Nasrine

 

Elle s'est usé les yeux à lire et relire les épreuves sur l'écran de son ordinateur, mais Nasrine Nabiyar est fière de tenir entre ses mains son nouveau livre consacré aux femmes afghanes.

Deux ans de travail de traduction et de réécriture pour porter la voix de toutes celles qui depuis près de cinquante ans lui ont confié leurs histoires de femmes.

Des histoires de souffrances le plus souvent.

 

La toute première, qui figure au début du livre, c'était en 1975, en Afghanistan où Nasrine vivait encore. Elle ne saurait trop comment l'expliquer, mais toute jeune fille, elle avait eu envie de commencer cette quête de témoignages de femmes. Sans savoir vraiment où tout ça la mènerait. « Je voulais simplement écouter les femmes, leurs souffrances » dit-elle aujourd'hui, tenant dans ses mains le volume intitulé "Des rêves et des cris de femmes afghanes, si loin..." Loin géographiquement donc, mais aussi loin dans le temps puisque c'est sur plusieurs décennies que la collecte des mots a eu lieu.

Il y a celle, la première rencontrée, qui s'est révoltée contre la violence des hommes instituée en tradition et y a laissé plusieurs années de liberté après avoir tué son mari. Il y a aussi celles qui soumises ont enduré puis raconté. Celles qui sont encore en Afghanistan et les autres qui au fil des années et des drames qui se succédaient dans leurs pays ont fui vers l'Europe ou l'Amérique du Nord. Les jeunes et les moins jeunes ; celles que Nasrine a rencontrées et celles qui ont témoigné par téléphone, par mails ou via Whatsapp. Pour toutes, elle a choisi de taire l'identité et remplacé leur véritable nom par « des prénoms afghans pris au hasard ». Toutes, sauf cette jeune femme aujourd'hui exilée en Iran qui a souhaité que son nom apparaisse au bas des poèmes qu'elle envoie régulièrement à Nasrine.

« Elles disent leur détresse, leur perte de goût pour la vie »

« Ce sont des histoires qu'on ne peut pas oublier – défend Nasrine qui a parfois aussi fait appel à sa mémoire et à quelques notes griffonnées ici ou là – des histoires bouleversantes qui disent que quotidiennement la femme afghane souffre ! »

Les premiers témoignages, Nasrine les a entendus alors qu'elle était encore jeune et célibataire. « Je ne voulais pas me marier – se souvient-elle en riant- je me disais en entendant tout ça, si c'est comme ça ce n'est pas la peine de se marier ! »

Pourtant, être célibataire en Afghanistan est plutôt mal vu et jamais source d'indépendance ni d'émancipation. Alors quand son père lui transmet une demande en mariage, Nasrine ne dit pas non, mais elle négocie. « Je respecte votre avis – dit-elle à ses parents sachant qu'il s'agit d'un homme « éduqué » - mais si je ne m'entends pas avec lui, qu'est-ce que je fais ? » La réponse de son père la rassure : « tu te sépares » lui dit-il. Elle mesure sa chance d'avoir grandi dans une famille aimante où la violence n'avait pas sa place.

NasrinelivreCar c'est de violence, principalement conjugale, que lui ont parlé toutes ces femmes années après années. Jusqu'à ces plus jeunes aujourd'hui qui disent « leur détresse, leur perte d'espoir, leur perte du goût pour la vie ». Celles qui travaillaient pour les ONG internationales dans des programmes d'alphabétisation, celles qui animaient des ateliers de couture, celles qui entamaient des études supérieures... toutes celles dont les activités ont cessé brutalement au retour des Talibans au pouvoir le 15 août 2021. C'est cette date que Nasrine a choisi pour arrêter le recueil des témoignages. Parce que depuis c'est une autre histoire qui s'écrit dans son pays dont bien sûr, elle continue à recevoir des nouvelles.

« Les conditions de vie des femmes en recul d'un siècle, c'est insupportable ! »

« Chaque fois que le pays commence à évoluer, il se passe quelque chose et ce sont surtout les conditions de vie des femmes qui font un recul d'un siècle ; et ça, c'est insupportable » déplore-t-elle évoquant la situation de l'enseignement qu'elle connaît bien. Professeure quand elle vivait à Kaboul, elle est désormais présidente de l'association Malalay Afghanistan, fondée à Rennes à la fin des années 90. Une façon pour elle de poursuivre son travail auprès des petites filles et des adolescentes dont elle soutient la scolarité.

Aujourd'hui, les écoles leur restent accessibles jusqu'en classe de 6ème. Après, plus question pour les filles de poursuivre leurs études sauf dans certains collèges et lycées autorisés à les recevoir mais uniquement pour des enseignements religieux et moraux. Dire que dès 1945, l'Afghanistan se dotait d'un ministère des droits des femmes et des enfants ! Aujourd'hui, subsistent quelques écoles clandestines et des professeures d'université qui maintiennent leurs cours en ligne, mais de tels choix présentent un risque majeur pour les enseignantes mais aussi pour les élèves et leurs familles.

Nasrine Nabiyar, rennaise depuis 35 ans, ne se lassera jamais de parler et d'écrire sur les femmes de son pays. C'est un travail long et difficile qui s'achève avec la parution de ce livre, son deuxième après ses propres souvenirs racontés dans "L'exil, la rupture" en 2017. Il lui a fallu traduire les témoignages, les réécrire parfois puis les soumettre à des ami.e.s français.e.s pour correction. Elle a passé de nombreuses heures sur son ordinateur et ses yeux s'en souviennent encore. Pourtant, elle a déjà en tête un troisième projet. « J'ai pensé que j'aimerais bien écrire sur les réfugiés – confie-t-elle – comment ils vivent quand ils quittent leur pays, les pays qu'ils traversent... j'ai déjà quelques récits !» Le chemin de Nasrine est encore long, d'autres voix restent à faire entendre...

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : on peut trouver le livre de Nasrine Nabiyar en dépôt (20 €) à la librairie Planète Io rue Saint-Louis à Rennes et à Kennedy Photocopie, cours Kennedy à Villejean