L'Amicale du Nid lutte en France depuis 1946 contre les violences prostitutionnelles et la traite des êtres humains à des fins sexuelles, avec une visée abolitionniste.
Dans chaque région dans le cadre de la mise en œuvre de la loi d'avril 2016, les déléguées régionales aux droits des femmes ont fait appel à l'association pour la réalisation de diagnostics territoriaux.
Forte des constats sur la situation des quatre départements bretons, une antenne de l'ADN est présente depuis 2020 à Brest et Rennes. Prostitution numérique, manque d'hébergement, diminution des moyens financiers... les freins sont nombreux pour une réelle application de la loi.
Eclairage avec Romain Guigny, chef de service de l'antenne régionale.
Quelles particularités présente la prostitution en Bretagne ?
Avant notre diagnostic, il existait une sorte de croyance que la prostitution n'était pas présente en Bretagne. En réalité, nous avons fait plusieurs grands constats. Oui, la prostitution est bien là que se soit dans les villes ou dans les territoires ruraux, mais elle est peu visible parce que majoritairement numérique. C'est ce qu'on appelle une prostitution de précarité, issue du développement de la précarité chez les femmes, précarité sociale ou financière bien sûr mais aussi précarité du logement où la prostitution devient une monnaie d'échange. Dans les représentations collectives, ce n'est pas vraiment de la prostitution donc bien souvent elle est difficilement identifiable. Enfin, nous constatons une très forte exploitation sexuelle des mineur.e.s.
La violence prostitutionnelle est genrée ; dans l'immense majorité les victimes sont des femmes et les clients sont des hommes. Parmi ces femmes, trois grands parcours de vie se dessinent : des personnes originaires d'Amérique du sud, des personnes originaires d'Afrique centrale et des personnes françaises de moins de 25 ans. Chacune a des problématiques et des attentes différentes. Nous constatons par ailleurs, un très fort rajeunissement des personnes que nous rencontrons.
Comment s'organise l'ADN en Bretagne et quelles sont ses missions ?
L'Amicale du Nid Bretagne existe depuis octobre 2020. Aujourd'hui, nous avons deux antennes qui travaillent chacune sur deux départements. Celle de Brest s'occupe du Finistère et du Morbihan ; celle de Rennes s'occupe de l'Ille-et-Vilaine et des Côtes d'Armor. Nous accompagnons toutes les victimes ayant été ou étant actuellement en situation de prostitution mais aussi celles qui présentent des risques de le devenir.
Nous faisons aussi des actions de prévention et de sensibilisation notamment en milieu scolaire par la déconstruction des représentations et des interventions sur la vie affective, relationnelle et sexuelle.
Enfin, nous assurons des formations auprès des professionnel.le.s pour déconstruire leur regard et apporter des informations sur le cadre légal, les éléments de repérage et les pistes d'accompagnement.
Sur le terrain, quels sont vos moyens d'actions ?
Nous avons dû nous adapter à la physionomie de la prostitution d'aujourd'hui qui passe majoritairement par Internet. Nous avons remplacé les maraudes de rues par des maraudes numériques. Il existe pléthore de sites qui mettent en lien les clients et les personnes en situation de prostitution ; nous allons sur ces sites pour donner de l'information à ces personnes sur leurs droits et leur proposer, si elles le souhaitent, de nous rencontrer.
Nous avons des permanences physiques et téléphoniques où l'on peut nous demander du soutien, un accompagnement, une information etc.
Nous travaillons avec tout un réseau de partenaires locaux du domaine de la santé, notamment la santé mentale, des forces de l'ordre pour le volet juridique, l'accès aux droits, etc. tous les besoins des personnes dans la mesure de ce qu'il est possible de faire en fonction des réalités de territoires.
Quels sont les profils de ces personnes en Bretagne et comment les rejoignez-vous ?
Les personnes sud-américaines sont plutôt dans un parcours d'errance et de mobilité. Elles se déplacent par petits groupes de trois ou quatre et naviguent de petite ville en petite ville. Nous les rencontrons principalement par le biais des réseaux numériques.
Celles qui viennent d'Afrique ont souvent quitté des pays en conflits armés, notamment la RDC. Elles ont subi des parcours migratoires extrêmement violents et débarquent en Bretagne sans vraiment savoir où elles sont. Elles se retrouvent dans une grande précarité, seules, sans solution d'hébergement, sans droit de travailler, sans ressources et à la merci de violences sexuelles.
