DSCN5967Elle n'est pas femme à « foncer tête baissée dans l'action » ni à « demander les choses ». « J'attends plutôt qu'on me les propose » insiste Anne Patault. Un petit côté rural sans doute pour celle qui dit vouloir d'abord « faire le tour de son champ » avant de prendre des décisions. La voix douce, le ton calme mais assuré, la nouvelle vice-présidente à la région Bretagne chargée de l'égalité et de l'innovation sociale, est sûre de ses convictions. « Je suis à un âge – dit-elle – où mes choix sont faits. J'avance ; je n'ai pas trop d'angoisses sur ce que ça provoque. » Après quelques mois de découverte du dossier, elle ne s'inquiète guère de « passer pour une emmerdeuse » ; elle veut maintenant que des choses concrètes puissent bouger et cherche la « bonne formule » pour un nouveau grand rendez-vous régional de l'égalité à l'horizon 2017.

 

Interview

Breizh Femmes - Anne Patault, pouvez-vous vous présenter ?

Anne Patault - Je suis Finistérienne, née à Quimper. Je suis arrivée à Rennes, dans les années 70, pour faire mes études de droit. Je me destinais au métier d'avocate et puis finalement, je me suis surtout intéressée au monde de la formation et de l'insertion. J'ai co-créé en 1989 un cabinet où j'ai dirigé pendant vingt-cinq ans le secteur conseil et au sein duquel j'étais moi-même consultante dans le domaine de l'économie sociale et solidaire mais aussi dans l'industrie.
Je me suis installée à la campagne, près de Redon, il y a une trentaine d'années et j'y vis toujours.
En 2009, j'ai été élue conseillère municipale à Renac, commune très rurale de moins de mille habitants ; et en 2010, j'ai été élue pour la première fois au Conseil Régional. Pour mon deuxième mandat, depuis fin 2015, j'ai la délégation à l'égalité et à l'innovation sociale et je suis référente du pays de Redon et du pays des Vallons de Vilaine. Je suis très ancrée dans le territoire ; je crois beaucoup à l'action collée au terrain.

Quels engagements avez-vous eu auprès des femmes ?

J'ai été très peu engagée directement ; j'étais beaucoup mangée par mon métier pendant quelques décennies. Mais dans mon travail, j'ai souvent croisé des questions liées aux femmes notamment sur l'égalité professionnelle, par exemple dans le secteur de l'agroalimentaire. J'ai mis en place des plans pour les ouvrières de la volaille pour les aider à changer de postes et à accéder à des emplois plus qualifiés, j'ai conduit des dispositifs de formation pour des femmes isolées et d'autres sur la diversification des métiers féminins. J'ai vu aussi comment le reclassement féminin était un peu plus compliqué que celui des hommes. Mes engagements ont été plutôt socio-pragmatiques pour essayer de faire bouger les lignes sur un certain nombre de sujets.
Cela dit, je suis une féministe convaincue élevée par une mère et un père, d'ailleurs, qui avaient quatre filles et qui nous ont appris toutes jeunes à être des individus autonomes et émancipés. J'ai aussi un âge – 61 ans – où on a fait le tour de pas mal de choses et je n'ai plus besoin comme disait Françoise Giroud d'avoir une bannière tendue en permanence ; je sais où je suis et je sais qui je suis !

Avez-vous demandé à être chargée de cette mission à la Région?

Je demande assez peu les choses ; j'attends plutôt qu'on me les propose ! Mais ce choix m'a bien plu. J'hérite avec bonheur de ce mandat. Gaëlle Abily a bien ouvert la voie ; Frédérique Pondemer [cheffe du pôle égalité des droits et innovation sociale, PEGAL- ndlr] est toujours très investie et c'est un vrai bonheur de travailler avec elle ; elle m'apprend beaucoup. Depuis le début du mandat j'ai surtout pris le temps de rencontrer les gens. Je fonce assez peu tête baissée dans l'action tant que je n'ai pas bien compris le tour de mon champ. Donc, les six premiers mois ont été consacrés à connaître les acteurs, à comprendre les dynamiques des uns et des autres. Il y a des actions qui ont été menées et qu'il faut poursuivre notamment sur les droits des femmes et sur l'entrepreneuriat féminin. Et aussi des sujets qui ne sont pas nouveaux mais qui commencent à avoir une acuité particulière. A nous de voir ce qui manque, ce qu'il faut faire en plus, ce qu'il faut faire différemment. Je ne suis pas encore tout à fait pilote mais je commence à bien comprendre où sont les leviers et quelles sont les priorités.

Est-ce important que l'égalité et l'innovation sociale fassent partie de la même mission ?

