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Comme tous les ans en janvier, elles étaient à Paris cette semaine pour rendre hommage à leurs sœurs kurdes assassinées le 9 janvier 2013. Nous sommes disent-elles « la voix des femmes Kurdes du Rojava ».

A Rennes, elles se sont regroupées au sein de l'association Zin pour mettre en lumière la situation toujours plus critique de leur pays et sont présentes tous les quinze jours Place de la République le mercredi à partir de 14h.

Lors d'une de ces manifestations, leur présidente nous a servi d'interprète pour recueillir le témoignage d'une journaliste exilée pour échapper aux prisons turques.

 

 Beyhan a grandi en France ; Duygu n'y vit que depuis un an et demi. L'une parle parfaitement le français, l'autre pas du tout. Sur la place de la République, derrière un groupe de femmes brandissant drapeaux et banderoles, elles ont livré quelques réflexions sur la situation dramatique des Kurdes de Syrie et de Turquie mais aussi sur la place des femmes dans leur culture.

« Pour Erdogan, la femme kurde représente un danger et un mauvais exemple qu'il ne veut pas que les femmes turques suivent » estiment les deux jeunes femmes qui rappellent que le Rojava a réussi ce que tous les autres pays n'ont pas su faire en termes d'économie, de démocratie, de liberté d'expression, mais aussi de « statut de la femme ». Et que tout est aujourd'hui menacé par l'État turc. « Ici, à Rennes – précise encore Beyhan – on travaille comme au Rojava, avec des responsabilités partagées entre les femmes et les hommes et ce n'est pas juste pour l'image. Les femmes ont toujours autant droit à la parole parfois même plus que les hommes. »

Pour les femmes, « une guerre sur tous les fronts »

DSCN1426De son côté Duygu est affirmative : « on voudrait être un exemple pour les autres pays d'Europe et du Monde ». Malgré tout, elle reconnaît que l'égalité bien réelle en politique notamment reste à conquérir sur le plan domestique. « On ne peut pas changer la mentalité des hommes comme ça du jour au lendemain – dit-elle avec le sourire – au Rojava d'un côté la femme a une arme pour se battre et protéger ses terres mais de l'autre côté elle doit aussi se battre pour se faire respecter par son mari ; c'est une guerre sur tous les fronts ! »

En Turquie, Duygu était journaliste pour l'agence Jinha, fondée et animée uniquement par des femmes. Comme Zehra Dogan et d'autres professionnel-les de l'information, la jeune femme a dû fuir son pays car elle risquait la prison. En France, impossible pour elle d'exercer son métier sans maîtriser la langue.

« Je lui dit qu'ici elle est libre – traduit Beyhan – mais elle dit : "ça dépend". Elle n'est pas emprisonnée, mais elle n'est pas libre de travailler ni de voir sa famille ». Toutes deux rêvent de la paix au Rojava et de pouvoir retourner y vivre. Et toutes deux déplorent le silence médiatique et politique autour de la situation de leurs pays.

« On veut se faire entendre et on veut la paix »

C'est pour tenter de lever ce silence et d'informer la population française qu'avec des ami-es elles multiplient les prises de parole publiques et les manifestations. Fières de leur leader, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999 en Turquie, elles dénoncent sans fin les emprisonnements arbitraires, les violences incessantes et depuis peu les bombardements dont leurs concitoyen-nes sont victimes. Le parti kurde – le PKK – reste inscrit sur la liste des organisations terroristes de nombreux pays dont ceux de l'Union Européenne. Un scandale pour ces femmes qui se considèrent comme des résistantes. « DAESH n'est pas seulement le problème de la Syrie – analyse la journaliste – c'est un problème qui concerne tout le monde. Nous ne devrions pas nous battre seul-es ! »

beylan2« Aujourd'hui les civils kurdes se font bombarder, assassiner ; l'ONU comme l'Europe ou la France, tout le monde est au courant – s'emporte Beyhan – mais ils ne disent rien parce que chacun a ses propres intérêts ».

Et lorsqu'elles distribuent des tracts les deux jeunes femmes reçoivent invariablement la même réponse : « on ne savait pas, on n'a rien vu à la télé ! » Pourtant, au Rojava, voilà seulement quelques semaines une femme politique a été torturée et assassinée, une école a été prise pour cible de bombardements, une ville entièrement gérée par des femmes est en grand danger...

« Si on ne se soutient pas entre femmes – répètent-elles – on n'avancera pas ! Ici, nous sommes la voix des femmes kurdes ; on veut se faire entendre et on veut la paix ». Et elles ne désarmeront pas ; pétition en mains, elles iront jusqu'à Strasbourg, jusqu'à Bruxelles, pour tenter de secouer l'Europe.

Geneviève ROY

Photos : 1 : manifestation à Rennes le 18 décembre 2019 - 2 : Duygu, journaliste exilée - 3 : à l'occasion de la manifestation #NousToutes du 23 novembre dernier à Rennes, Beyhan a pris la parole au nom de l'association des femmes kurdes de Rennes