La nouvelle pièce de Marine Bachelot Nguyen, Les ombres et les lèvres, est un spectacle que l'auteure qualifie elle-même « d'intimiste ».

Une plongée à l'été 2014 dans le pays natal de sa mère, le Vietnam ; la rencontre des mouvements LGBT émergents dans un pays tiraillé entre confucianisme rigide et régime politique communiste ; voici les ingrédients de ce voyage porté sur scène par quatre artistes soigneusement choisis pour ce qu'ils sont : des représentants de la société multiculturelle française.

bachelot

En marge de cette « exploration généalogique » Marine Bachelot Nguyen poursuit sa réflexion politique sur ceux et celles qui construisent la France d'aujourd'hui.

 

Ce qu'elle aime c'est écrire des « spectacles qui voyagent et racontent des histoires de gens aux origines mêlées. » Une façon sûrement de faire se croiser son art, l'écriture et la mise en scène de théâtre, avec ce qu'elle est profondément : une française issue d'une double culture.

Si Marine Bachelot Nguyen avait déjà fait deux voyages au Vietnam, là où se situent ses origines maternelles, le hasard a voulu que ce soit en 2014, un an après le décès de sa maman qu'aboutisse son projet soutenu par une bourse « hors les murs » de l'Institut Français. Sept semaines de recherches afin de « rassembler des matériaux » pour un nouveau spectacle avec un angle défini au préalable : la question de l'homosexualité et du mouvement LGBT vietnamien.

« Une façon de mieux comprendre ce qu'on traversait en France »

L'idée est née d'un constat : l'émergence d'un mouvement assez important au Vietnam et très présent notamment sur les réseaux sociaux. Un constat qui arrive au moment où justement en France, les passions se déchaînent autour du « mariage pour tous » d'une part et d'une résurgence d'actes racistes d'autre part. La jeune femme reconnaît que cette « vague réactionnaire [l'a] bousculée ». « Pour moi – explique-t-elle – c'était assez violent en tant que Française, en tant que lesbienne aussi, de me dire : là-bas les choses se passent autrement ; et si j'allais voir ? C'était une façon de pouvoir mieux regarder et mieux comprendre ce qu'on traversait en France. »

Entre confucianisme et communisme, on imagine en effet l'homosexualité comme quelque chose de caché en Asie. Alors qu'au contraire l'artiste y découvre « une vitalité, une force » qui l'intéressent. A Hanoï ou à Saïgon, on défile dans des « pride festives et militantes » ; à la campagne se multiplient les troupes théâtrales ambulantes composées de nombreux artistes homosexuel-le-s ou trans. Et c'est notamment grâce à Tham Thi, documentariste auteure du Dernier voyage de Madame Phung, que Marine peut suivre leurs tournées et faire des rencontres qui viennent « tisser [son] texte et trouver des échos avec [son] vécu. »

Le « tu » pour « raconter des choses plus intimes »

bachelot2Après le temps nécessaire à la maturation, Marine raconte ce voyage dans sa nouvelle création Les ombres et les lèvres. « C'est -dit-elle – un voyage dans l'espace, un voyage dans le temps, mais aussi un voyage dans les pensées, le ventre et le cerveau de la narratrice. » Et pour prendre un peu de distance avec cette voix qui raconte – la sienne sur scène – elle a choisi le « tu » plutôt que le « je ». « Ça permet de raconter des choses plus intimes – analyse-t-elle – mais aussi que les interprètes et les spectateurs puissent faire résonner ce « tu » en eux. » Sa pièce parle du lien qui l'unit au Vietnam, bien sûr, mais aussi de l'histoire de la France avec son ancienne colonie.

Et ses interprètes, la jeune femme ne les a pas choisis au hasard. Ils sont quatre, deux garçons, deux filles, deux blancs, deux asiatiques. Et pour incarner cette « multiculturalité qui est une part de la société française » mais aussi « une nécessité intrinsèque du projet » Marine s'est heurtée à l'absence de diversité du théâtre français. Elle qui milite au mouvement Décoloniser les Arts, le savait déjà, mais elle l'a réellement expérimenté quand elle a cherché deux artistes d'origine asiatique. Pour l'une des deux, elle a même dû aller jusqu'à Bruxelles.

« J'ai choisi ces interprètes – dit la metteure en scène – car ce sont des gens avec qui j'ai des échanges riches parce qu'ils ont des vécus de stigmatisation soit parce qu'ils ne sont pas totalement blancs, qu'ils ont une double culture, soit parce qu'ils sont homos. » Au fil de ses voyages (en Afrique puis en Asie) comme au fil de ses pièces, Marine Bachelot Nguyen poursuit « sa construction politique » et sa réflexion « sur ce que c'est qu'être Français aujourd'hui. »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin

Les ombres et les lèvres écrit et mis en scène par Marine Bachelot Nguyen en création au TNB à Rennes du 23 au 27 février avec Cathy Min Jung, Tien Lê, Romain Brosseau et Marina Keltchewsky.

A lire aussi

Un portrait de Marine Bachelot publié par Breizh Femmes en septembre 2013