Je pense que ce n'est pas indifférent. L'innovation sociale, c'est aussi se demander où vont les femmes et comment elles vont dans ce monde en mutation. Toutes les périodes de mutation et de crise sont des périodes de danger absolu mais aussi d'opportunités. Plus je côtoie de jeunes femmes – et j'en côtoie beaucoup – plus je ressens à quel point elles sont dans d'autres paradigmes et d'autres questions que celles que j'ai pu, moi, vivre au même âge ! J'ai eu la chance en naissant en 1955 d'être dans une période un peu enthousiaste. On était en conquête ; il n'y avait pas trop de questions à se poser mais tellement de choses à obtenir ! Aujourd'hui, les jeunes femmes sont plus dans la défense d'acquis qu'elles veulent conserver. Comment fait-on pour ne pas passer à côté des vrais nouveaux combats, des vraies nouvelles questions ? Il faut continuer à travailler sur l'approfondissement d'un certain nombre de choses tout en se souvenant qu'il y a sans doute de nouveaux territoires sur lesquels tout le boulot est à faire. Comme je suis une pragmatique, je cherche des endroits où on a vraiment des leviers concrets pour faire bouger les lignes. Mon objectif est d'avoir en 2017 une feuille de route qui me permette de dire : voilà mes trois priorités !

Avez-vous découvert durant ces mois d'observation des choses qui vous ont étonnée ?

Je piaffe plus que je ne m'étonne ! Je ne dis pas que j'ai tout vu et tout compris, mais ce que j'ai vu est assez conforme à ce que je savais déjà. Ça a surtout permis d'objectiver des choses notamment grâce à certains documents ou à des études qui sont venus confirmer mes intuitions ou mes perceptions. Ce qui me marque le plus, c'est que la ligne ne bouge pas en ce moment. Pour moi, ça ne va pas assez vite, ni assez fort en matière d'égalité. Au mieux, c'est de l'indifférence, au pire de la résistance. C'est un peu compliqué parce que je tiens à en parler à chaque session du Conseil, même si tout le monde n'est pas passionné par le sujet, au risque de vite passer pour une emmerdeuse. C'est toujours difficile de renvoyer la société à ce qu'elle est profondément, c'est-à-dire machiste et inégalitaire.

Et c'est un rôle que vous assumez ?

Oui, sans problème ! Je pense que c'est pas mal d'avoir cette coloration-là à un âge un peu mature parce qu'on ne cherche plus à plaire (rires). Je suis à un âge où mes choix sont faits, mes orientations professionnelles comme mes choix politiques. J'avance ! Je n'ai pas trop d'angoisses sur ce que ça provoque. Mais je suis consciente qu'on est dans un monde plutôt réactionnaire et plutôt régressif et c'est un contexte qui évidemment n'est pas favorable aux femmes. Au Conseil, il nous faut aussi faire désormais avec des élu-e-s du Front National qui n'aiment pas les politiques d'égalité.

La région Bretagne avance depuis déjà longtemps sur ces questions...

Oui, bien sûr. Mais quand on a été très volontaires, il y a un moment où on marque un peu des paliers. Et moi, ça ne me satisfait pas ! La délégation à l'égalité est là pour soulever un certain nombre de questions. Comme employeur, la région n'est pas mal ; on a un bilan social qui nous permet de montrer que les femmes ont leur place dans la collectivité, qu'elles ont des jobs intéressants, qu'elles sont plutôt plus nombreuses qu'ailleurs en catégorie A. Mais quand on arrive au niveau du comité de direction... le plafond de verre fonctionne aussi chez nous ! De même la mixité n'est pas acquise ; si on regarde les lycées, ce sont ces messieurs qui font la cuisine et la plomberie et ces dames le ménage et la lingerie ! On a encore des marges de travail et de progrès ! C'est vrai qu'on a un certain nombre d'actions en faveur de la mixité des formations mais les chiffres sont têtus : les femmes font beaucoup moins d'apprentissages que les hommes ! Or, les choix de formation et les choix d'orientation ont un impact jusqu'au bout sur la carrière des uns et des autres. On a des chiffres régionaux plutôt meilleurs que les autres mais ça ne veut pas dire qu'il faut se satisfaire de ça et la fragilité des femmes en cette période de crise est un vrai sujet. Puisqu'on a dit que le mandat 2016/2021 serait très centré sur la reconquête de l'emploi, je pense que la question de la pauvreté et de l'emploi chez les femmes, particulièrement les jeunes, doit être une priorité.

La région Bretagne connaîtra-t-elle une nouvelle biennale de l'égalité ?

Je pense qu'il faut de temps en temps faire un moment fort mais je cherche la formule qui marquerait l'époque. Les biennales ont prouvé qu'elles marchaient bien et étaient intéressantes, mais c'est devenu une espèce de rendez-vous « normal » qui pourrait donner l'impression que tout ça est un long fleuve tranquille. Je pense qu'il faut peut-être faire un pas de côté pour étonner, mais je n'ai pas encore trouvé comment. C'est pourquoi on prend le temps de la réflexion. J'écoute ce que disent les gens qui sont au plus près des associations, des centres sociaux, etc. pour savoir quelle est la question actuelle. C'est le terrain qui va nous dire ce qu'il faut faire

Propos recueillis par Geneviève ROY