« Derrière les chapeaux pointus et les nez crochus, il y avait de vraies personnes ! »
C'est en prenant conscience des souffrances vécues par celles qui tout au long des 17ème, 18ème et 19ème siècles ont été condamnées pour sorcellerie que Justine Jouet, historienne, a commencé à s'intéresser aux sorcières.
« Je suis tombée dans la potion magique il y a bientôt sept ans et j'ai trouvé ça fascinant - explique-t-elle – devant les accusations, les tortures subies, on ne peut pas rester insensible, on a envie de dire cette histoire et qu'elle circule ! »
« Souvent on me demande si je suis moi-même une sorcière ». Une question que Justine Jouet s'est habitué à déjouer avec humour. Et non, il ne faut pas forcément être une sorcière pour s'intéresser à la sorcellerie. Quelquefois il faut juste être historienne.
Etudiante en master d'Histoire lorsqu'elle arrive en Bretagne, c'est en découvrant l'histoire de Naïa du côté de Rochefort-en-Terre qu'elle décide de changer son sujet d'études. « Je travaillais sur la Pologne – dit-elle – mais avec un CDI à temps plein et un bébé, c'était devenu difficile de m'y rendre souvent ».
Alors, la jeune femme, passionnée de culture bretonne depuis son adolescence, fait son mémoire de Master 2 sur les procès en sorcellerie en Bretagne. Puis, dans la foulée, elle quitte son emploi et crée sa propre structure, Histoires de sorcières. Aujourd'hui, elle partage sa vie professionnelle entre enquêtes historiques, conférences, expositions et rédaction de livres, sans compter le podcast alimenté chaque semaine. L'univers des sorcières n'a plus de secret pour elle.
La période de Halloween est particulièrement active. Son agenda est complet du début octobre à fin janvier et elle enchaîne les interventions, une tous les deux jours en moyenne dans toute la Bretagne et un peu ailleurs. Après, elle se retirera pour terminer son troisième livre dont le sujet demeure mystérieux. « J'aime bien écrire l'hiver » dit-elle simplement.
Croyances et superstitions
Justine Jouet reconnaît une certaine appétence pour l'ésotérisme. « C'était commun chez nous d'aller parler au rebouteux ; j'ai été soignée comme ça quand j'étais enfant » avoue-t-elle comme si cette première approche l'avait conditionnée à s'intéresser à la sorcellerie.
C'est en effet pour exercice illégal de la médecin que ces femmes, et certains hommes, furent le plus souvent condamnées. Aujourd'hui, Justine Jouet tente de les réhabiliter par des enquêtes qui la plongent dans les documents d'archives à la recherche des éléments qui les innocenteraient. Souvent, estime-t-elle, il s'agissait juste de personnes qui dérangeaient leur voisinage et dont on cherchait ainsi à se débarrasser.
La première sorcière qu'elle a rencontrée s'appelle Naïa et a laissé sa trace à Rochefort-en-Terre où Justine Jouet fait revivre aujourd'hui sa mémoire lors de visites guidées. « On ne connaît pas toute son histoire – développe-t-elle – moi, je suis partie du portrait qu'en a fait Charles Géniaux en 1898. Il semble qu'elle avait des dons d'ubiquité, de voyance... En tout cas, des personnes qui l'auraient consultée ont véritablement existé et leurs descendants existent toujours. On est bien au-delà de la sorcière ; elle représente vraiment les croyances et les superstitions du 19ème siècle ».
Justine Jouet le sait, il reste des zones d'ombre, mais elle laisse désormais ses lectrices et ses lecteurs poursuivre le travail de recherche. « J'étudie en toute neutralité – dit-elle – et après c'est à chacun et chacune de se faire son opinion. Nous, les historien.ne.s, nous sommes des passeurs de mémoire. A partir du moment où j'ai publié un livre, je tourne la page et si d'autres personnes trouvent de nouveaux éléments, c'est tant mieux ! »
Plantes et magie blanche
L'objectif de Justine Jouet, « détective des sorcières » est de « déterrer des histoires » comme celle de Céleste « mère maquerelle à Saint-Malo en 1779 » marquée au fer rouge et condamnée au bannissement ou de réhabiliter des parcours entachés de rumeurs, comme celle de Hélène Jégado, par exemple.
Si elle a choisi ce sujet pour son deuxième livre c'est précisément pour démontrer qu'il ne s'agit pas ici de sorcellerie. « Jean Teulé en a fait une sorcière dans son livre Fleur de Tonnerre, mais ce n'est pas du tout une sorcière qui aurait eu un culte pour les pierres levées – défend Justine Jouet - c'est bel et bien une empoisonneuse, très intelligente je pense, et souffrant surtout d'une maladie psychologique voire psychiatrique ».
Comme d'autres femmes auxquelles s'intéresse Justine Jouet, il s'agit d'une personne « réputée sorcière ». On en trouve beaucoup en Bretagne, explique l'historienne, pour plusieurs raisons. D'une part, ici, on les a peu brûlées en place publique ; d'autre part, elles ont pu développer leurs talents de guérisseuses assez largement dans la région la plus sous-médicalisée de France où les rares médecins présents étaient regardés avec réticence ; ils ne parlaient pas la même langue et coûtaient cher. Les « sorcières », elles, savaient utiliser les plantes et autres pratiques de magie blanche toujours reliées à la nature.
Indépendance et empowerment
Aujourd'hui, c'est avec fierté que certaines femmes viennent voir Justine Jouet pour lui déclarer qu'elles sont sorcières. L'image a changé. Finis les pommes empoisonnées et les balais volants, les féministes sont passées par là. Dès les années 1970, elles se sont en effet emparées de la sorcière pour en faire une figure positive, celle d'une femme indépendante, luttant contre le pouvoir des hommes. Un petit air d'empowerment à l'ancienne.
Si les sorcières du 21ème siècle ne se cachent plus et même s'exposent sur les réseaux sociaux, elles continuent parfois à faire peur. Justine Jouet le sent bien lors de ses conférences ou de ses visites guidées, le public est quelquefois « mal à l'aise ».
Pourtant, même dans les dessins animés pour enfants, elles n'ont plus de verrues sur le nez et sont à la fois moins moches et moins méchantes qu'autrefois. Depuis une quinzaine d'années, dans certains pays des militant.e.s se battent pour leur réhabilitation officielles comme c'est le cas en Ecosse par exemple. Justine Jouet, elle, utilise les sorcières dans ses interventions pour jeune public pour faire passer un message clair : l'acceptation de la différence.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin
Découvrir le travail de Justine Jouet sur son site et retrouver toutes les dates de ses prestations
Lire ses ouvrages : Le mystère Naïa, une sorcière à Rochefort-en-Terre et La Jégado, dans les pas d'une empoisonneuse en Bretagne