Quand Typhaine D s'attaque aux contes de fées, c'est pour régler ses comptes. Parler au nom de celles qui « jusqu'ici étaient laissées pour comptes, comptant pour des petits pots de beurre ».

Quand elle conte une histoire, c'est à rebours pour mieux montrer ce qui se cache derrière les mots et les idées.

On rit, on pleure, on étouffe d'émotion et on prend une grande respiration en chantant l'Hymne des Femmes » sur l'air « d'un jour mon prince viendra ».

Car lorsqu'il viendra le prince, il trouvera sa princesse non pas endormie, mais debout.

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Les femmes qui sortaient du spectacle de Typhaine D dimanche dernier se sentaient plus fortes, plus solidaires, plus déterminées à lutter pour leurs droits et la juste place qu'elles doivent occuper dans la société. Contes à rebours est un spectacle qui fait du bien. Avec une inventivité d'écriture remarquable, la comédienne, elle-même autrice de ses textes, nous convie au groupe de parole de la maison des fées. On n'y parlera pas de recettes de confiture ni de point de croix, mais de beaucoup d'autres choses. Des choses qui rendent la vie tellement difficile sitôt que l'on est – ou que l'on naît - fille !

Car dans le livre de contes de Typhaine D, les héroïnes et les princesses viennent dire « leur vérité, une vérité cachée, effacée, dissimulée », elles viennent « demander des comptes, affirmer leurs valeurs et s'écouter » entre elles.

Et elles en ont des choses à dire ! Sous les mots de l'artiste, les Mille et Une Nuits dénoncent le harcèlement de rue, Blanche-Neige est victime d'emprise et de violences conjugales, Peau d'Ane d'inceste et la Petite Sirène de viol ; le Petit Chaperon Rouge hurle dans un mégaphone et la robe de Cendrillon est faite de gants de vaisselle, roses évidemment.

 

« Sept sœurs et sept frères ensemble se sont alliés,
avec aussi leur mère et l'ogre fut arrêté »

 

C'est Gretel qui vient poser les bonnes questions : « pourquoi un chevalier est un homme qui vit des aventures et des voyages et une chevalière une grosse bague moche ? » « Pourquoi les princesses devraient toujours être maigres et les princes super musclés ? » « Pourquoi Jasmine a été insultée quand on les a vu s'embrasser avec Aladdin, alors que lui, les garçons l'ont félicité ? » Pourquoi Hansel peut dire « je suis vainqueur » quand elle ne peut pas s'exclamer « je suis vainqueuse » ?

Typhaine2Si les femmes occupent beaucoup d'espace dans les spectacles et les engagements de Typhaine D, les enfants ne sont pas oubliés. En effet, elle revendique autant son « enfantisme » que son féminisme. Et c'est avec beaucoup de poésie qu'elle défend la cause « des sept sœurs sacrifiées » victimes de l'ogre à la place du Petit Poucet et de ses six frères.

« Les garçons apprenez que votre vie seule compte
Fillettes, c'est tout tracé, votre avenir est dans ce conte
Mais on peut changer l'histoire des sept sœurs sacrifiées
Aux enfants, dans le noir, il vaudrait mieux raconter
Que sept sœurs et sept frères ensemble se sont alliés
Avec aussi leur mère et que l'ogre fut arrêté. »

 

« Nos sœurs arrivent, innombrables ;
elles sont là, tu n 'es pas seule ! »

 

Car elle y croit, Typhaine D, à la solidarité. Si elle évoque ces unions « noyées dans l'eau de vaisselle » à la mémoire des déjà trente « féminicidées » de l'année 2019 et en hommage (femmage ?) à Jacqueline Sauvage, c'est pour mieux insister sur l'importance d'être ensemble. « Si on s'unit ensemble contre le sexisme et les agresseurs, on peut changer les choses – fait-elle dire à l'une de ses personnages – A chaque fois qu'on agit avec une autre personne en la considérant comme son égale (...) on sème des graines de justice et de joie pour faire pousser des forêts égalitaires » où l'on découvrira « des mots oubliés : liberté, égalité, sororité » !

Et c'est aussi ce message d'espoir que veut faire passer Anne (ma sœur Anne) quand elle s'écrit du haut de sa tour : « Nos sœurs arrivent, innombrables, elles sont là ; tu n'es pas seule ! »

C'est l'Hymne des femmes qui sert de fil rouge, au gré des changements de costumes. « Levons-nous femmes esclaves » entonne Blanche Neige un balai à la main tandis que la Reine des Neiges s'enthousiasme : «ensemble ils nous oppriment, ensemble révoltons-nous » (essayez sur l'air de « le froid est pour moi le prix... », ça marche!) Et c'est lui qui conclut le spectacle. Deux heures de cris, de révolte et de joie, qui commencent par « Elle était une fois » et qui s'achèvent par un seul mot qui dit tout : « DEBOUT » !

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : Typhaine D est une artiste aux nombreux talents : autrice, comédienne, metteuse en scène, coach et conférencière. Elle a écrit ses « Contes à rebours » en 2012 et tourne depuis avec cette pièce en France et dans les pays francophones. Elle a reçu l'année dernière le prix Gisèle Halimi dans le cadre du concours d'éloquence de la Fondation des Femmes pour son discours sur les féminicides. Elle a publié un livre éponyme de son spectacle qui reprend une partie des textes présentés sur scène.