Alicia1

 

« Je reviens quand même de loin ». Confidence d'Alicia Ducout reçue dans un éclat de rire.

Si dès l'âge de trois ans, elle était sur les planches, la jeune femme devenue comédienne, musicienne et... escrimeuse n'a pas vraiment été encouragée par sa famille pour qui elle était plutôt destinée à une carrière scientifique.

Mais très vite sa passion pour la comédie, contractée au club théâtre de son établissement scolaire du Jura, a pris le dessus.

Elle a écouté cette « toute petite voix » qui murmurait en elle.

Elle a suivi, aussi, et avec quelle passion, son besoin de spiritualité qui la fait voyager au cœur des croyances, des religions chrétiennes jusqu'aux philosophies du monde entier.

 

 Etudiante en licence d'allemand à Lyon, Alicia Ducout ne s'envisage pas du tout en tant qu'enseignante. Son cursus parallèle d'art dramatique en revanche la comble de bonheur. « Je sentais – dit-elle – que ça me faisait du bien. » Et puis, elle apprend que l'université de Rennes propose un master de littérature comparée européenne.  « Grande passionnée que j'étais de l'Irlande et de l'histoire des Celtes, je me suis dit je vais y aller comme ça je ferai mon master en Irlande ! » se souvient la jeune femme qui a finalement posé durablement ses valises en Bretagne.

« J'ai pu réunir toutes les facette d'Alicia – analyse-t-elle aujourd'hui – la littérature, les langues étrangères, le théâtre puisque mon mémoire portait sur les dramaturges de la fin du 19ème siècle et ma quête spirituelle puisque j'y étudiais le retour à l'onirisme, au questionnement sur une transcendance, dans cette fin du 19ème marquée par le réalisme à la Zola ! »

AliciaDu Chemin Neuf à la Pachamama

Quand elle raconte les méandres de sa vie, de « ses » vies, Alicia a les yeux qui pétillent et l'éclat de rire n'est jamais loin. Peut-être pour cacher des fêlures qui ne semblent pas tout à fait refermées. Etonnamment, si le théâtre est présent depuis l'école maternelle, si elle peut s'enorgueillir de huit ans de conservatoire de piano, sa famille n'est pas ce qu'on peut appeler une famille d'artistes. « J'ai même plutôt été fortement dissuadée » résume-t-elle sobrement, ajoutant plus tard quelques allusions à « un climat de violence énorme » en famille.

L'artiste qui est en elle sent « une espèce d'aspiration vers autre chose ». « Mon père nous emmenait à la messe tous les dimanches mais c'était une éducation plus qu'une foi – raconte-t-elle – Ça m'avait poussée à rejeter la religion. Pourtant, à dix-huit ans, j'ai choisi de vivre dans un foyer d'étudiants catholiques, tenu par une communauté charismatique œcuménique, le Chemin Neuf. J'y ai trouvé l'antithèse des valeurs spirituelles appliquées dans ma famille : l'amitié, l'écoute, la foi, le Christ. Et puis, après, j'ai fait mon chemin et je me suis un peu éloignée, pas dans le cœur, mais dans la forme. »

 

« Une soif, un désir d'aller

toujours plus profond »

 

Alicia dit ne plus trop fréquenter les églises catholiques, mais avoue qu'elle va souvent prier à l'église orthodoxe et qu'elle se ressource régulièrement par des temps d'études des textes dans certains monastères comme celui de Saint-Dolay dans le Morbihan. « Il y a une soif, un désir d'aller toujours plus profond ! » s'enthousiasme-t-elle.

Elle voyage aussi et s'ouvre aux autres formes de spiritualité. « Quand on voyage – dit-elle – on se rend compte que les frontières n'existent pas autant qu'on croit. Au Pérou, par exemple, on peut se retrouver à célébrer la Pachamama tout en remerciant le Christ et moi, ça m'a profondément touchée ! On a besoin, en tant qu'humains, de cerner les choses, de mettre des limites, sinon on n'avance pas, mais c'est important de faire appel à la part divine qu'on a en soi. »

