« On est un groupe trop restreint pour embrasser toutes les thématiques qui nous intéressent » regrettent les bénévoles d'Histoire du Féminisme à Rennes.
Si l'association compte peu de membres, les idées, elles, sont nombreuses pour répondre aux objectifs de « redonner aux femmes leur place dans l'histoire » et « transmettre cette histoire ».
Entre les actions déjà réalisées depuis plus de dix ans et les projets en cours, on ne peut que se réjouir d'un tel dynamisme. Les histoires de femmes, on aime ça ; qu'on nous en donne encore !
C'est au printemps 2012 que se dessinent les premiers contours de l'association Histoire du Féminisme à Rennes. A ce moment-là, Lydie Porée et Patricia Godard ont entamé des recherches sur le militantisme des Rennaises dans les années 70 et préparent leur ouvrage "Les Femmes s'en vont en lutte". Ce sera la première étape d'un long chemin. Viennent ensuite les visites guidées, les conférences et autres interventions et une envie de plus en plus partagée de mettre en lumière des histoires locales dont les femmes sont les principales actrices.
« Aucune de nous n'est historienne - rappellent les bénévoles – on apprend en faisant ». C'est surtout l'envie qui les pousse et cette conviction que les femmes manquent de reconnaissance depuis trop longtemps. Ensemble, elles découvrent les archives municipales ou départementales mais aussi celles plus personnelles conservées par des anonymes. « Chacune de nous est intéressée par différents thèmes ; il y a des choses qu'on fait de manière individuelle et qu'on remet après dans le pot commun » détaille Françoise Bagnaud, co-présidente de l'association.
Au fil des années, HFR permet la (re)découverte de grandes figures comme Louise Bodin, journaliste et militante politique, ou Clotilde Vautier, peintre à laquelle une exposition en mars 2018 rend hommage, mais aussi la mise en lumière d'autres femmes moins connues, celles qui s'engagèrent aux côtés d'Alfred Dreyfus à l'occasion de la révision de son procès, celles qui portèrent le CIDFF ou celles qui luttèrent contre la fermeture de l'usine SPLI.
Récemment, c'est à l'occasion de l'inauguration de l'Allée Colette Cosnier (quartier Saint-Martin) que HFR a rendu hommage à l'une de ses premiers soutiens. Ecrivaine et professeure à l'université Rennes 2, Colette Cosnier, disparue en 2016, a beaucoup inspiré l'équipe de HFR, notamment par ses écrits sur Louise Bodin.
Instruire les filles : une obligation légale mais des résistances locales
Au-delà des personnalités, HFR veut aussi travailler sur des thématiques et montrer l'importance des luttes collectives. Le premier des deux grands chantiers en cours porte sur l'histoire de la scolarisation des filles. « Personne jusqu'ici ne semble s'être posé la question du traitement différentiel voire discriminatoire entre les filles et les garçons - analyse Françoise Tyrant, l'une des cinq membres de la commission de travail – soit on considère l'élève neutre comme aujourd'hui après seulement cinquante ans de mixité, soit on s'intéresse à l'histoire de l'éducation des garçons ».
Retour donc sur cette époque, pas si lointaine, où en Bretagne comme ailleurs les filles n'avaient d'interlocutrices au fil de leur instruction que les religieuses qui cherchaient surtout à former de bonnes chrétiennes. A Rennes, ville alors très conservatrice, il semblerait que cette situation ait duré un peu plus longtemps qu'ailleurs.
Ce n'est qu'en 1906 que la ville ouvre son premier lycée de jeunes filles, vingt-cinq ans après la loi et cinquante ans après celui des garçons.Il aura fallu pour en arriver là que l'Etat menace la ville de supprimer d'autres financements relatifs notamment au musée ou à la bibliothèque pour que tombent les dernières résistances. « A quoi bon en effet instruire les filles ? - s'interroge Françoise Tyrant, ironique – elles avaient l'école primaire pour apprendre à lire et à écrire, c'était bien suffisant ! »
Grève avec occupation : difficile pour les femmes de dormir sur place
De son côté, Ghislaine Mesnage, avec un autre groupe de bénévole, prépare la célébration des cinquante ans de la grande grève de Mammouth, autre moment d'émancipation pour les femmes. Il s'agit cette fois-ci des employées du supermarché alors installé au centre Alma, des caissières majoritairement, qui luttèrent en 1975 pour faire respecter leurs droits.
Une grève de trois semaines avec occupation de l'entreprise que Ghislaine Mesnage a vécu de l'intérieur et dont elle a gardé non seulement des souvenirs mais aussi des archives. Avec une poignée d'anciennes collègues dont ont été recueillis les témoignages, elle raconte donc dans un court métrage en cours de montage cet épisode symbolique de la vie des femmes au travail dans les années 70.
« Grâce à nos luttes – dit-elle aujourd'hui – on a pu obtenir une meilleure convention collective que d'autres enseignes ». Ce récit "Nous les caissières" qui devrait être présenté à Rennes à l'automne revient sur ce qui faisait à l'époque le quotidien de ces femmes : travail en équipe, solidarité, syndicalisme comme lieu de formation... mais aussi lutte pour s'imposer dans un monde où les unes, trop jeunes, dépendaient encore de leurs parents et les autres, mariées, avaient des comptes à rendre à leurs maris.
« Quand les mecs se mettent en grève, leurs femmes les soutiennent – analyse Ghislaine Mesnage – mais quand ce sont les femmes, c'est plus compliqué, surtout quand il s'agit de dormir sur place pendant les occupations d'entreprise. » Certaines devaient justifier avec qui elles passaient la nuit quand d'autres se retrouvaient en pleine nuit obligées de répondre au téléphone au papa affolé dont l'enfant s'était réveillé en pleurant.
Un creux de plusieurs générations dans la transmission
Le travail et l'éducation, deux domaines qu'Histoire du Féminisme à Rennes a donc choisi de raconter pour dire la portée des luttes collectives dans la vie des femmes. Demain, peut-être c'est à l'obtention du droit de vote que HFR pourrait se consacrer. Une envie née de certaines découvertes au fil des études de documents d'archives. « On a trouvé beaucoup de choses sur les institutrices et les directrices d'écoles très impliquées dans la vie de la cité » dévoile Françoise Tyrant.
Après un désintérêt du public pour les questions féministes, le renouveau d'aujourd'hui donne de l'espoir aux militantes d'HFR. Elles se disent ravies de constater qu'un public jeune et mixte participe aux diverses déambulations proposées à Rennes par l'association.
Le creux de plusieurs décennies connu par les mouvements féministes après les années 70 reste à combler. Si la transmission ne s'est pas faite naturellement, des travaux comme ceux menés par HFR peuvent heureusement permettre de faire le lien entre les générations.
Geneviève ROY
Françoise Tyrant, Ghislaine Mesnage et Françoise Bagnaud (de gauche à droite sur la photo) étaient les invitées de la rencontre Femmes en Chemin organisée par Breizh Femmes le 15 mai 2025