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« On a perdu toute forme de rituel de passage » regrette Morgane Colas quand elle évoque la naissance d'un bébé.

Parce que l'acte de donner la vie est un bouleversement dans l'existence d'une femme, elle estime qu'il mérite un accompagnement spécifique. « Vous êtes ce qu'il y a de mieux pour votre bébé, il ne vous reste qu'à explorer votre potentiel de parentalité consciente et positive » annonce-t-elle sur le site de Mammig 35.

Entre gestion des émotions et organisation pratique, elle propose la « périnatalité proximale et consciente » qu'elle situe « au carrefour des métiers de la petite enfance, de la relation d'aide et du médical ».

 

Lorsque Mammig 35 naît en janvier 2019, Morgane Colas est déjà monitrice de portage bénévole dans une association de soutien à la parentalité. C'est la naissance de son troisième enfant qui est le déclencheur. La jeune femme travaille alors pour une association de promotion de la culture bretonne ; ce qu'elle vit avec la naissance à domicile de sa fille vient bouleverser les choses. « C'est une expérience d'empowerment – estime-t-elle - Après deux accouchements à l'hôpital, où l'on m'avait imposé beaucoup de choses, j'avais envie de faire différemment. Ma fille est née dans mon salon et c'était merveilleux. Je me suis dit que si j'étais capable de faire ça, je serais capable de faire beaucoup d'autres trucs ! »

« Je voyais que les jeunes mamans

se sentaient hyper seules avec leur bébé »

Morgane sent qu'il manque un maillon à la chaîne qui entoure les femmes enceintes et les jeunes mamans. Qu'on a perdu ces rites de passage et de transmission entre les femmes que permet l'accouchement à domicile. Et parce qu'il sent qu'elle ne s'épanouit plus dans son travail, son mari l'incite à changer d'activité.

Celle qui pense alors qu'elle n'en a pas les compétences, lance finalement sa marque Mammig 35 et deux mois plus tard demande à son employeur une rupture conventionnelle. Son activité de portage (vente de produits mais aussi formation et accompagnement des parents) a démarré en flèche et elle a l'intuition que ça ne fait que commencer.

Deux ans plus tard, Mammig ne s'est pas arrêté là. On y parle désormais d'allaitement, de massage pour les bébés comme pour les mamans, de bercement, de réflexes archaïques et Morgane a entamé une formation de doula qui lui permettra d'être toujours plus proche des femmes qu'elle accompagne. « Finalement – résume-t-elle – on ne parlait jamais que de portage et je voyais bien que les jeunes mamans avaient besoin d'autre chose et se sentaient hyper seules avec leur bébé. »

« Vous vivez un moment tellement décisif

que ça mérite qu'on y prête attention »

On peine à définir l'activité de Morgane, pourtant parfaitement reconnue dans de nombreux pays. Sur son site on lit qu'il s'agit « d'un accompagnement périnatal non médical ». Quand elle aura terminé la formation qu'elle suit actuellement, elle sera aussi doula ; « un métier qui existe depuis la nuit des temps » avance la jeune femme qui précise qu'il s'agit d'une intervention autour de deux facteurs clefs : l'émotionnel et le terre à terre. Elle se dit au « carrefour » de plusieurs professions : petite enfance, accompagnement médical, relation d'aide.

morguy2Sûr qu'à l'écouter on sent surtout chez elle l'envie d'apporter une présence réconfortante aux femmes qu'elle accompagne. « C'est plus de l'ordre du développement personnel que de la prise en charge médicale » dit-elle laissant aux personnels soignants leurs prérogatives.

« Il y a toujours eu partout dans le monde des femmes qui soutenaient d'autres femmes au moment des naissances – dit-elle - l'idée c'est de dire : vous n'êtes pas malades, il n'y a pas besoin de multiplier les avis, les prises en charge, les examens qui sont souvent anxiogènes, mais vous vivez un moment tellement décisif dans la vie d'une femme que ça mérite qu'on y prête attention. »

Pour elle, si ce type de besoins paraît nouveau dans notre société c'est juste que les femmes s'autorisent enfin à l'exprimer. Au niveau émotionnel, cognitif et hormonal, elle compare la maternité à l'adolescence, remettant au goût du jour un terme un peu oublié, la matrescence.