harpeL'émotion, les sentiments, la quête spirituelle, tout ce qui semble porter Alicia nourrit bien sûr son travail d'artiste. « De plus en plus – dit-elle – ce que je cherche dans mon métier d'artiste de spectacle vivant, c'est d'être sur scène non pas pour me montrer mais pour vivre quelque chose de l'ordre d'une cérémonie. Il y a un bouillonnement d'énergies qui œuvre pour le bien. On a de la chance parce qu'on voit la face qui bouge de notre humanité ; pas la face sclérosée, ultra connectée qui ne décroche plus de son ordi, etc. Les gens avec qui on parle après les spectacles ne sont plus satisfaits de ce système dans lequel on vit et qui est arrivé au bout. Dans tous les textes sacrés, l'énergie divine dit à l'homme : retourne-toi ! Pour moi, se retourner ce n'est pas se repentir, c'est retourner vers soi-même. Et c'est incroyable le nombre de gens qu'on rencontre qui un jour se sont dit : on arrête de parler et on se retrousse les manches pour changer le monde avec nos petites forces et nos petits moyens ! Alors, on ne peut pas être pessimistes parce qu'on voit tous ces bourgeons qui frémissent partout même s'ils sont entourés de ronces ! »

Moyen-Age et bouillonnement d'énergies

Si Alicia parle souvent au pluriel c'est parce que depuis quelques années, elle ne travaille plus seule mais a fondé une compagnie avec son compagnon, Lorenzo Bello. La Compagnie d'Azur est leur façon de mettre le rêve à la portée de tous. « Nous ne sommes pas des artistes " rageux " - dit Alicia – Bien sûr, on se bat avec la CIP, coordination des intermittents et précaires, de Bretagne contre la réforme du régime UNEDIC, mais dans nos spectacles notre engagement est plus intérieur. On aime les formes qui sont tout public et qui donnent à rêver. »

Alicia peut jouer des pièces contemporaines comme le spectacle Elles au théâtre des Ulis, l'an dernier, ou encore des rôles dans des films, comme celui qu'elle vient de tourner avec Sophie Marceau, pour Taularde, partiellement réalisé à Rennes, mais le programme de la Compagnie d'Azur prend ses racines dans les vraies passions de l'artiste et notamment au Moyen-Age.

« J'ai toujours été fascinée par le Moyen-Age. Il y a plein de très belles valeurs dans la façon de vivre des gens avant 1200. Loin d'être une période sombre comme on la présente souvent, c'est une époque magnifique. » Une fascination qui lui fait pousser, un jour durant ses études à Lyon, la porte d'une association médiévale où elle découvre l'escrime. « Me voilà en train d'apprendre à combattre » raconte-t-elle avec humour.

 

« Ce qui nous anime

c'est de mélanger les arts,

les âmes et les hommes »

 

pirateAvec l'escrime artistique, Alicia découvre toute une philosophie : « des valeurs chevaleresques, la loyauté, l'honnêteté ; on n'a pas un adversaire mais un partenaire ! » Suivra la découverte émerveillée de la harpe celtique et tous les ingrédients seront réunis pour que des années après, en Bretagne, la Compagnie d'Azur propose des spectacles mêlant musique (celtique entre autres), théâtre (en costumes bien sûr) et escrime artistique. Entre temps, Alicia partage la vie d'un comédien, né dans le nord Finistère, et... champion du monde d'escrime artistique.

L'univers d'Alicia Ducout est peuplé de légendes et de mythes, de pirates et de sabres d'abordage mais aussi de rock progressif qu'elle compose elle-même ou de danse africaine. « Ce qui nous anime – explique-t-elle encore – c'est le décloisonnement des arts, c'est de tout mélanger : les arts, les âmes et les hommes ! »

Dans « Wezen » le conte initiatique qu'elle a écrit, l'héroïne vit dans une forêt étrange où le ciel n'apparaît jamais, un monde rempli d'ombres qui chaque nuit la traquent et la tracassent. C'est en parvenant à se hisser toujours plus haut dans les branches d'un grand arbre qu'elle découvre à la fois le soleil et sa propre lumière intérieure. Comme Alicia sans doute qui confie : « la souffrance et le côté sombre des choses peut être une très grande source d'inspiration mais je crois que pour agir véritablement et pour que l'action porte du fruit, il faut être dans la lumière ! »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : la Compagnie d'Azur sera présente tout l'été dans les festivals et autres fêtes médiévales notamment au château de Beaugency (45) et à Clisson (44) et anime des stages d'arts croisés centrés sur le développement personnel par « la conscience de soi et l'écoute de l'autre. »