Chahla

Si les Iraniennes ont fait la Une de l'actualité internationale en 2022, il ne faudrait pas croire qu'elles sortaient dans la rue pour la première fois.

En Iran, les femmes ont une longue habitude des révolutions depuis celle de 1911 à laquelle elles participèrent. En 1979, aussi, elles manifestaient aux côtés des révolutionnaires qui demandaient la fin de la monarchie.

A l'image de Chahla Chafiq, écrivaine et sociologue, venue à l'invitation de l'AFIB à Rennes pour retracer les grands moments des mobilisations féminines de son pays d'origine.

« Les femmes iraniennes sont au centre des luttes qui traversent le pays depuis plus d'un siècle » prévient Chahla Chafiq pour qui le mouvement Femme, Vie, Liberté n'est en fait qu'une « continuité ».

L'autrice iranienne, installée en France, tient à rappeler que l'Iran fut le premier pays de cette région du monde à mettre en place une démocratie avec dès le début du 20ème siècle une Constitution et un Parlement. Et les femmes y avaient toute leur place dans une grande diversité de profils, ce que la conférencière illustre avec une série de photos d'archives.

« De loin – dit-elle – on voit une masse homogènes de femmes en Iran, mais quand on regarde de près grâce aux travaux des historien.ne.s on constate que même à une époque où il n'y avait pas beaucoup d'éducation, les femmes avaient un désir de liberté et qu'elles n'étaient pas si passives que ça ! »

« Ce qui dominait dans notre pensée,

c'était l'anti-impérialisme »

Pour les femmes de la génération de Chahla Chafiq, la révolution s'est faite en 1979. « J'étais parmi ces femmes-là » dit-elle devant l'image d'une grande manifestation de jeunes femmes dévoilées. A l'époque, les styles et les convictions cohabitent malgré la fermeté du régime en place. « J'étais étudiante à l'université – raconte-t-elle encore – nous n'étions pas du tout pour l'islamisme mais nous n'avions pas d'analyse de cette idéologie. Ce qui dominait dans notre pensée, c'était l'anti-impérialisme ».

C'est donc aux côtés des partisan.e.s de l'Ayatollah Khomenei que les iranien.ne.s descendent dans la rue, sans souci de laïcité – une notion qui leur échappe – ni de féminisme. Pourtant, tient-elle aussi à souligner, des associations féministes existaient en Iran dès les années 1920/1930 portées par des femmes qui regardaient du côté de l'Occident comment s'organisaient les luttes pour les droits. Puis, les années 1940/1950 étant passées par là, c'est plutôt la méfiance qu'inspiraient les puissances occidentales alliées de la dynastie Pahlavi au pouvoir.

couvlivreBien sûr, les Islamistes existaient déjà en Iran mais quand ils prenaient la parole on ne les écoutait guère ; l'ennemi à combattre c'était le Shah et son despotisme. « Mon problème c'était le régime ; c'était ça que je voulais changer ! » résume aujourd'hui Chahla Chafiq. Mais l'écrivaine est consciente que le peuple iranien « a payé le prix » de cette erreur de jugement.

« J'ai raté mon rendez-vous

avec Simone de Beauvoir »

Quand la mobilisation se fait jour en 2022 autour du slogan « Femme, Vie, Liberté » Chahla Chafiq n'est guère surprise. Les tensions, elle les a déjà analysées. Son essai "Le Rendez-vous iranien de Simone de Beauvoir" qu'elle a publié en 2019 annonçait la tempête à venir. Elle se souvient que jeune fille elle avait lu Le Deuxième Sexe récemment traduit. Mais elle n'avait pas été plus loin. Là encore, elle ne se sentait pas concernée. « J'ai raté mon rendez-vous avec Simone de Beauvoir – dit-elle aujourd'hui – mais la nouvelle génération l'a récupéré ! »

Elle sait désormais que le régime islamiste se construit entièrement sur le sexisme et c'est tout le sens de la révolution actuelle. Et Chahla Chafiq se réjouit que ce ne soit pas uniquement « une révolution féminine ».

« Tout le peuple est là – dit-elle – et il y a même eu plus d'hommes tués que de femmes. Le régime réprime tout le monde et la voie de la liberté passe par la liberté des femmes, c'est leur liberté qui est la clef pour celle du peuple ». Pour elle, il aura fallu plus de quarante ans pour que le peuple iranien le comprenne, mais aujourd'hui malgré des répressions permanentes et une police des mœurs sur tous les fronts, les Iranien.ne.s continuent à résister. Jusqu'au fond des prisons. Et si, cette fois-ci, le peuple iranien ne ratait pas son rendez-vous  ?

Geneviève ROY

« La lutte des femmes iraniennes pourla liberté et l'égalité : d'hier à demain » - conférence de Chahla Chafiq organisé par l'Association Franco-Iranienne de Bretagne à la MIR le mercredi 13 mars 2024