Travailleuse sociale depuis plus de vingt ans, Charline Olivier ne cesse de le répéter : son métier est en constante évolution ; comme sa façon d'appréhender les rencontres notamment en matière de violences intrafamiliales.
Depuis le covid, elle a ainsi appris à travailler par téléphone ; c'est désormais par ce biais que se passent tous les premiers entretiens avec les victimes.
« Je ne pourrais pas retravailler comme avant – reconnaît-elle – c'est tellement plus simple... et puis, ça permet de toucher un autre public ! »
Car les changements ne s’arrêtent pas là : des victimes de plus en plus jeunes, des influences différentes notamment liées aux nouvelles technologies, une parole facilitée pour tous.tes.
Ou encore des prises en charge qui s'adaptent avec par exemple la création de postes comme celui qu'occupe Charline Olivier dans les gendarmeries. Un lien à développer entre les Forces de l'Ordre et le travail social.
Extraits du témoignage de Charline Olivier invitée de Femmes en Chemin le 16 novembre.
Des violences qui arrivent de plus en plus tôt
« Depuis quelques années il y a des choses qui changent. Je rencontre de plus en plus souvent de très jeunes victimes. Dans ces relations qui tournent mal, on entrevoit les failles de l'enfance. Les jeunes femmes sont attirées par des hommes un peu plus vieux, une dizaine d'années seulement mais qui ont déjà une maison, une situation. Comme une recherche de stabilité, de sécurité économique, d'inscription dans la société. On a de l'argent, on peut sortir, acheter des choses comme à la télé !
Beaucoup disent "j'ai grandi dans une famille monoparentale, je ne sais pas ce que c'est un couple !". Elles n'ont pas appris comment on cohabite ; elles n'ont pas de modèles. Je me rends compte que pour un enfant un couple qui dysfonctionne c'est compliqué mais ne pas avoir de modèle du tout, grandir avec l'absence d'homme, l'absence d'altérité, ça laisse aussi beaucoup de traces. Et ça favorise une idéalisation excessive du couple.
Aujourd'hui, on rencontre de très jeunes victimes dans des violences très lourdes. Le fait aussi des images pornographiques consommées très jeunes et qui influencent la vision qu'on peut avoir de l'amour et de la relation. C'est aussi une génération qui parle beaucoup plus facilement de ces questions. Lorsque j'ai débuté ma carrière de travailleuse sociale, il y a vingt ans, je n'entendais pas de choses comme ça mais sans doute aussi que je n'aurais pas posé ces questions-là. Il n'y a pas que du moche, même les garçons arrivent à livrer des choses et c'est important !
Je n'avais jamais imaginé ça mais maintenant je rencontre aussi de plus en plus des jeunes femmes consommatrices d'images pornographiques. Le porno entre chez les adolescent.e.s très jeunes parce que les parents laissent accès libre à Internet. On voit aussi les conséquences de trois ans de covid et deux confinements. J'avais exercé les mêmes missions il y a dix ans dans un territoire rural, le monde était différent.
J'ai pris mes fonctions comme intervenante en gendarmerie salariée par l'Asfad en pleine crise sanitaire. Je venais pour les violences conjugales mais 25% de mon travail finalement a été consacré aux conflits familiaux avec des enjeux autour des téléphones, des réseaux, des rumeurs... avec des rapports sexuels filmés par des gamines de douze ans... Le porno a vraiment impacté tout le monde, femmes, hommes, filles, garçons... Les sites de rencontres qui se sont développés ces dernières années entraînent aussi de nouvelles victimes, des femmes qui ensuite se sentent responsables de leur agression parce qu' elles ont donné elles-mêmes leur adresse, inviter l'homme chez elles, etc. »
Des prises en charge qui évoluent mais un manque de formation
« Il y a des choses qui évoluent dans la manière d'entendre la parole des femmes. En gendarmerie, on reçoit de plus en plus souvent des signalements de la part des voisin.e.s ou des familles. Les gens qui sont témoins de certaines violences, verbales notamment, des situations d'humiliation, appellent en disant : "ce n'est pas acceptable" ; souvent ils n'interviennent pas mais ils ont le réflexe de filmer. D'autres qui entendent des cris ou des disputes violentes appellent aussi plus facilement.
Du côté des Forces de l'Ordre les choses ont changé aussi. Avant les situations étaient considérées comme banales, on ne s'en mêlait pas, de toute façon c'était du privé, de l'intime. Il existe une expression horrible en français qui parle de"se réconcilier sur l'oreiller". On a façonné les imaginaires avec ça, ceux des femmes aussi d'ailleurs.
Aujourd'hui, tous les appels sont enregistrés, ce n'est plus envisageable de ne pas envoyer une patrouille suite à un signalement. Même si ça peut rester compliqué parce que chacun.e fait en fonction de ses propres représentations de la violence. C'est parfois difficile de faire cohabiter la gendarmerie et le travail social . Je travaille avec des gradés qui sont intimement persuadés qu'il suffit de faire ceci ou cela pour tout résoudre parce qu'ils ne connaissent pas le travail social et ne savent pas qu'il faut prendre en compte la dynamique individuelle, le parcours de la personne, les déterminants sociaux, etc.
Il y a un manque évident de formation pour eux mais aussi pour beaucoup d'autres professionnel.le.s comme les personnels médicaux : infirmières, médecins, dentistes, kiné, tous les postes où on touche le corps de l'autre. Il faudrait aussi former les personnels éducatifs parce que les enfants sont également victimes. Il faudrait, en fait, repenser tout le modèle. »
Propos recueillis par Geneviève ROY