« Le but d'une bibliothèque est de donner aux gens la possibilité de participer au débat public. » D'emblée, les choses sont situées.

Au nom de la commission Légothèque de l'ABF – association des bibliothécaires de France Rapahëlle Bats était à Rennes début février pour une journée de formation un peu particulière proposée à tous et toutes les professionnel-les des structures culturelles.

L'objectif : leur donner des éléments de réflexion et de médiation culturelle sur le genre. Parce qu'au cœur des débats houleux autour de la loi Taubira, dite du « mariage pour tous », les bibliothèques ont été en 2013 et 2014 mises en cause sur le choix de leurs collections.

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« Qu'est-ce qu'on a à voir dans cette histoire et quel est notre rapport aux questions de genre ? » interroge Raphaëlle Bats devant un amphi de professionnel-les bretons travaillant dans leur majorité en bibliothèques mais aussi dans l'enseignant, des associations ou d'autres domaines culturels. Si la médiathèque départementale d'Ille-et-Vilaine a choisi d'aborder cette question lors d'une journée de formation, c'est bien en lien direct avec l'actualité récente.

La conférencière se souvient, avec encore un certain agacement, des attaques dont les bibliothèques ont été victimes notamment de la part des mouvements anti mariage homosexuel qui leur reprochaient de détenir des « livres néfastes pour les enfants » parce qu'on y parlait d'homoparentalité.

Remettre en question ses certitudes

Si Raphaëlle Bats a été chargée de répondre aux accusations qui étaient faites aux bibliothèques c'est en sa qualité de co-fondatrice et membre de Légothèque, un groupe de travail constitué en 2011 au sein de l'ABF.

Le sous-titre de Légothèque est « construction de soi et lutte contre les stéréotypes » rappelle Raphaëlle Bats qui précise avoir que son objectif est de « fournir de l'information aux bibliothécaires pour les accompagner » dans la mission qui est la leur : offrir la possibilité d'une déconstruction de soi c'est-à-dire « d'une possibilité de remettre en questions toutes nos certitudes ».

raphbats2« J'ai tendance à penser la bibliothèque – dit-elle encore -comme un lieu où chaque individu peut se retrouver à être toujours surpris à la fois de ce qu'il est lui-même et de ce qu'est le monde. » Les axes de travail choisis par Légothèque pour accompagner les bibliothécaires sont le sexisme, le racisme, l'homophobie et « d'une manière générale tout ce qui est refus de l'égalité, de la diversité culturelle, de la diversité sentimentale ou sexuelle. »

Très vite, donc, les membres de Légothèque se sont trouvés aux prises avec les accusateurs de la « théorie du genre ». Avec beaucoup de professionnalisme, Raphaëlle Bats explique que les inquiétudes exprimées autour de cette question ne sont pas à minimiser. Pourtant, s'interroge-t-elle, comment arriver au dialogue quand les deux discours sont tellement parallèles ?

Avoir des mots communs pour débattre

Une simple étude de deux textes, l'un visant à mettre en accusation la « théorie du genre », l'autre à défendre les « études de genre », permet de voir que les vocabulaires sont extrêmement différents. D'un côté : recherche, disciplines, domaines, etc. ; très peu de concepts personnels. De l'autre : enfants, école, nous, vous, etc. ; une approche personnelle voire intime. « Sur une même réflexion, les mots utilisés sont complètement différents – analyse Raphaëlle Bats - comment faire pour comprendre les uns les autres de quoi on parle et dépasser cette espèce de parallélisme ? On ne peut pas entrer en débat si on n'a pas des mots communs ! »

Et c'est précisément, pense-t-elle, le rôle des bibliothèques, et plus largement des lieux de culture, de donner ces mots communs pour permettre le débat. « Je suis persuadée – explique-t-elle – que pour avoir une légitimité à défendre l'égalité des sexes, il faut donner la possibilité aux gens de lire aussi des idées qui sont contre ! » Pour elle, il existe un équilibre à trouver et la bibliothèque est cet « espace particulier » qui peut le permettre.

Cette crise qui a rendu visibles des oppositions bien réelles dans la société française est un appel à faire bouger les choses. Nombre de bibliothécaires, professionnel-les mais aussi bénévoles, cherchent aujourd'hui à enrichir leurs collections pour s'ajuster aux questionnements en cours mais aussi proposent des débats, des tables rondes, etc. pour libérer la parole.

Outils, expo et petits trucs

tablerondeAux côtés de Raphaëlle Bats, qui a listé un certain nombres d'outils, notamment une exposition, issus du travail de Légothèque, des associations rennaises étaient aussi invitées à partager leurs expériences. Ainsi Mix-Cité Rennes a pu présenter l'outil utilisé par ses bénévoles lors d'interventions en milieu scolaire pour déconstruire les stéréotypes de genre et ouvrir la discussion sur l'égalité filles/garçons.

Au nom des personnes transgenres, Raphaël Magnan est également intervenu pour apporter des idées d'actions ou de postures à mettre en place notamment avec les enfants et les jeunes : avoir un fond documentaire qui ne soit pas uniquement constitué de livres de psychiatrie ; permettre des emprunts discrets par le biais de bornes pour les jeunes qui seraient mal à l'aise pour assumer leur choix d'ouvrages sur la transexualité ; permettre l'accès à certains sites sur les ordinateurs connectés à Internet pour les jeunes en recherche d'informations qu'ils ne peuvent consulter au domicile familial. Mais aussi des astuces toutes simples comme éviter les activités genrées ou utiliser des mots neutres, par exemple « enfants » ou « élèves » à la place de « filles » et « garçons » !

Geneviève ROY

Pour aller plus loin :
L'association Légothèque propose un certain nombre d'outils mais aussi des articles de fonds sur son blog
La médiathèque départementale d'Ille-et-Vilaine : ici