l'affaire mais ça ne passe pas non plus ! » Son énergie, Awa la puise dans son attachement à son jeune frère mais aussi dans son histoire familiale. « Je suis une enfant de tirailleurs sénagalais – dit-elle avec assurance – ce sont nos grands-parents qui se sont battus pour la France, on doit nous respecter ! »

Le 4 décembre, à Rennes, elle sera en première ligne d'un nouveau rassemblement. Ce jour-là, l'objectif sera non seulement de rendre hommage à Babacar et, une fois encore de demander justice, mais aussi l'occasion de mettre plus largement en lumière les différentes affaires en cours mettant en cause des forces de police.

De Lyon, de Grenoble, de Paris, et même d'Angleterre … Awa Gueye trouve des soutiens un peu partout grâce notamment au Réseau d'Entraide qu'elle a co-fondé avec d'autres victimes ou familles de victimes. Et sa volonté est intacte : « ça fait six ans que je me bats, six ans que je réclame justice. Je veux qu'on me dise où est la légitime défense ! »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : rejoindre la page facebook du collectif Justice et Vérité pour Babacar et participer au rassemblement le 4 décembre à Rennes