« La vie n'est pas facile en Afrique ; pourtant, les Africains gardent le sourire. Je ne sais pas comment ils font ; peut-être parce qu'il y a une solidarité sociale et familiale  et qu'ils sont très entourés. »

C'est pour retrouver cette solidarité que Marlise Duval a créé son association CESA Bretagne qui aujourd'hui fait le lien entre Rennes et son pays d'origine, le Cameroun.

En équilibre entre deux cultures, il peut lui arriver de se sentir « en décalage » avec l'Afrique mais aussi avec son pays d'adoption.

Pour ne pas « se perdre », Marlise a fait le choix de construire sa propre culture, mélange d'ici et de là-bas.

 

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Marlise Duval n'oubliera jamais son arrivée en Europe. Epouse d'un Français en poste au Cameroun, elle accepte au bout de quelques années un retour en France pour des raisons professionnelles. Débarquée en plein hiver, elle découvre la neige et surtout que « les Français ne sourient pas  et s'habillent en noir ». Aujourd'hui, Marlise s'est habituée aux arbres sans feuilles et aux maisons sans couleurs, mais elle a alors un peu de mal à envisager sa nouvelle vie dans un « monde en noir et blanc ». « C'était violent – dit-elle – vous arrivez avec un trop plein de générosité, de spontanéité et il faut intégrer tout ça ; on apprend avec le temps ! »

La culture française, pourtant, la jeune femme la connaît bien ; elle a été élevée par un père francophile et, très jeune, était abonnée à des magazines français. Si son père a voulu faire d'elle « une petite Française » il lui a aussi laissé un autre héritage. A la tête de plusieurs commerces, il était de ceux qui, de l'aveu de sa fille, « avait un niveau de vie supérieure à la moyenne ». Sa réussite professionnelle, il sait la mettre au service des autres et notamment des plus jeunes qu'il encourage et aide à émerger.

 

« Ce n'est pas possible

que des gens puissent venir mourir ici

parce qu'ils n'ont pas d'avenir chez eux ! »

 

Dans son exil breton, Marlise suit les traces paternelles. « J'ai beaucoup appris de Papa et ça me porte toujours – reconnaît-elle – je suis très sensible à l'autre ». En se consacrant à son association de solidarité internationale, elle dit avoir « professionnalisé [son] besoin d'aider ».

Tout commence en 2015 lorsqu'elle s'interroge devant les images télévisées de migrant.e.s quittant les pays d'Afrique. « Je me suis dit : ce n'est pas possible que des gens puissent venir mourir ici parce qu'ils n'ont pas d'avenir chez eux ! » se souvient-elle aujourd'hui. Et de se poser alors la question : que peut-on faire pour que ces gens puissent rester chez eux et n'aient plus besoin de fuir. « Ce n'est pas une envie, c'est un besoin – martèle encore Marlise – les gens ne partent pas par plaisir. Parce que le soleil, ça manque ici ! » Et la famille, également, tellement présente dans le quotidien des Africain.e.s !

logoCESAAvec CESA Bretagne, Marlise parvient à faire un pont entre ses deux pays, celui d'hier et celui d'aujourd'hui. Construction d'une école et parrainage scolaire, campagnes de vaccination ou de distribution de lunettes, achat de matériel agricole ou de semences... les actions menées en Afrique sont financées de ce côté-ci du monde. Et Marlise partage son temps et son énergie entre la mobilisation des financeurs en France et l'accompagnement des bénéficiaires dans les pays d'Afrique Centrale.

 

« Les grands chefs incluent de plus en plus

d'ingrédients africains ;

c'est un petit basculement alimentaire très intéressant »

 

« A seize ans, mon fils un jour m'a demandé pourquoi on ne mangeait jamais africain chez nous. J'ai pris conscience que j'avais raté quelque chose » raconte Marlise qui surtout réalise qu'elle aussi peut apporter quelque chose de sa propre culture à son entourage. Et c'est à ce moment-là qu'elle se dit : « je vais prendre ce que je considère comme le meilleur d'ici et le meilleur de là-bas. » Pour elle, c'est une façon de ne pas « se perdre » : créer sa culture idéale en fusionnant les différences.

Aujourd'hui, Marlise cuisine à l'Africaine et à l'Européenne et se réjouit de trouver de plus en plus de produits exotiques dans les magasins bretons. « J'adore manger - dit-elle – je suis une vraie épicurienne et au début mon petit piment me manquait. Maintenant, même les grands chefs incluent de plus en plus d'ingrédients africains dans leurs recettes ; c'est un petit basculement alimentaire que je trouve très intéressant ». Et une façon, ajoute-t-elle, de valoriser son continent d'origine.

Depuis l'année dernière, Marlise a lancé son association dans une nouvelle aventure : les voyages solidaires. Parce que dans notre société « assez confortable » il n'est pas rare de nourrir des idées préconçues sur l'Afrique, l'association franco-camerounaise veut permettre aux touristes de découvrir « la réalité de l'habitant ». Une façon de « partager les richesses » qui entraîne un « changement de regard ».

 

« Il faut travailler avec les femmes,

connaître leurs besoins  (...)  

tout repose sur elles »

 

Ce partage de culture, Marlise le poursuit à Rennes avec un projet en trois volets. A l'automne 2021, une exposition photographique "Vis ma vie de femme en Afrique Centrale" a circulé dans plusieurs lieux. Elle sera enrichi cette année avec la sortie d'un documentaire réalisé sur place pour donner la parole à quatre femmes à travers leurs parcours.

Enfin, une conférence devrait permettre d'inviter plusieurs de ces femmes. « Il faut travailler avec les femmes, échanger avec elles, connaître leurs besoins » déclare Marlise avec conviction, estimant que « tout repose sur elles » ; «  elles ont l'habitude – dit-elle – de prendre les choses en main ».

Si, jeune fille, elle n'en était pas vraiment convaincue, c'est aujourd'hui la figure de sa mère que Marlise convoque quand elle cherche une femme inspirante. « Ma Maman m'a inspirée a posteriori – dit-elle – j'avais vingt-et-un ans quand j'ai compris que c'était une héroïne. Mon père avait de très bonnes idées, mais c'est ma mère qui gérait les quatre magasins, les nombreux employés, la maison... c'était très carré avec elle et pendant longtemps, elle n'a pas été la femme que j'aimais le plus au monde... jusqu'au jour où j'ai eu mon premier enfant et que j'ai compris qu'être une femme, c'est beaucoup de boulot ! »

Geneviève ROY

Photo : Thomas Duval