«Mes yeux fondirent dans ma bouche, Je pris la nuit comme un bateau la mer »*.
C'est de cette manière qu'Angèle Vannier, dans un de ses poèmes, évoque la cécité qui la frappe alors qu'elle n'a pas vingt trois ans.
Elle nait le 12 août 1917 à Saint-Servan, commune d'Ille et Vilaine aujourd'hui rattachée à Saint-Malo.
Au printemps 1918, à huit mois, elle est confiée à sa grand-mère qui vit dans une grande maison à Bazouges-la-Pérouse, petit village situé à l'orée de la forêt de Villecartier à une vingtaine de kilomètres du Mont-Saint-Michel. La petite enfance d'Angèle est bercée par les récits des légendes de Viviane et de Merlin que lui raconte Amélie la servante de la maison.
Plus tard, alors qu'elle est retournée vivre avec ses parents à Rennes, elle passe ses vacances d'été chez son amie Anne en Forêt de Brocéliande. Les deux amies se plaisent sans doute à des escapades autour du Lac aux Fées, de l'Arbre aux Ecus, de l'Hostié de Viviane ou encore du Val sans Retour où peut-être croient-elles apercevoir les silhouettes furtives de Lancelot, d'Arthur ou de Morgane...
On peut imaginer que ces jeux ajoutés aux histoires et légendes narrées par Amélie durant sa petite enfance éveillent chez Angèle un imaginaire celtique qu'elle libérera dans certaines de ses œuvres.
Elle entreprend des études en pharmacie. Puis un jour, à table, elle déclare : « Je deviens aveugle ». Autour d'elle personne ne prend trop au sérieux cette sortie mise sur le compte du caractère fantasque de la jeune femme.
Mais en 1939 elle développe un glaucome qui lui ôte la vue. Elle a vingt-deux ans. Abattue, elle quitte Rennes pour revenir à Bazouges.
Toute une année durant, dans cette maison de son enfance, Angèle va peu à peu apprivoiser son nouvel état. A pied ou en tandem elle parcourt cette campagne et ces bois qu'elle ne peut plus voir mais qu'elle appréhende encore plus follement à travers ses autres sens.
Rebelle, elle défie son handicap en refusant d'apprendre le braille ou de porter la canne blanche. Elle compose des poèmes qu'elle dicte uniquement lorsqu'ils sont achevés.
La jeune femme envoie ses écrits au « Goéland » un journal crée par Théophile Briant. Ce poète breton, bien que né à Douai, a passé son enfance à Fougères. Monté à Paris il y ouvre une galerie d'art et se lie d'amitié avec Colette, Max Jacob, Jehan Rictus, Céline...
De retour en Bretagne, Théo ainsi que le nomme ses amis, s'installe à Paramé où il crée son journal. Il publie les poèmes d'Angèle, l'encourage et préface en 1946 le premier recueil de la poétesse « Les Songes de la Lumière et de la Brume ».
De retour à Rennes Angèle Vannier participe avec Per Jakez Hélias – l'auteur du « Cheval d'Orgueil » - à des émissions sur Radio Rennes.
Mariée, elle part vivre à Paris où elle fréquente la Brasserie Lipp et rencontre, entre autres, des romancières comme Germaine Beaumont, des poètes et des écrivains comme Charles Le Quintrec, Luc Bérimont, Maurice Fombeure et surtout Paul Eluard qui la reconnaît comme une grande poète. Elle devient la muse des Surréalistes.
En 1950 Eluard préface un de ses recueils de poésie : « L'arbre à feu » en écrivant : « Le soleil et l'azur, les fleurs, les fruits, les blés, le visage des hommes, leur rêve et leur effort, leur amour et leur peine, la lente convulsion des mers et la rouille des continents, Angèle Vannier, aveugle, préserve tout de l'ombre. Merveilleusement. »
La même année elle écrit « Le Chevalier de Paris ». Son amie Edith Piaf veut en faire une chanson. Le texte est mis en musique par Philippe Gérard, compositeur prolifique et célèbre qui mettra en musique de nombreux auteurs à l'époque. Avec cette chanson Piaf remporte le premier prix de la chanson française.
Et « Le Chevalier de Paris » devient un succès international repris par Yves Montand, Catherine Sauvage, mais aussi, en anglais, par Frank Sinatra, Bing Crosby, Nat King Cole... (« When The World Was Young ») et en allemand par Marlène Dietrich (« Wenn Die Welt War Jung »)
En 1971 elle reçoit le Prix de Poésie de l'Académie Française. En 1973, après son divorce, elle revient à Bazouges. Elle crée avec le harpiste Myrdhin (Harpe Celte) « La Vie tout entière » spectacle qui sera joué à travers toute l'Europe.
Angèle Vannier multiplie les conférences, les récitals de poésie, les émissions de radio et de télévision où elle dit ses textes s'inscrivant ainsi dans la plus pure tradition celte des conteurs.
De 1976 à 1980 elle est chargée de mission par le Ministère de l'Education Nationale afin de sensibiliser, à travers de nombreux récitals, les collégiens et lycéens à la poésie.
Angèle Vannier décède le 2 décembre 1980 à Bazouges-la-Pérouse. Elle avait 63 ans. Le 2 juin 1986 la Ville de Rennes baptise du nom de la poète bretonne une rue du quartier du Landry qui débouche sur l'avenue de Cork
Philippe KLEIN
*- Le Sang des nuits - Angèle Vannier - édition Seghers 1966
Sources : francopolis.net : «Qui est Angèle Vannier ?» Nicole Laurent - wikipoemes.com : Angèle Vannier - lavoixestlibre.fr - wikipedia.org - wiki-rennes.fr
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