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Lorsqu'elle arrive en France voilà presque huit ans, Mara Muniz ne parle pas un mot de français. C'est dans son pays natal, le Brésil, qu'elle a rencontré le Breton qui est devenu son mari. Et quand ils décident ensemble de s'installer à Rennes, elle sait que la première chose pour elle est d'apprendre la langue.

« Si on ne communique pas, on ne peut pas travailler, on ne peut pas entrer en relation - dit-elle – et si on reste à la maison, on n'a aucune vie sociale et l'intégration est difficile. » C'est donc avec beaucoup de conviction qu'elle progresse pour devenir parfaitement bilingue.

Hélas, toute cette belle énergie ne suffit pas pour retrouver un poste égal à ce qu'elle avait au Brésil. La jeune femme se dit qu'une fois la langue apprise, on va lui valider ses compétences, mais regrette-t-elle aujourd'hui, « ça n'a pas du tout été le cas ! »

 

La première personne avec laquelle Mara a commencé à apprendre le français, c'est le père de son mari. « Mon beau-père qui est originaire d'Espagne me soutenait – se souvient-elle – Je suis arrivée pendant les vacances scolaires, donc, je ne pouvais pas prendre des cours tout de suite, alors en attendant, il me faisait apprendre vingt mots chaque jour ; ça m'a beaucoup aidée, et puis, ça occupait mes journées ! »

Ensuite, la jeune femme s'inscrit dans un cours où elle rencontre sa première amie « française », une Mexicaine, Viridiana, venue elle aussi pour suivre son mari ! « On avait à peu près le même parcours – raconte-t-elle – au début on disait ce qu'on savait en français puis on mélangeait le portugais et l'espagnol et on arrivait à se comprendre. Mon objectif était d'éviter les Brésiliens pour apprendre le plus vite possible mais je n'osais pas trop parler car j'avais peur de faire des fautes. Et Viridiana m'a dit "si tu ne fais pas de fautes, personne ne va te corriger et si personne ne te corrige, tu ne vas pas progresser !" alors j'ai osé parler ! »

 

« On m'a dit :

le service à la personne

vous convient mieux ! »

 

Au Brésil, Mara a suivi des études. Avec un bac + 3 en hygiène et sécurité du travail, pendant cinq ans, elle a occupé des fonctions d'assistante de direction. Elle est confiante ; « après les cours de langue, on va valider mes compétences » pense-t-elle. Mais elle doit revoir ses ambitions à la baisse.

« Au début – dit-elle – c'est Pôle Emploi qui vous accueille. Je pensais que les compétences n'avaient pas de frontières, mais si vous n'avez pas d'expériences en France... Il fallait rentrer dans les cases, soit le service à la personne, soit les métiers du bâtiment. On m'a dit : " le service à la personne ça vous convient mieux !" Et la seule formation qu'on m'a proposé c'était celle d'aide-soignante ».

mara2Mara est « tenace » et veut absolument revenir à son « vrai » métier. Pourtant, elle finit par accepter ce qu'on lui propose ; « on voulait acheter une maison et on commençait à avoir des projets ». Elle commence par un mi-temps puis accepte un temps plein « pour avoir un CDI ». L'expérience durera finalement cinq ans.

« J'ai appris beaucoup de choses dans le service à la personne » reconnaît aujourd'hui la jeune femme. Les personnes chez qui elle travaille connaissent son parcours et s'intéressent à sa vie, n'hésitent pas non plus, avec beaucoup de « bienveillance », à la reprendre quand elle butte sur des mots qu'elle maîtrise mal.

Peu à peu, dit-elle, « je suis devenue fière de ce que je faisais et de qui j'étais. J'avais besoin de ce travail, mais la personne, elle, avait besoin de mon service ; c'était un échange et qu'importe ce que je faisais, j'essayais de le faire avec excellence ! »

 

« Malgré ma motivation,

c'est toujours mon niveau de langue

qui me fermait les portes »

 

Cependant, Mara ne perd pas son premier objectif. Après un arrêt maladie assez long, elle doit songer à changer de travail. Elle retourne à Pôle Emploi et enchaîne les ateliers pour rédiger CV et lettres de motivation. « Malgré ma motivation – dit-elle encore – c'était toujours mon niveau en langue qui me fermait les portes ». Jusqu'à ce jour où on lui recommande une entreprise du bâtiment, le domaine où elle a acquis toute son expérience au Brésil, qui cherche une assistante.

« Au début, l'employeur avait un peu peur à cause de mon accent, mais il a vu mon profil et il a su me regarder au-delà de ma nationalité ». Et s'il lui arrive encore parfois d'avoir des hésitations notamment à l'écrit, ses collègues sont là pour la guider « avec bienveillance » ; et se réjouit-elle « tout se passe super bien » .

Entre-temps, Mara est devenue maman. Sa fille a aujourd'hui trois ans et grandit dans une double culture. « J'essaie de donner ma petite touche – dit-elle – comme elle vit en France, elle parle beaucoup mieux le français que le portugais mais elle a envie de parler, de communiquer aussi avec ma famille là-bas. Je fais beaucoup d'efforts pour trouver des produits du Brésil pour qu'elle les connaisse... C'est important pour moi de semer aussi en elle ces origines-là ! Je veux lui faire comprendre qu'elle est autant Brésilienne que Française - 100 % Brésilienne et 100 % Française – pour qu'elle apprenne à comprendre les deux cultures et qu'elle puisse vivre bien avec les deux cultures, sans rejeter ni l'une ni l'autre. »

 

« En France,

on paie beaucoup d'impôts,

mais on est bien servis ! »

 

Depuis bientôt huit ans, Mara vit en Bretagne. C'est désormais ici qu'elle souhaite faire sa vie et voir grandir sa fille. Très sereinement, elle fait la part des choses entre ce qu'elle connaît de son pays et ce qu'elle découvre en France. Elle apprécie ce que son pays d'adoption lui offre en termes d'accès à la culture. Au Brésil, le sport, le cinéma, le théâtre... tout est inaccessible. « Le coût de la vie, pour moi, est raisonnable en France – dit-elle – ici, aller au cinéma, c'est une bouchée de pain par rapport à ce qu'on paie au Brésil où on ne nous laisse pas accéder à la culture, pour éviter qu'on se rebelle. »

« Quand on n'a pas accès la culture, on ne descend pas dans la rue » analyse-t-elle encore – en France, on paie beaucoup d'impôts, mais on est bien servis ; au Brésil, on paie aussi beaucoup d'impôts, mais on n'est pas forcément servis. Sans doute que c'est aussi parce que vous avez râlé que que vous avez obtenu des choses. Nous, on se dit "c'est pas grave, ça passera" et on n'obtient rien ! »

En revanche, Mara estime que côté prise en charge des violences conjugales, la situation est beaucoup plus favorable aux femmes de son pays. « Au Brésil – dit-elle –il existe une police spéciale ; ici, même blessées, les femmes doivent se justifier d'avoir été frappées et on leur demande si elles veulent vraiment porter plainte ; ça me fait halluciner ! »

Geneviève ROY