Quand elle a quitté son emploi après trente-sept années d'exercice, Marie-Annick Horel a sorti de la malle où elle les rangeait ses carnets de note.

Plus de vingt cahiers sur lesquels au fil du temps, elle avait écrit ses rencontres, ses échanges, ses réflexions sur la prison.

De quoi alimenter un livre qu'elle veut avant tout destiné à défendre son métier, celui de surveillante carcérale.

Horellivre

 

« Tout sauf des bureaux, tout sauf m'enfermer ». Voilà l'idée que rumine Marie-Annick Horel, lorsque, jeune fille, elle cherche sa voie professionnelle. Peu après, elle deviendra gardienne de prison. Elle en sourit aujourd'hui, affirmant : « je ne me suis pas sentie enfermée à 100% au contraire ! » Ce métier, elle l'a exercé plus de trente-sept ans et toujours au même endroit, le centre pénitentiaire des femmes de Rennes. Une occasion pour elle de découvrir un monde inconnu mais aussi d'y faire sa place en participant à son évolution.

« Quand je suis arrivée en 1980 – se souvient-elle – il n'était pas interdit de parler aux détenues, mais il fallait aller à l'essentiel. Je n'étais pas rentrée en prison pour aller à l'essentiel, j'étais avec des êtres humains et j'avais surtout envie d'échanger ! » Elle le reconnaît en toute simplicité, elle était alors « un peu effrontée » et souhaitait « bousculer tous ces gens-là » ; en d'autre termes, les religieuses qui étaient alors en charge de la bonne marche de l'établissement. « On a réussi - admet-elle aussi – à composer avec la congrégation et on a avancé ensemble. »

Aujourd'hui, les relations entre surveillantes et détenues ont tellement évolué qu'avant de prendre sa retraite, Marie-Annick Horel a souhaité rencontrer une à une certaines femmes lourdement condamnées qu'elle connaissait depuis longtemps et qu'elle savait ne jamais revoir.

 

« On est vraiment

les oubliées de la République »

 

Si elle-même ne s'est pas sentie enfermée derrière les hauts murs de la prison des femmes, elle s'est tout de même étonnée d'entendre l'une de ces détenues de longue peine lui avouer que la prison l'avait rendue libre. « Elle était condamnée à vingt ans de réclusion, elle était dans sa huitième année, et elle m'a dit : je me reconstruis tranquillement, je suis une femme libre » se souvient l'ancienne surveillante avant d'ajouter sobrement : « j'ai noté dans mon cahier, comme d'habitude ».

Et c'est bien grâce à ces petits carnets et tous « les petits mots qu'on glisse dans sa poche pour ne pas oublier » que Marie-Annick Horel a pu une fois la retraite arrivée rédiger un livre co-écrit avec Maria Poblète, Au cœur de la prison des femmes.

Elle a tout entassé année après année dans une grande malle d'où elle va alors exhumer des trésors. « Heureusement que j'ai noté - dit-elle – j'en aurais perdu la moitié autrement ! » Si elle revient sur ces rencontres humaines souvent fortes, c'est bien d'abord la condition de surveillante de prison qu'elle entend mettre en lumière. « Je voulais absolument parler du métier de surveillante parce que je trouve qu'on est les oubliées de la République » s'insurge-t-elle insistant sur son envie de transmettre notamment aux jeunes filles qui cherchent une orientation professionnelle.

Horel1Son métier, en effet, ne fait guère rêver. Elles sont rares, aujourd'hui, les femmes qui comme elle s'engagent pour une longue carrière dans les lieux de détention. « Il y a beaucoup de turnover – analyse-t-elle – beaucoup de démissions aussi parce que c'est un métier difficile, fatigant, avec des horaires atypiques ». Décourageant aussi, parfois, notamment quand reviennent d'anciennes détenues à nouveau condamnées. « La prison est nécessaire – défend Marie-Annick Horel – néanmoins, il nous faudrait plus de matière pour travailler à la réinsertion et souvent même à l'insertion des détenues ».

 

« Une femme est vite abandonnée

voire complètement oubliée »

 

En France, la population carcérale féminine est plutôt invisible et ne représente que 3,5% de la totalité des personnes détenues. Souvent ces femmes sont abandonnées assez vite et ne reçoivent que très peu de visites. Il suffit pour s'en convaincre, illustre Marie-Annick Horel, d'observer les parloirs des femmes et ceux des hommes. « Les femmes vont voir leur mari en prison, elles y conduisent les enfants – explique l'ancienne surveillante – une femme est vite abandonnée, jugée par son milieu familial voire complètement oubliée. »

Elle se rappelle ainsi de son dernier Noël en prison, en 2016. Sur les 251 détenues que comptait alors le centre pénitentiaire des femmes de Rennes, 98 colis avaient été délivrés par le Secours Catholique à destination des « indigentes » c'est-à-dire de celles qui n'avaient plus aucun lien extérieur.

Et la solitude n'est pas la seule souffrance des femmes incarcérées. Souvent, estime Marie-Annick Horel, la prison arrive pour elles « en bout de course » après déjà de nombreuses violences familiales, conjugales ou sociales, voire de gros problèmes de santé. Et s'accompagne généralement d'une grande culpabilité ; « elles ne se pardonnent pas » résume l'ancienne surveillante. « La prison est anxiogène - rappelle-t-elle – inévitablement tout peut y exploser ! » L'Observatoire National des Prisons estime quant à lui que près de 70% des personnes détenues présentent au moins un trouble psychique.

 

« La surveillante n'est qu'un maillon d'une chaîne

(...) une petite main »

 

« Dans un établissement de longues peines, si vous restez quelques années, forcément vous êtes reconnue » dit encore Marie-Annick Horel lorsqu'elle évoque les liens, parfois forts, créés avec les détenues. Si elle revendique n'avoir été ni infirmière ni assistante sociale, elle reconnaît toutefois que son métier est un peu tout ça à la fois.

« Chacun a son poste ; la surveillante n'est qu'un maillon d'une chaîne – déclare-t-elle – mais les choses font que le personnel est confronté à beaucoup de situations. Si une détenue a besoin de joindre sa famille, de téléphoner, etc. et que le travailleur social n'est pas là, c'est forcément la surveillante d'étage qui doit répondre et trouver des solutions. On est les petits mains ! »

Après cette longue carrière, Marie-Annick Horel se dit « porte-parole » des détenues mais aussi du personnel pénitentiaire. C'est tout l'enjeu de ce livre où elle veut montrer la réalité de la vie en détention pour les unes comme pour les autres. Evoquant tout à la fois les détenues et ses collègues, elle confie « si je suis restée si longtemps au centre pénitentiaire de Rennes, c'est parce que j'ai pu faire du lien et que c'était sympa ». Si pour elle « la prison a un sens » elle souhaiterait que les personnels puissent bénéficier d'une meilleure reconnaissance mais aussi mieux travailler sur l'accompagnement et rêve de prison plus ouvertes, de peines au « parcours individualisé »... Philosophe, elle conclut : « une erreur dans une vie, ça peut arriver à n'importe qui ! »

 

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : lire Au cœur de la prison des femmes de Marie-Annick Horel et Maria Poblète éditions Taillandier

Photo ©Champs Libres – présentation de son ouvrage par Marie-Annick Horel le 25 novembre 2022 à l'occasion de la Journée Nationale des Prisons à la Bibliothèque des Champs Libres à Rennes