« J'ai besoin que ça change

et justement c'est différent à chaque fois »

Pleine d'enthousiasme, Morgane se réjouit de la variété des rencontres que lui permet son activité professionnelle. « Ce qui est intéressant – décrit-elle – c'est d'accompagner les mamans mais aussi de comprendre ce qui se joue du côté des bébés. C'est assez génial d'aller à un rendez-vous sans savoir ce qui va se passer, quels parents, quel bébé je vais avoir en face de moi ; quel lien s'est créé entre eux et ce que je vais pouvoir éventuellement apporter à ce lien-là. J'adore parce que j'ai besoin que ça change et que justement c'est différent à chaque fois ! »

Pour l'instant, Morgane n'a accompagné que des accouchements à domicile. Ça reste encore difficile pour elle de franchir les portes des hôpitaux. Dernièrement, une patiente qui en avait fait la demande s'est vu refuser que la jeune femme soit présente pour la naissance de son enfant. En jeu, un manque de réglementation de la profession.

Si des réseaux existent qui évitent que les accompagnantes à la naissance restent trop isolées, Morgane déplore un manque de cadre qui fait qu'aujourd'hui « chacune fait comme elle veut, comme elle peut » et que pour le monde médical par ailleurs « très protocolisé » ça paraît « un peu farfelu ». De plus en plus de jeunes femmes s'engageant dans ces accompagnements, les choses devraient changer prochainement à l'image de ce qui existe ailleurs dans le monde notamment au Québec où les doulas font partie intégrante des équipes de suivi obstétrical.

« J'ai l'impression qu'une violence

se répercute du haut vers le bas »

Crise sanitaire oblige, de plus en plus de couples en France font le choix d'une naissance à domicile pour leur bébé. On dit même que les sages-femmes libérales qui les pratiquent sont débordées. Pour autant, et malgré sa propre expérience, Morgane tient à apporter cette nuance : « je ne pense absolument pas que toutes les femmes doivent accoucher chez elles ; la naissance reste un moment où on ne sait pas ce qui peut arriver. Mais en tout cas, j'ai envie que celles qui le souhaitent sachent que c'est possible et que ça peut se faire en toute sécurité. »

morguy3Si Morgane n'intervient que sur les temps d'attente et d'arrivée du bébé, elle a beaucoup réfléchi à ce que devient un enfant. Et affirme des choix éducatifs qui peuvent paraître radicaux. Pour leurs trois enfants, avec son conjoint ils ont opté pour l'Instruction En Famille (IEF) ; autrement dit : l'école à la maison. (voir ci-dessous).

Deux choix, personnel et professionnel, que Morgane relie par un même constat.

« Dans les deux systèmes sur lesquels j'ai réfléchi et travaillé, la naissance et l'éducation – explique-t-elle– j'ai vraiment l'impression qu'il y a une violence qui se répercute du haut vers le bas, vers celui qu'on estime le plus faible. Au contraire, moi, je pense que ce sont ceux-là, les plus petits, qui ont le pouvoir de changer demain. De la façon dont on les accompagne, dépendra ce que les enfants feront de l'environnement, de la politique, de la société de demain. C'est en fonction de ces valeurs-là que j'élève mes enfants ! »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : Mammig, c'est un site internet, une page facebook, des permanences le vendredi et le samedi à Rennes, à l'espace Rennessences, rue Youenn Drezen et des visites à domicile. Pour prendre rendez-vous, contacter Morgane Colas au 06 81 26 62 31 ou par mail à Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

« Mes enfants ne vont pas à l'école »

« J'ai trois enfants de sept, quatre et deux ans et demi et ils ne vont pas à l'école » s'amuse Morgane avec un petit air de défi dans la voix. Après une expérience professionnelle de cinq ans comme ATSEM en école maternelle, elle n'a tout simplement pas voulu imaginer son enfant dans cet environnement qui ne lui paraissait pas « pertinent pour lui ».

