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Elle a choisi le centre-Bretagne pour sa reconversion professionnelle. L'ancienne professeure des écoles est devenue « facilitatrice de transitions écologiques, climatiques et sociales ».

Mais surtout, désormais Karine Degunst assume parfaitement de se dire « écrivaine ». Avec déjà quatre livres à son actif, celle qui signe son premier roman l'assure : « j'ai toujours le syndrome de l'imposteur, mais c'est bon, je peux le dire ! »

Bites, c'est une histoire de disparition mystérieuse. On ne dévoilera rien ici, disons juste qu'un indice se trouve dans le titre...

 

Elle rit beaucoup Karine Degunst en répondant aux questions. Des rires qui protègent peut-être, qui allègent le quotidien. Car quand elle écrit, elle s'attaque plutôt à des sujets sérieux, voire graves. Mais toujours avec humour. « De toute façon je ne sais pas écrire autrement. Ça m'aide beaucoup dans la vie, ça m'évite d'aller voir un psychologue » s'amuse-t-elle affirmant sa capacité à « savoir analyser et transformer des émotions lourdes en émotions légères ». Pas seulement dans ses livres, paraît il. « Au quotidien – dit-elle encore – n'importe quelle situation un peu dramatique, je vais la détourner pour en faire quelque chose de drôle. »

C'est en effet ce qu'elle a fait avec succès dans ses quatre premières publications. « Mon écriture est viscérale, c'est mon EMDR à moi ! » explique Karine Degunst pour justifier des livres témoignages écrits d'une façon « cathartique ». Deux sur ses expériences de PMA - Félicitations, c'est une FIV suivi de Félicitations, c'est encore une FIV ! - un sur son rapport au deuil suite au décès de son jeune frère - La Mue - et un dernier inspiré du blog qu'elle tenait lorsqu'elle était enseignante, Cinquante nuances de craie.

« J'ai essayé de décrire

quatre images de masculinité déviante »

Karine Degunst est passée par Paris puis par Rennes avant de s'installer dans ce coin de Bretagne entre Loudéac et Pontivy, tout près du lac de Guerlédan. Un endroit dont elle est « tombée amoureuse ». C'est là qu'elle diffuse la bonne parole écologique auprès des scolaires, des élu.es, des entreprises, formée à différents outils comme la fresque du climat, la fresque de la biodiversité ou celle du sexisme. Malgré quelques réticences de l'agro-industrie, elle se réjouit du dynamisme de la région ; « on est une terre énergique en Bretagne » salue la nordiste venue de Dunkerque.

Entre son militantisme écologique, le travail, les enfants et le sport, elle trouve tout de même du temps pour écrire. Avec « Bites », elle signe son premier roman. Son deuxième en réalité, mais le tout premier qu'elle a écrit, « La résilience du cochon d'Inde » n'a trouvé que récemment un éditeur et devrait sortir en 2026.

CouvKarineBites, c'est l'histoire de quatre hommes que l'autrice a choisi avec minutie pour leur faire porter tout le poids du patriarcat. « J'ai essayé de décrire quatre images de masculinité déviante avec toutes leurs spécificités » dit-elle avant de présenter ses quatre héros malgré eux : l'homme de pouvoir, l'homme charismatique, l'homme proie des influenceurs virilistes, le pédocriminel...

Un catalogue qui fait froid dans le dos mais que Karine Degunst sait mettre en scène avec efficacité, n'hésitant pas à mentionner sur la couverture du livre que « bites » en anglais veut dire morsure. L'idéal en somme pour son « écriture un peu mordante ! »

« J'aurais pu mettre phallus, mais (...)

à part ma tante qui a tiqué, ça ne gêne personne ! »

Bien sûr, elle s'est fait censurer sur les réseaux sociaux ! A peine a-t-elle publié la photo de couverture, quelques jours avant la sortie de son livre, que ses comptes étaient désactivés. Un risque qu'elle avait accepté de prendre ; « j'aurais pu mettre phallus – explique-t-elle – mais je trouvais assez marrant d'être cash et à part ma tante qui a tiqué, ça ne gêne personne ! »

Autour des quatre « héros », quatre personnages féminins se dessinent un peu comme un puzzle. « Muneera avec le président c'est mon côté écoféministe, Claire avec l'acteur c'est mon côté sorcière et Sophie avec Julien c'est des discussions que j'ai pu avoir avec des copains. Je suis dans chacune d'elles – reconnaît l'autrice – un peu éclatée dans les quatre ». Sans compter la maîtresse d'école, bien sûr, grâce à qui tout sera résolu. Et la petite Marie qui se confie à sa licorne...

Karine Degunst croit qu'on peut « faire rire et en même temps porter un message ». Elle a opté pour une forme romanesque pour dire son combat contre le patriarcat, contre les dominations, et dénoncer les abus de certains hommes de pouvoir, dont celui aux cheveux jaunes qu'elle met en scène sans jamais le nommer mais dont elle dit « ce qu'il incarne je trouve ça juste à vomir ». C'est pour elle une façon de militer et espère-t-elle de toucher un autre public, moins averti, moins conscientisé aux inégalités de genre.

« Chaque petite fille a une licorne dans sa chambre »

Au fil du récit, elle profite des différentes situations pour balayer nombre de sujets féministes : l'effacement des femmes de l'Histoire, le regard masculin au cinéma, l'influence de la psychanalyse de monsieur Freud, l'écriture inclusive ou encore le poids de la religion. Elle sème ses petites graines.

Karine2« Je trouve ça intéressant de présenter les choses d'une façon moins viscérale qu'un témoignage et je serais ravie si ça permettait de provoquer des déclics, de poser des questions ou de déconstruire certaines choses » déclare-t-elle.

A la fin de son livre, comme il est d'usage désormais, Karine Degunst adresse ses remerciements. A ses proches, bien sûr, mais aussi à ses inspiratrices dont elle a dévoré les ouvrages : Mona Chollet, Virginie Despentes, Titiou Le Coq, bel hooks, Hubertine Auclert, etc. Elle s'emploie aussi à ne pas remercier tous ceux qui pourtant sont là, derrière ses mots : Donald Trump, Gérard Depardieu, Bertrand Cantat, PPDA... et tant d'autres. Jamais nommés, ils nous accompagnent durant toute la lecture.

« Chaque petite fille a une licorne dans sa chambre » conclut-elle. Entre promesse (pour les petites filles et celles qui l'ont été) et menace (pour certains autres) !

Geneviève ROY

A lire : « Bites, sexes masculins en français, morsures en anglais » de Karine Degunst aux éditions Ex-Aequo dans la collection Hors d'Elles