Quand elles montent sur un plateau de théâtre, c'est pour « mettre le pâté » comme elles disent toutes les quatre, en chœur et en riant. Pourtant, le sujet de leur pièce est plus que sombre.

A travers des témoignages écrits par Jessica Roumeur, la compagnie La Divine Bouchère de Brest a choisi de parler du viol et de ses conséquences pour les victimes. Un spectacle court présenté le plus souvent en lien avec une conférence ou un temps d'échange comme ce fut le cas à l'occasion des Mardis de l'Egalité à Rennes 2.

divine

 

Aujourd'hui où les violences faites aux femmes font de plus en plus souvent la Une des médias, parler du viol reste « un sujet tabou » apprend-on en ouverture de la conférence de Valérie Rey-Robert, autrice du livre La Culture du viol à la française, invitée le 26 novembre des Mardis de l'Egalité.

Un sujet qui concerne pourtant plus de 200 femmes chaque jour en France selon l'enquête VIRAGE de 2016. Et plusieurs centaines de milliers par an (entre 250 000 et 500 000) quand on parle de tentatives de viols.

« Le silence est de mise ; ça fait comme un pavé dans la marre,

on change de sujet »

La pièce signée par Jessica Roumeur jouée au Tambour à l'issue de la conférence n'est pas un recueil de « vrais » témoignages. C'est l'œuvre d'une autrice elle-même concernée par le sujet qui « s'attache à la parole des victimes », inspirée par « des témoignages qu'on entend fréquemment ». Elle fut créée à Brest en 2013 dans le cadre de « Silence, on viole » une campagne artistique portée par la plasticienne Marion Plumet.

« Ce n 'est pas facile de recueillir la parole des victimes puisque le silence pour l'instant est de mise – reconnaît Jessica Roumeur – ça fait souvent comme un pavé dans la marre, on change de sujet ou on pose des paroles qui parfois figent dans des conditions de victimes. On n'a souvent pas d'autres armes que "c'est atroce" ou "la pauvre !" »

Pour aborder le viol, elle a choisi la musique : l'été des Quatre Saisons de Vivaldi. « Ça donne le format du spectacle » dit-elle. Sous un titre plutôt provocant, Concerto pour salopes en viol mineur, elle a voulu dire l'horreur mais aussi « sa récupération, le côté télévisuel de la "bonne victime" qu'on invite sur les plateaux ». « On entend souvent – dit-elle – des réactions du type " elle l'a bien cherché, la salope !" et je voulais aussi faire un clin d'œil au Manifeste des 343, à la parole militante de ces femmes qui ont œuvré avant nous ; et j'avais envie qu'on entende le mot « viol » pour que ce ne soit pas équivoque. »

« J'avais envie de décrire ça :

un viol ordinaire »

jessica

Elle aime jouer avec les mots, Jessica Roumeur, elle qui a baptisé sa compagnie  La Divine Bouchère en hommage à l'auteur dadaïste Georges Ribemont-Dessaignes pour mettre en lumière « l'éther et le plomb, les viscères et le divin, les mains dans le cambouis mais sans se priver de poésie ! »

Les quatre femmes qui sont sur scène parlent de « viols banals ». « C'est triste à dire, mais c'est comme ça – analyse l'autrice – c'est rarement une jeune fille qui se promène le soir et qui se fait attraper par un méchant homme armé qui la menace. Le viol, ça peut être dans des cadres bien plus familiers et familiaux et bien souvent la victime connaît son agresseur. J'avais envie de décrire ça : un viol ordinaire. »

Pour ses comédiennes, Anaïs Cloarec, Louise Forloudou (co-fondatrice de la compagnie) et Véronique Héliès, le texte de Jessica est parfois difficile à porter. « C'est toujours particulier de jouer le Concerto – disent-elles – on a parfois du mal à cacher son émotion, le texte peut être cru, hyper concret, mais c'est d'abord un objet artistique, pas un documentaire et il y a aussi une interprétation, un travail de comédiennes. » Ce qui les unit et leur permet aussi « de rigoler beaucoup ! »

« Le viol, ça détruit vraiment très fort » argumente encore Jessica Roumeur autrice d'un deuxième spectacle, Lettre à Dr K, qui met en scène une femme se remémorant « les années noires de son adolescence ». « C'est un peu l'avant du Concerto – dit-elle – parce que ça parle aussi de viol, mais d'une manière un peu lointaine, moins frontale, d'un corps en état de démolition. Si on ne libère pas la parole, ça produit des maladies, une souffrance telle qu'on ne peut plus vivre. J'ai mis trois ans à en parler et quand j'ai pris la parole à l'hôpital, ça n'a pas été entendu. »

« Les plus jeunes nous disent :

si je reçois une parole, qu'est-ce que je fais ? »

Leur Concerto, les quatre de la Divine Bouchère le jouent chaque année pour les étudiant-es de première année de l'école d'ingénieur-es de Brest. Ce jour-là les garçons n'ont pas le choix. Le reste du temps, ce sont plutôt des femmes qui remplissent les salles où elles se produisent.

Pourtant, elles apprécient les échanges avec les hommes sur un sujet qui peut les diviser. « Souvent, il y a de la défensive – disent-elles – ils se sentent accusés. » Certains trouvent que la pièce ne va pas assez loin, qu'elle pourrait être plus violente. Mais Jessica Roumeur se défend : « c'est un sensationnalisme qui pour nous n'a pas lieu d'être ». La plupart du temps, les hommes viennent leur parler pour en savoir plus et de plus en plus pour savoir comment réagir face à la parole d'une victime.

«Il y a quelques années, notamment autour de l'affaire DSK – se souvient Jessica Roumeur – il y avait une solidarité masculine dégueulasse. Avec Metoo on a encore été accusées de lynchage public. Aujourd'hui, la parole se libère et les plus jeunes viennent nous dire : "si je reçois une parole, qu'est-ce que je fais ?" »

Ce qu'elles doivent faire, Jessica et ses complices, elles, le savent parfaitement. « Continuer à lutter. Toujours ! » Malheureusement, leurs spectacles ont encore de beaux jours devant eux. « On se dit que peut-être quand on aura soixante ou soixante-dix ans on jouera encore – s'amusent-elles – mais s'il le faut, on sera là ! »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin :
- voir le site de la compagnie La Divine Bouchère et sa page facebook
- lire le livre de Valérie Rey-Robert « Une culture du viol à la française » et la retrouver sur son blog Crêpe Georgette