CouvAnneBouillon

Ce sera peut-être à l'occasion du choix du prénom de l'enfant à naître ou parce qu'elle lui a piqué une cigarette dans son paquet.

Quand un homme devient violent envers une femme, quand il la tue, ce n'est jamais ni par amour ni par folie.

C'est en tout cas ce qu'argumente Anne Bouillon dans son livre « Affaires de femmes ». Pour l'avocate nantaise, spécialisée dans la défense des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS), les féminicides ne sont pas une fatalité et les auteurs ne sont pas des monstres. Derrière ces actes, un seul coupable : une société inégalitaire.

 

Quand Anne Bouillon décide de devenir avocate, elle ne sait pas qu'elle choisira un jour de « renoncer définitivement » à défendre au pénal des hommes poursuivis pour violences sexistes et sexuelles, intrafamiliales et/ou conjugales. Mais aujourd'hui, c'est là que se trouve, entre autres, son engagement féministe. « J'ai trouvé ma voie en prêtant ma voix à toutes celles qui en ont besoin - écrit-elle - je dis leurs maux, je défends leurs droits et elles me construisent. Plaider leur cause est le combat de ma vie ».

« La violence est politique et culturelle ;

elle est systémique »

D'un côté il y a des femmes qui, écrit Anne Bouillon, pourraient être nos sœurs, nos voisines, nos collègues, nos filles. De l'autre côté il y a des hommes qui ne sont pas des monstres mais des hommes « normaux », écrit-elle encore, qu'ils soient anonymes ou puissants, « ordinaires, du quotidien, sans histoire (…) appréciés, insérés, aimés».

La violence, écrit l'avocate dans son livre, est politique et culturelle ; elle est systémique. C'est bien tout un système que dénonce celle qu'on traita parfois dans les tribunaux de « pasionaria du barreau» voire « d'ayatollah du féminisme », celle qui lors de la table ronde organisée par HF+ Bretagne en mars dernier à Rennes, appelait de ses vœux une « révolution féministe ».

Une longue culture de domination masculine, intégrée plus ou moins consciemment par les hommes, mais aussi par les femmes, une hiérarchisation des rôles diluée dans les normes sociales fabrique à la fois des hommes violents et des femmes victimes. Pas de fatalité là-dedans !

Anne BouillonAnne Bouillon se réjouit des avancées dans la reconnaissance des VSS notamment depuis 2017 et l'effet #Metoo mais aussi de l'utilisation désormais systématique du terme « féminicide » derrière lequel se trouve bien l'idée de domination. « Les femmes meurent en masse parce que les hommes les tuent – écrit-elle– Les hommes les tuent parce qu'elles sont des femmes (…) La culture de la violence et l'inégalité des sexes portent en germe la possibilité du crime ».

« La peine doit sanctionner ;

elle doit aussi favoriser l'amendement

et la réinsertion de l'auteur. »

Si le tableau dressé par l'avocate est particulièrement sombre, elle apporte aussi des réponses positives pour les femmes victimes mais aussi pour les hommes auteurs de violences.

La protection d'abord. Tout passe par là. Nombre de femmes n'ont pas été entendues quand elles ont alarmé sur leur situation ; beaucoup n'osent pas aller porter plainte sachant qu'on ne les écoutera pas. « Elles ont dans plus d'un tiers des cas déjà subi des violences avant d'être tuées – rappelle Anne Bouillon – et 20% d'entre elles avaient signalé leur condition auprès des forces de police ».

Déposer plainte est plus facile aujourd'hui nous dit-on et les personnels de police comme de gendarmerie commencent à être formés. Hélas, c'est aussi souvent la première démarche vers la plainte qui augmente les violences voire signe l'arrêt de mort d'une femme.

De leur côté, les hommes peuvent changer, soutient l'avocate. Et des dispositions récentes comme la loi du 20 juillet 2020 protègent les femmes séparées en ne les contraignant plus forcément à la coparentalité. L'institution judiciaire évolue et développe une certaine culture de la protection. Elle préconise aussi des mesures pour enrayer les violences.

« La peine doit sanctionner – dit encore Anne Bouillon - elle doit aussi favoriser l'amendement et la réinsertion de l'auteur. » Comme le proposent notamment les stages ou autres groupes de parole. Pas de solution miracle, certes, mais la Belgique qui s'est dotée d'une approche plus éducative que punitive a vu son taux de récidive des violences conjugales chuter à 9% quand il était de 52% après une peine de prison.

« Mes armes sont les lois, mes munitions sont les mots - écrit Anne Bouillon – mes ennemis ne sont pas " les hommes" mais le système qui les hisse sans partage au sommet de la hiérarchie ». Lors des échanges à Rennes en mars dernier, elle avait notamment redit combien il lui semblait « nécessaire de ne rien lâcher, d'être dans la rue, de militer, d'éduquer nos enfants, les filles et les garçons, à l'égalité, de se battre pour nos acquis ».

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : lire « Affaires de femmes, une vie à plaider pour elles » de Anne Bouillon aux éditions L'Iconoclaste (2024)