« Je suis arrivée avec une seule chose en tête : apprendre à rendre les coups. Et j'ai découvert beaucoup d'autres choses ». Manon a participé au printemps dernier au premier stage d'auto-défense «pour filles» mis en place à Rennes par l'association Questions d'égalité.

Au moment où une deuxième édition est proposée pour les adolescentes, nous avons voulu en savoir plus. Témoignages de Julie Chevallier, animatrice du stage, et de Manon, participante du mois d'avril 2013.

Julie, formatrice, présidente de l'association nantaise la Trousse à Outils : "nous voulons que les femmes aient plus de liberté"

Manon, stagiaire du mois d'avril : "ce stage m'a soulagée d'un poids : celui d'être une victime"

Julie, formatrice, présidente de l'association nantaise La Trousse à Outils : « nous voulons que les femmes aient plus de liberté »

 

« Notre association, la Trousse à outils, existe depuis quatre ans. Nous sommes installées à Nantes avec comme première activité d'organiser des stages d'autodéfense pour femmes. Notre objectif est de donner de la force à des personnes victimes de discriminations, et en particulier victimes de sexisme. Cette pratique particulière a été créée voilà quelques dizaines d'années au Québec, par des gens qui avaient constaté que les arts martiaux ne répondaient pas à cette problématique. Des femmes étaient agressées alors qu'elles étaient ceinture noire de karaté. Il fallait trouver quelque chose qui prenne mieux en compte les violences spécifiques faites aux femmes, des techniques simples et immédiatement efficaces pour prévenir ou arrêter une agression.

Reprendre le pouvoir sur sa vie

Le stage commence par un temps d'échange autour des violences faites aux femmes. Ce n'est pas un travail physique en fait, c'est d'abord un temps qui sert à parler, à interroger nos réalités, nos situations ; les femmes nous amènent leurs propres situations. Nous sommes formées à écouter une histoire, à en tirer des choses positives et à essayer de regarder ensemble ce qu'on pourrait imager si ça se reproduit. C'est aussi un travail basé sur le concept d'empowerment, c'est-à-dire la notion de reprendre du pouvoir sur nos vies. Nous proposons des temps distincts pour les adultes (plus de 20 ans) et les adolescentes (11-16 ans) car les préoccupations ne sont pas les mêmes. Les unes vont parler de violences vécues au travail ou dans leur vie conjugale, les autres connaissent surtout des violences de groupes notamment en milieu scolaire. C'est plus riche de se retrouver entre pairs pour échanger sur des situations communes.

Déculpabiliser les femmes

C'est aussi important de dire qu'il n'est pas nécessaire d'être dans une forme physique exceptionnelle pour suivre ces stages. Dernièrement, une femme de 66 ans est venue se former en disant « j'ai l'impression que je suis trop âgée, que mon corps ne pourrait plus se défendre » et elle est repartie ravie de ce qu'elle avait appris.
Nos stages sont enfin destinés à éviter la culpabilisation des femmes. Les messages classiques de prévention disent : « vous ne devez pas faire ceci, pas aller là, etc. » Nous, nous voulons que les femmes aient plus de liberté. Et nous rappelons aussi que la majorité des agressions dont sont victimes les femmes ont lieu dans leur environnement proche et pas dans l'espace public. »

 

Manon, stagiaire du mois d'avril : « ce stage m'a soulagée d'un poids : celui d'être une victime »

 

