L'histoire commence dans le Pas de Calais et se poursuit en Bretagne où Thérèse Fumery a exercé pendant plusieurs décennies une profession qu'elle considérait à l'adolescence comme « le dernier métier du monde ».

Retraitée depuis peu, elle se dit « paysanne » et le mot qui paraît vieillot à certain.e.s a pour elle tout son sens.

Membre de la Confédération Paysanne, elle défend depuis longtemps une agriculture raisonnée et ne se reconnaît pas dans les représentants agricoles très présents ces dernières semaines dans les médias. Certes, elle souhaiterait un meilleur revenu pour les agriculteur.trice.s mais pas au détriment de l'environnement.

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Dans sa voix c'est tout de suite la passion que l'on entend. La passion d'un métier dans lequel elle est arrivée un peu par hasard après s'en être éloignée. Quand elle se raconte, Thérèse Fumery le fait en vérité. Sans cacher l'aversion que lui procura un temps le métier d'agriculteur qu'exerçaient déjà ses parents dans le Nord de la France. « J'exécrais ce métier quand j'étais adolescente – dit-elle – et j'étais contente de partir au pensionnat pour me libérer de la ferme ». La jeune femme s'installe en ville, suit des études scientifiques et se prépare à devenir ingénieure agronome.

C'est finalement avec son mari qu'elle fait un choix qui surprend tout son entourage : revenir à la terre. Installés tous les deux en Ille-et-Vilaine, ils défendent avant que ce ne soit la mode une agriculture respectueuse de la nature et des consommateurs. « Produire de la nourriture, c'est une grosse responsabilité, un véritable engagement - plaide-t-elle – moi, je suis paysanne, je ne suis pas agricultrice ni éleveuse parce que je suis liée au sol, au paysage, à tout un territoire ». Ses convictions, Thérèse les a défendu avec son mari dans leur exploitation mais aussi dans ses engagements syndicaux et en tant que formatrice auprès de personnes en reconversion.

« Les vraies revendications
concernent le revenu
mais elles ont été occultées »

Aujourd'hui, en pleine crise agricole, c'est dans les rangs de la Confédération Paysanne qu'elle continue à militer. Et ne peut se satisfaire des dernières mesures annoncées aux agriculteurs à l'issue de leurs récentes manifestations. « Sur les barrages – rappelle-t-elle – on parlait beaucoup du revenu mais les mesures annoncées ne changeront rien à ce problème. Les agriculteurs sont rentrés chez eux parce qu'ils avaient du travail à faire, quitter sa ferme pendant une semaine ça a des conséquences ! Mais on sent bien qu'ils ne sont pas contents ».

Thérèse évoque une récupération de certains syndicats. « Le président de la FNSEA, on l'a pas vu sur les barrages – note-t-elle – d'ailleurs les premiers à manifester l'ont fait sans aucune bannière syndicale ». Pour elle les principales voix du monde agricole ne représentent pas la profession mais défendent plutôt les marchés internationaux sans se soucier des petites exploitations et jouent sur les mots confondant les « normes » et les « règlements ».

« Nous – dit-elle – on ne veut pas remettre en cause la réglementation sur l'environnement ou la biodiversité et on a peur que derrière la simplification annoncée il y ait un grand retour en arrière. Sur l'environnement, on ne veut rien lâcher ! Les vraies revendications concernaient le revenu mais là, elles ont été occultées. »

« Les boites qui vendent les pesticides
sont aussi celles qui fabriquent
les médicaments et les semences »

« Les écarts sont énormes – déplore encore Thérèse Fumery – on ne peut pas parler de profession unitaire comme le font certains. En tant que paysanne, je ne peux pas m'asseoir à côté du président de la FNSEA, qui est aussi président d'un groupe industriel de l'agroalimentaire, et croire qu'on fait le même métier. » Elle rappelle également qu'aujourd'hui en France près d'un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.

Pour elle, l'avenir de l'agriculture passe forcément par une réflexion sur le dérèglement climatique. « Sur les pesticides, il n'y a rien qui avance parce que c'est un sujet polémique et politique alors que les agriculteurs en sont les premières victimes » dénonce-t-elle. La MSA reconnaît désormais plusieurs maladies comme maladies professionnelles agricoles mais on continue à argumenter en répétant qu'il n'y a « pas de solutions ». Des solutions existent, d'après notre paysanne, mais c'est l'ambition qui manque dans une société influencée par les grandes marques. « Les boites qui vendent les pesticides sont aussi celles qui fabriquent les médicaments et les semences ; elles ont des moyens pour faire pression » s'indigne-t-elle.

Selon Thérèse Fumery, la priorité va à la qualité des produits. « C'est normal qu'on soit interrogés sur nos façons de produire » dit-elle. Et elle attend des consommateur.trice.s qu'ils et elles s'engagent aux côtés des paysan.ne.s dans la défense de l'environnement.

Celle qui se dit « paysanne du monde » aimerait que soit prise en compte la dimension internationale de l'agriculture mais pas en termes de marché mondial qui contribue à « tuer les paysans ici et ailleurs ». « On est tous liés – dit-elle – si l'agriculture vivrière va aussi mal dans certains pays c'est aussi de notre faute à nous, occidentaux, et à nos façons de produire »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin
Thérèse Fumery sera l'une de nos invitée à la Bibliothèque Vivante aux Champs Libres le 15 mars prochain

Elle témoigne dans le premier chapitre du livre Paysanne de Anne Lecourt paru aux éditions Ouest-France (2023)

Sur le même sujet, on peut aussi lire l'interview de Véronique Marchesseau, agricultrice dans le Morbihan et Secrétaire Générale de la Confédération Paysanne « Si ça va mal dans les fermes, c'est à cause du manque de revenu, pas des normes » - article publié par Alternatives Economiques  le 29 janvier 2024.