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Au départ, il y eut Amandine.

En rencontrant cette vieille dame qui désirait connaître ses origines et notamment qui était sa mère, Martine Fauconnier-Chabalier allait commencer à démêler un écheveau quasiment sans fin.

Après des années de travail, de recherches, une reprise d'études, elle publie un ouvrage de 400 pages dans lequel elle interroge l'image de ces femmes qui du début du 20ème siècle à nos jours ont fait le difficile choix d'abandonner un enfant à sa naissance.

Des mères que la chercheuse définit comme « singulières » parce qu'elle refuse de penser qu'elles ne sont pas « des mères quand même ».

 

 

Martine Fauconnier-Chabalier est inspectrice à l'action sanitaire et sociale du Maine-et-Loire lorsqu'elle rencontre Amandine, née durant la première guerre mondiale. A chacune de ses visites, la vieille dame lui dit « sa peine de ne pas connaître sa mère de naissance ». Martine, elle, a l'habitude de traiter ce type de dossiers mais connaît mal les pratiques du passé.

Pour pouvoir répondre à Amandine elle entreprend alors des recherches ignorant qu'elles la mèneraient très loin. Elle se penche d'abord sur la législation pour la période 1914/1939 renouant avec son passé d'étudiante en Histoire. Des milliers de dossiers plus tard, c'est toute l'époque moderne – de 1900 à 2020 - que Martine Fauconnier-Chabalier décortique dans son ouvrage « Des mères singulières » paru aux éditions des Presses Universitaires de Rennes à l'automne dernier. Des propos largement émaillés de paroles de femmes, glanées au fil des dossiers consultés.

Abandonner pour permettre une vie meilleure

L'objectif de la chercheuse a évolué au fil des recherches. Si Amandine en a été le déclencheur, le sujet de son travail n'est plus l'enfant mais bien la mère qui se cache derrière. Des femmes, elle le découvre très vite, dénigrées par la société à toutes les époques mais qui pourtant n'ont agit que dans un seul but : le bonheur de leur enfant.

Martine1« Chaque situation est différente – détaille-t-elle aujourd'hui – les motivations de ces femmes sont non seulement complexes mais aussi plurielles. Pourtant il y a une chose qui les rassemble toutes c'est leur désir d'offrir à leur enfant une vie meilleure que ce qu'elles peuvent elles-mêmes leur apporter. L'abandon est indépendant de l'enfant lui-même ; ce sont leurs propres capacités qu'elles mettent en cause ».

On sent dans ses propos une réelle affection pour ces femmes démunies qui évoquent selon les périodes des conditions de vie misérables, la crainte de leur famille ou encore un passé de violences voire un viol dont serait issu l'enfant à naître. Dans les années 70/75 avec la création de l'allocation de parents isolés et l'apparition de la contraception et du droit à l'avortement, les abandons tendent à diminuer considérablement. Même si c'est toutefois encore un peu plus de 600 cas qu'on recense aujourd'hui chaque année.

Le temps n'est pas le même pour la mère et son bébé

Impossible, estime Martine Fauconnier-Chabalier, de dresser un portrait type de la mère qui abandonne son enfant. Au 21ème siècle le premier motif évoqué n'est plus la misère mais l'impossibilité d'élever l'enfant avec son père (43% des cas). Et c'est un constat, les femmes qui abandonnent leur enfant sont la plupart du temps célibataires. Les pères semblent les grands absents de ces histoires. D'ailleurs, pour la loi, l'abandon est du seul ressort des mères.

On imagine la solitude de ces femmes pour lesquelles Martine Fauconnier-Chabalier défend la nécessité d'un accompagnement solide. Le temps n'est pas le même pour les enfants qui ont « besoin d'être adoptés le plus vite possible » et pour ces mères qui n'ont que deux mois pour prendre leur décision et s'y tenir. « L'idéal – dit-elle – est de pouvoir accompagner ces femmes dès la grossesse comme le propose par exemple le département d'Ille-et-Vilaine » qui fait figure d'exception en ce domaine.

Martine2Mais après ? interroge-t-elle s'étonnant que pour les femmes rencontrées dans le cadre de ses recherches elle était presque toujours « la première personne à qui elles osaient parler de ce moment-là. » C'est du côté du Québec que la chercheuse préconise de chercher des solutions pour améliorer le système français, pas toujours satisfaisant pour les mères.

Certes, Martine Fauconnier-Chabalier n'aura jamais pu retrouver la mère d'Amandine. Mais grâce à elle, elle aura pu découvrir et faire découvrir à celles et ceux qui liront le fruit de ses recherches, que ces femmes souvent jugées maltraitantes sont avant tout des mères, soucieuses de l'avenir de leur enfant.

Elle a choisi de les appeler des « mères singulières » quand officiellement on recommande de les nommer des « femmes » ou encore des « parturientes » parce qu'il n'y aurait pas de lien juridique entre elles et leurs enfants. Pour elle, elles restent tout simplement des mères. « On considère que ce sont des mères indignes, mais ce qu'elles font elles le font par amour pour leur enfant – insiste-t-elle - C'est en pensant à elles que j'ai eu le courage de finir ce long travail ; elles méritent bien un livre ! »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : lire Des mères singulières, les mères qui abandonnent leur enfant en France (1900/2020) de Martine Fauconnier-Chabalier – éditions PUR (2022)

Sur le même sujet, lire l'article publié en 2015 : Des mères qui abandonnent ou qui donnent ?

Photos : Martine Fauconnier-Chabalier est venue présenter son travail dans le cadre de l'événement Femmes en Chemin organisé par Breizh Femmes au salon de thé culturel Références Electriques le 19 janvier 2023