Quel temps fait-il ce matin de 1913 au pied du Ménez Horm ? Froid, sans doute, puisque c'est le temps des labours.
Jean Labat, 17 ans, passe la charrue sur une parcelle de lande jamais encore défrichée qui se situe à un peu plus de trois kilomètres du sommet de la montagne et qu'on appelle « Gorred-ar-C'horad ».
Absorbé par sa laborieuse activité, sans doute ne prend-t-il pas le temps de contempler, de son promontoire, la rade de Brest et la baie de Douarnenez qui se découvrent entre brume et pâle soleil sur ce pays de Cornouaille.
Il a dû partir de bonne heure de sa ferme de Dinéault, son village natal. Peut-être faisait-il encore nuit. Mais à cette époque de l'année il sait qu'il ne peut rencontrer le « Dahu ». Et il est probable qu'il le regrette.
En effet la légende, celle qu'on raconte aux enfants le soir, près de la cheminée, prétend que celui qui arrivera à attraper cette créature semblable à un renard deviendra riche, très riche, immensément riche... Mais cet animal fabuleux ne sort, dit-on, que dans la nuit du 15 août quand il fait le tour du Ménez Horm. Donc aucune chance que Jean puisse le rencontrer en ce matin hivernal.
La charrue que tient fermement le jeune homme est-elle attelée à un bœuf, à un cheval ou bien la meut-il à la seule force de ses bras ? L'histoire ne le dit pas.
Toujours est-il que la tâche est rude. Le sol de la lande n'a pas grand-chose à voir avec la terre grasse et meuble de certaines régions bretonnes plus propices aux travaux des champs. Notre jeune agriculteur peine. Régulièrement le soc de son outil heurte une grosse pierre qu'il retire et jette un peu plus loin avant de reprendre sa progression.
Mais, là, le bruit que vient de faire la lame d'acier en heurtant un nouvel obstacle est différent. Un bruit métallique. Jean, petit à petit, dégage de la terre un étrange objet. Après l'avoir exhumé il découvre une tête en bronze d'environ vingt-trois centimètres.
Après 1800 ans, Brigit (1), apparaît à nouveau au jour breton.
De la cour de la ferme au cabinet médical
Bien entendu le jeune agriculteur n'a aucune idée de l'identité de sa découverte à laquelle il manque un morceau du nez, mutilation due au soc de la charrue. Il la rapporte à la ferme. Durant un temps les enfants vont jouer avec dans la cour. Enfin on se décide à la mettre sous clé mais sans se poser plus de question.
1914. Le monde s'embrase et Jean Labat part au front.
Quatre ans plus tard le jeune homme rentre chez lui, sa légion d'honneur épinglée sur la poitrine, les horreurs vécues fichées dans la mémoire et dans le cœur.
En 1928, il décide de continuer à fouiller la lande, à l'endroit où il a découvert la tête en bronze. Et il trouve... Une robe, aujourd'hui disparue, le casque de type celtique que surmonte un long cimier l'ensemble figurant un oiseau prenant son envol, les bras et les pieds. Le tout mesure à peu près 70 cm.
Sept ans plus tard l'épouse de Jean tombe malade. Le cas parait sérieux aussi se décide-t-on à faire appel au médecin établi à Plomodiern.
Les paysans de la région ne sont pas très riches et il n'est pas exceptionnel que les praticiens se fassent payer en nature. Ici quelques œufs, là un poulet ou un lapin, ailleurs quelques légumes de saison. Cette fois-ci le docteur accepte de recevoir pour sa consultation les éléments de la statuette qui trouvera sa place dans son cabinet de consultation.
Quand on sait que Brigit est, pour ses adorateurs, entre autres la patronne des médecins, déesse des guérisons, rien d'étonnant de la voir dans un cabinet médical. Bien qu'il soit probable que le bon docteur ait ignoré, au moment de son acquisition, sa véritable identité.
Icône d'une Bretagne en quête d'identité
Les années passent. En 1940 la Bretagne, comme une bonne partie du pays, avant que ce soit l'ensemble du territoire métropolitain, est occupée par l'Allemagne nazie. Le docteur de Plomodiern cache la sculpture. Les années passent encore et le médecin meurt.
En 1971, René Sanquer (2), éminent archéologue breton, maître de conférence au Collège Littéraire Brestois Universitaire, entend parler de Brigit.
Il se met à sa recherche et découvre que la statuette est en possession de la fille du médecin qui s'apprête à la vendre à un prêtre allemand afin de financer un orphelinat au Chili.
Pour bon nombre de Bretons attachés à leur identité, à leur histoire, à leur culture, il ne peut être question de voir la déesse quitter la Région.
Des comités de soutien se forment. Brigit devient un symbole. Une icône. Finalement elle restera sur cette terre dans laquelle elle a dormi près de dix-neuf siècles. Elle siège désormais en bonne place au sein du Musée de Bretagne.
Epilogue : le 26 janvier 2007, Monsieur Edmond Hervé, Maire de Rennes, reçoit au Musée de Bretagne une délégation de l'association « Déesse Brigitte ». Jean-Yves Labat, petit-fils du découvreur est présent. Le Maire lui promet alors de venir en personne à Dinéault lui remettre en main propre une copie de la sculpture originale. C'est chose faite en février 2008. Le Maire de Rennes remet à son homologue dinéaultais, Michel Cadiou, une reproduction fidèle de la statuette.
Philippe KLEIN
Notes :
1 -Cette déesse gallo-romaine est l'une des rares qui ait survécu à l'attaque du christianisme. Déesse de la sagesse, du feu et de la prospérité, elle tenait une place tellement importante dans le cœur des Irlandais et plus généralement du peuple celte que l'église catholique fut bien obligée d'en faire une sainte chrétienne : Sainte Brigitte presque aussi chère aux compatriotes de Colin Farrell que Saint Patrick. On retrouve le nom de l'idole sous des formes variables en fonction de la localisation géographique : Brighid, Brid, Bride, Bridey, Briggigda, Brigantia, Brigindo... Toujours est-il qu'il s'agit là de la déesse la plus puissante et la plus connue de la mythologie celtique.
2 - René Sanquer (1930-2009) succède en 1973 à Jean Bousquet au poste de Directeur des Antiquités Historiques. Fonction quasi-bénévole qu'il occupera durant dix années. Auteur de nombreuses chroniques archéologiques bretonnes tant à l'échelle du Finistère que de la Région, il est à l'origine de la publication à partir de 1974, et ce jusqu'en 1985, d' « Archéologie de Bretagne » bulletin d'une quarantaine de fascicules, source importante d'informations sur les découvertes faites en Bretagne.
Sources :
http://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/decryptage-de-brigitte-au-musee-de-bretagne-750430
https://fr.wikipedia.org/wiki/Brigit
http://www.qualitativelife.com/celtitude/2014/03/23/la-brigitte-du-menez-hom-2/
http://www.le-sidh.org/wicca/autremonde-2/divinites/brigit-la-deesse-qui-ne-mourra-jamais/
http://mythologica.fr/celte/brigit.htm
Le Télégramme de Brest
rao.revues.org › Numéros › 26 : In memoriam René Sanquer, «Revue archéologique de l'Ouest »
Visite commentée du Musée de Bretagne (extraits) 22 mars 2016