Les jeunes Françaises, elles, ont généralement toujours vécu en Bretagne et sont dans un continuum de violences, elles ont grandi dans un environnement insécurisant avec des violences intrafamiliales, des violences sexuelles, etc. Nous les rejoignons par le biais d'acteurs locaux qui les orientent vers nous, les missions locales, les CCAS, le 115, les urgences pédiatriques ou gynécologiques, etc.
Comment se met en place la loi d'abolition votée en France en avril 2016 ?
Cette loi, dont les intentions étaient louables, ne résout les problèmes que de manière homéopathique. Néanmoins, c'est une loi emblématique pour nous, les associations abolitionnistes. Elle met fin à la criminalisation des personnes en situation de prostitution en leur reconnaissant le statut de victime au sens juridique du terme. Et c'est une bonne chose de que faire porter la responsabilité au client. Mais, si celui-ci peut donc être légalement pénalisé pour l'achat d'actes sexuels, on compte très peu de cas réels d'interpellations.
Un troisième volet de la loi prévoyait des actions de prévention et une augmentation de moyens pour les associations qui accompagnent les personnes en situation de prostitution. Ce n'est pas vraiment le cas puisque chaque année, notre antenne bretonne se demande si elle bouclera son budget et combien de temps encore elle aura les moyens de fonctionner.
Enfin, la loi fait obligation aux préfectures de mettre en place au moins une fois par an des commissions qui ont deux objectifs : l'observation des réalités sur le terrain et la présentation de personnes désireuses d'entrer en parcours de sortie de prostitution (PSP). C'est là que l'Amicale du Nid a un rôle à jouer puisque nous sommes agréés pour accompagner ces parcours.
En quoi consistent exactement les parcours de sortie?
Les parcours de sortie permettent une reconnaissance juridique de victime. Ils sont assortis d'un titre de séjour pour les personnes migrantes mais il s'agit simplement d'un titre de six mois renouvelable trois fois, soit pour une durée totale de dix-huit mois. Or, le PSP dure vingt-quatre mois. Ça permet donc une sortie de l'illégalité et la possibilité de prétendre à un emploi ou une formation mais ce n'est qu'une étape.
Le point principal reste le logement. L'entrée en PSP donne également droit à une allocation qui n'est jusqu'à présent que de 330€ et qui devrait être revalorisée prochainement à hauteur du RSA. C'est une somme dérisoire pour pouvoir se loger et sortir de la précarité.
En Bretagne, par exemple, l'ADN n'est pas CHRS et donc ne dispose pas de places d'hébergement. Les dispositifs de mise à l'abri sont saturés et nous nous heurtons fréquemment à des situations de personnes maintenues dans une emprise prostitutionnelle, alors qu'elles souhaitent s'en extraire, parce qu'elles n'ont pas accès au logement. Le logement est la première étape pour s'en sortir ; si on n'a pas les moyens de mettre les personnes à l'abri, on les maintient dans le système. Or, en Bretagne, nous n'avons pas cette possibilité-là. Si on avait ça, on pourrait extraire beaucoup plus de personnes !
Pour les dispositifs d'accueil de femmes victimes de violence, nous ne sommes pas une priorité au sens où la prostitution n'est pas reconnue comme une violence faite aux femmes. Alors, on fait avec les moyens de droit commun, on appelle le 115 ; parfois ça fonctionne mais pas toujours. Dans le Finistère, ils sont très à l'écoute et toutes les personnes sont mises à l'abri. En Ille-et-Vilaine, c'est plus compliqué. Ce sont aussi des choix politiques.
Aujourd'hui pour une bonne application de la loi, il nous manque des moyens. D'autant plus que cette loi, plus attractive pour les personnes en situation irrégulière, rentre en contradiction avec pas mal d'autres politiques notamment les politiques migratoires. Tout le monde n'a pas le même regard attentif ni la même lecture abolitionniste.
Quel avenir pour l'ADN en Bretagne ?
Chaque année on remet en jeu la viabilité de nos financements. Mon premier objectif est de réunir les subventions nécessaires pour être à l'équilibre et maintenir les huit postes salariés de la région. Chaque année, je me dis : une année de plus ! Une année de plus pour nous, mais aussi pour les personnes qui ont besoin de nous. Depuis octobre 2020, nous en avons reçu plus de 500 !
Propos recueillis par Geneviève ROY
Illustrations : les graphiques sont issus du diagnostic de 2019 qui peut être consulté sur le site de l'Amicale du Nid, rubrique « diagnostics territoriaux »