Avec son conjoint ils ont d'abord fait le choix de faire l'impasse sur l'école maternelle puis au moment de la rentrée en CP ont finalement opté pour l'instruction en famille, un choix qui concerne plus de 50 000 enfants en France. « On s'était organisé – explique la maman aujourd'hui – on le sentait bien, notre fils était entré dans l'écriture, la lecture et le calcul par lui-même avec enthousiasme et envie de bien faire, on ne voyait pas l'intérêt de le mettre en classe. »

L'expérience de l'aîné se prolonge avec sa petite sœur et ils sont deux désormais ainsi scolarisés à la maison par des parents dont la priorité est d'écouter leurs enfants et de respecter leurs rythmes. Si l'aîné préfère travailler le soir, seul dans sa chambre, sa petite sœur est plutôt demandeuse de temps cadrés. Les parents s'adaptent ; maman profite d'être « son propre patron » et papa, directeur d'une école de musique, a conçu ses plannings de travail pour tenir son rôle afin que chacun puisse assurer une partie équitable du temps de présence à la maison.

Ils disent avoir choisi « un mixte entre le unschooling, c'est-à-dire l'apprentissage dans le quotidien, et quelque chose de plus formel avec des horaires définis tous les jours ». Les enfants ont à leur disposition livres et cahiers d'exercices qu'ils peuvent ouvrir seul-e ou accompagné-e à leur demande mais profitent aussi des temps informels en famille pour apprendre. « Quand je mets deux œufs plus deux œufs dans ma pâte à crêpe – raconte Morgane – ils savent que ça fait quatre œufs ! »

« Si l'IEF n'est plus possible,

ça signifie partir à l'étranger »

Quant à la socialisation, Morgane et son mari ne s'en inquiètent pas. « Est-ce qu'être socialisé c'est être avec des gens de son âge ou est-ce que c'est plus intéressant d'être avec des gens différents, des enfants plus jeunes mais aussi des adultes ? » interroge la jeune femme qui énumère tous les lieux où son fils communique. « Il a des copains, les enfants des voisins, ses cousins ; il fait du sport, de la musique ; il peut discuter politique et rêve d'écrire un livre sur l'exil de Napoléon. Si un jour nos enfants ont envie d'aller voir comment ça se passe à l'école, on les inscrira de préférence dans une école à la pédagogie alternative avec des valeurs proches des nôtres, mais pour l'instant ça se passe très bien comme ça ! »

Pourtant depuis le mois d'octobre, le jeune couple a perdu de son enthousiasme. Le gouvernement français envisage de légiférer pour modifier les conditions de l'instruction en famille. Actuellement, il suffit d'une simple déclaration auprès de la mairie de son domicile et de l'Académie. Demain, peut-être faudra-t-il obtenir une autorisation dont on ne sait pour l'instant quels seront les critères.

« Si l'IEF est n'est plus possible, ça signifiera partir à l'étranger ! » dit Morgane qui a déjà commencé les démarches. C'est l'Irlande où l'école à la maison est très reconnue et bien accompagnée qui aurait leur préférence. Bien sûr, il y a aussi le Québec où en plus, le métier d'accompagnante à la naissance a « une vraie place », mais c'est un autre budget. Et puis, Morgane et son mari ont une priorité : préserver la famille et ne pas mettre trop de distance entre les enfants et leurs grands-parents.

En attendant, la petite famille n'a pas souffert du confinement au printemps dernier qui n'a rien modifié – ou presque – dans l'organisation quotidienne et profite quand l'envie d'une pause se fait sentir des avantages de pouvoir partir hors vacances scolaires avec des tarifs plus avantageux et moins de monde sur les lieux touristiques. « Ça aussi – dit Morgane – c'est précieux ! »

G.R.