« Quand j'ai entendu parler d'un stage d'autodéfense, je me suis dit : pas de temps à perdre, il faut que je m'inscrive. Il était temps que j'apprenne à me défendre, je pourrais comme ça utiliser ma « grande gueule » sans me faire agresser physiquement. Parce que oui, même à Rennes, la violence physique est devenue inévitable à toute personne qui ose répondre à une agression verbale.
Je suis donc arrivée au stage avec une seule chose en tête, apprendre à rendre les coups. Et j'ai découvert beaucoup d'autres choses.
J'ai découvert que je n'étais pas la seule à connaître la violence d'une agression physique. J'ai découvert, que toutes, nous nous sentions seules contre le monde entier. J'ai découvert qu'une agression n'était pas forcément physique ou sexuelle et que chacune avait ses limites pour définir si, oui ou non, elle avait été agressée.
J'ai alors pris conscience du côté féministe de ce stage, qui, il est vrai, m'était totalement passé au-dessus de la tête. Et les questions que nous avons commencé à nous poser ensemble sont devenues si évidentes. Pourquoi avons-nous cette peur constante de l'agression ? Pourquoi préférons-nous baisser les yeux pour éviter tout éventuel conflit ? Pourquoi la rue de nuit serait-elle dangereuse pour nous, les femmes ?

Une fille, ça ne se bat pas

Et les réponses sont arrivées, de façon toute aussi évidente. Parce qu'on nous a toujours appris qu'une fille ne se bat pas, que si elle a un problème, elle doit en parler à quelqu'un mais en aucun cas réagir par la violence. Parce qu'on a fait de la rue un univers d'hommes. Parce qu'on considère donc qu'ils y sont les plus forts et qu'il vaut mieux se laisser siffler, insulter, draguer en baissant les yeux ou en esquissant un sourire gêné plutôt que de leur donner une raison de nous gifler.
Et puis un autre aspect nous est apparu, celui de la violence familiale. Pourquoi certains hommes se donnent-ils le droit de frapper leur femme? Pourquoi les agressions sexuelles se passent-elles le plus souvent sinon dans un cadre conjugal du moins dans un entourage proche ? Pourquoi certaines femmes se voient-elles reprocher leurs cheveux courts et leurs habits larges par des parents qui jugent qu'elles ne sont pas assez féminines ? Ne pas être assez féminine, qu'est-ce que cela veut dire, pourquoi cette notion existe-elle encore en 2013 ?
La réponse à toutes ces questions reste la même. Notre éducation, notre société nous ont inculqué des « valeurs » dont il est difficile de se défaire. Même aujourd'hui. Et tout cela m'a confortée dans l'idée que rien n'est acquis et qu'il y a encore un travail énorme à faire avant une réelle égalité femmes/hommes.
Passé ce long moment de discussion et de questionnement, est arrivé ce pour quoi j'étais venue : la défense physique. Je pense que nous avons toutes été extrêmement étonnées de découvrir notre force. Nous avons appris à crier, ce qui, paraît-il, permet d'échapper à beaucoup d'agressions. Nous avons appris à parer, à rendre, à blesser et même à donner des coups qui peuvent être mortels. Nous avons appris comment nous sortir d'une situation d'agression sexuelle, même quand celle-ci donne l'impression qu'il n'y a plus qu'à attendre et se laisser faire. Nous avons appris que nous étions capables de casser une planche de bois avec une main, comme dans un film de kung-fu...

Et si ça m'arrive vraiment ?

Après une journée et demie de stage, nous nous sommes senties confiantes, nous avions appris à nous défendre physiquement et verbalement et nous nous apprêtions à repartir sereines, pleines d'énergie et de volonté de ne plus se laisser faire, quand nous nous sommes toutes plus ou moins posé la même question : C'est bien beau tout ça mais maintenant, si on se retrouve dans une vraie situation d'agression, sera-t-on capable de répondre comme on l'a fait là, entre nous ? Comment se souvenir de tout ce qu'on a appris ?
Notre formatrice nous a répondu qu'il n'y avait aucune inquiétude à avoir. Si la situation venait à se produire, passé le moment de panique, notre corps et notre cerveau sauront comment réagir car ils n'auront rien oublié. Je ne sais pas pour les autres mais moi, j'y crois. Et ce stage m'a vraiment soulagée d'un poids ; celui d'être une victime. »

Propos recueillis par Geneviève ROY

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