Actuellement 98% des sages-femmes sont des femmes. Et il semble bien que ça ne change pas de sitôt. Pas seulement parce que malgré une grève de bientôt six mois, leur profession reste dévalorisée, mais surtout parce que les garçons actuellement en formation sont toujours très minoritaires.
A l'école du CHU Pontchaillou de Rennes, ils ne sont que 9 pour un effectif total de 110 étudiants. Robin Bortoluzzi qui se destinait à la médecine générale a été conquis par la présentation du métier de sage-femme au cours de la première année d'étude commune.
Il est aujourd'hui en 3ème année et assume pleinement le fait de devenir demain sage-femme, un métier qui pour lui ne doit pas changer de nom.
Dans quelques jours, les sages-femmes de France achèveront leur sixième mois de grève. Leurs revendications restées jusqu'à présent sans réponse de la part du ministère de la Santé seront-elles enfin entendues par un gouvernement dans lequel un tel ministère a disparu ?
Robin Bortoluzzi ne semble pas très optimiste. « C'est quand même inquiétant que l'appellation « ministère de la Santé » ait disparu – confie-t-il - La santé est un sujet important au même titre que l'emploi ou l'éducation et rien que du point de vue de la communication, il aurait fallu garder un ministère de la Santé !»
Quant à l'interlocuteur officiel sur cette question il s'inquiète aussi : « Je pense qu'il y a beaucoup de ressentiment envers Marisol Touraine – analyse-t-il - notamment parce qu'on n'a vraiment pas l'impression d'avoir été écoutés. Suite aux grèves et aux manifestations, elle a annoncé qu'elle était en train de révolutionner la profession alors que ça ne correspondait pas du tout à nos attentes. J'ai lu récemment dans la presse qu'elle avait réussi à s'en sortir parce qu'elle ne s'était mis ni les médecins ni les syndicats à dos. Or, la profession de sage-femme se retrouve un peu entre les deux. Un des points clé des revendications des sages-femmes serait de sortir de la fonction publique pour rejoindre un statut de praticien ; les grandes centrales syndicales s'y opposent de peur de voir disparaître le service public et les médecins s'y opposent parce que le statut PH c'est un peu leur statut. Entre ces deux gros lobbies, les sages-femmes ne représentent pas grand chose ! »
Les futures négociations relèveront forcément du ministère des Affaires Sociales confié à Marisol Touraine, la crainte est donc forte que le bout du tunnel soit encore loin. « Je pense que beaucoup auraient aimé voir son départ » dit encore Robin qui, lucide, ajoute que bien sûr un nouveau ministre n'aurait pas forcément changé la donne.
Actuellement en stage au service des suites de couches de l'hôpital Sud, l'étudiant côtoie quotidiennement des professionnels grévistes (qui continuent leur travail) et des patientes concernées. Des médecins aussi qui à Rennes soutiennent les sages-femmes et l'ont fait savoir dans un communiqué.
Pourquoi changer de nom maintenant ?
Un homme en blouse rose, ça surprend, mais pas tant que ça. Quelques professionnels sont déjà en poste à l'hôpital Sud et les collègues de Robin y sont habituées. Du côté des patientes c'est parfois plus compliqué.
« Comme on peut s'y attendre, ça pose certains problèmes – reconnaît le jeune homme - parfois les patientes sont déjà un petit peu frileuses à l'idée d'avoir des étudiants, donc en plus quand c'est des hommes ! » Mais il ajoute que finalement, la situation peut se retourner en avantage pour lui : « comme c'est un métier où on est beaucoup amené à communiquer, ça nous fait une accroche et ça peut nous permettre de créer un lien plus facilement. »
C'est alors la patiente qui pose des questions et ça ne gêne pas du tout le stagiaire de parler de lui avant de s'intéresser à elle.
Les autres hommes concernés – les papas – sont sans doute plus difficiles à séduire. Même si Robin reconnaît n'avoir rien constaté de précis, il a lu sur Internet que « certains hommes ne sont pas forcément très à l'aise avec le fait que des hommes sages-femmes s'occupent d'eux. ». Des inquiétudes que le jeune homme espère dissiper par son professionnalisme : « Nous – dit-il - on essaie de faire notre boulot du mieux qu'on peut et le fait d'être un homme ne doit pas influencer le point de vue des gens sur nous. »
Devenir médecin, pour Robin c'était d'abord « exercer un métier social, un métier d'aide et être autonome ». Autant de caractéristiques qu'il a trouvé dans la présentation du métier de sage-femme vers lequel il a donc choisi de s'orienter dès sa deuxième année d'études.
Aujourd'hui il s'interroge encore sur l'appellation qu'il utilisera. Le masculin lui paraît bizarre : « Un sage-femme, non je ne crois pas – dit-il – on doit continuer à dire une sage-femme quand même ! C'est un mot qui porte une histoire, d'ailleurs ça ne désigne pas la femme qui travaille mais celle avec qui on travaille. » Bien vu, Robin, la sage-femme est la personne qui « connaît les femmes » ! Alors pourquoi pas un homme ?
Certes il existe un autre mot, un peu plus souvent mis en avant ces dernières années mais le jeune homme s'interroge aussi sur son emploi. « Il existe le terme de maïeuticien, mais on ne sent pas vraiment une volonté de la profession ni même des hommes de s'approprier ce terme. Je pense qu'on n'a pas besoin de changer le nom ; les patientes et les collègues voient bien qu'on est des hommes ! Après tout les hommes ont intégré cette profession depuis peu de temps, on n'a pas envie non plus qu'elle s'adapte pour nous ; ça a toujours été sage-femme, pourquoi est-ce que ça changerait maintenant ? »
Une question de culture
Et le regard des autres, y pense-t-il, Robin ? Du côté des parents pas de problème. « Ca doit dépendre des familles - reconnaît-il amusé - Pour ce qui est de mon cas, c'était plus du soutien voire une part de fierté parce qu'il y a toujours un aspect un peu pionnier même si la profession est ouverte aux hommes depuis 1982. »
Quant aux copains, on sent que la chose a été un petit peu plus difficile à comprendre. « Pudiquement, on va dire que... ça fait rire ! - avoue-t-il après une petite hésitation - J'ai eu droit à des remarques un peu graveleuses de certains amis qui trouvent ça bizarre mais il y a toujours une certaine part de curiosité. »
Une question de culture pense-t-il car ses amis auraient tout à fait accepté qu'il choisisse de se spécialiser en gynécologie pour une raison simple : « le gynécologue est avant tout un médecin et les médecins pendant des siècles c'étaient des hommes alors que la sage-femme a toujours été une femme ».
Pour lui, « le but n'est pas non plus de forcer des hommes à faire ce métier. » D'ailleurs, il constate avec regret semble-t-il que, bien que peu nombreux, « les garçons se mettent beaucoup en avant, notamment dans le monde associatif » ; depuis plusieurs années, c'est en effet un garçon qui préside l'association nationale des étudiant-es sages-femmes.
Robin, heureux de son choix, semble tout de même craindre que le métier auquel il se destine perde de son âme en s'ouvrant trop largement à la mixité. « Il y a quand même une part féminine au métier et on n'a pas envie de changer ça en profondeur – dit-il - La plupart du temps, les femmes font plus confiance à d'autres femmes quand il s'agit de parler d'elles. » Et cette relation de confiance au moment de la naissance d'un bébé, pour Robin, il n'est pas question de passer à côté !
Geneviève ROY