L'Union des Associations Interculturelles de Rennes a fêté ses trente ans en 2013. Elle regroupe soixante associations représentant la multitude de nationalités présentes à Rennes et emploie cinq salarié-es qui assurent l'accompagnement de personnes âgées ou en recherche d'emploi aussi bien que l'organisation de différentes manifestations culturelles et l'appui à la vie associative. Le point commun de toutes les activités : le public, composé uniquement de personnes étrangères ou d'origine étrangère. Samira Gharrafi, en charge du pôle social, se concentre sur l'accès aux droits et notamment le renouvellement des titres de séjour.

 

samira

 

 

C'est dans l'exercice de cet accompagnement, qu'elle a repéré de plus en plus de cas de femmes victimes de violence. Pour elles, elle a mis en place en 2009 une permanence spécifique et un groupe de parole « elles diront d'elles ».

A quels besoins répondait la création d'une permanence spécialement dédiée aux femmes étrangères ou d'origine étrangère à l'UAIR ?

Le pôle social dont je m'occupe reçoit chaque année plus de 1500 personnes dont 62% de femmes (chiffres 2012). J'avais constaté qu'elles étaient de plus en plus nombreuses à se dire victimes de violence ; quand elles devaient renouveler leur titre de séjour et qu'on essayait de faire leur dossier ensemble, je m'apercevais que la présence du conjoint, indispensable si elles étaient arrivées en France dans le cadre du mariage, pouvait poser problème et petit à petit je me rendais compte qu'il y avait des violences. Or, la présence sur le territoire français de ces femmes-là n'est légitime que par le mariage ; si elles ne sont plus conjointes de Français elles n'ont plus le droit de rester sur le territoire français.
A Rennes, pour accompagner les femmes il y avait déjà la Cimade pour les migrantes, le CIDFF ou l'ASFAD pour les victimes de violence. A l'UAIR, on ne voulait pas empiéter sur le travail des autres ni faire doublon, mais vraiment accompagner ces femmes dans le cadre juridique avec l'entrée « titre de séjour » en partenariat bien sûr avec les autres structures, le CIDFF ou l'ASFAD mais aussi le Planning Familial ou l'AIS 35. En 2009 on a mis en place une permanence spécifique les vendredis après-midi de 14h à 17h 30. Pour l'année 2012, c'est près de 200 femmes qui y sont venues.

Comment les femmes arrivent-elles jusqu'à vous ?

Elles sont orientées par le CDAS ou les associations membres de l'UAIR et également le bouche à oreille dans les quartiers sensibles. D'ailleurs, les chiffres montrent que nous accompagnons beaucoup de femmes qui habitent ces quartiers dits prioritaires. Nous avons depuis l'année dernière mis en place une convention avec le Planning Familial ; les femmes qui s'adressent à nous ne voient pas toujours l'utilité d'aller demander la contraception ou voir un gynécologue. Venir chez nous, c'est plus facile pour elles, on les met en confiance et quand on leur dit : maintenant, il faut aller taper à la porte du Planning, elles y vont.

Qu'attendent-elles de vous ?

Dans un premier temps, elles cherchent à être reconnues comme des victimes. Nous avons créé un groupe de paroles qui s'appelle « elles diront d'elles ». Elles sont au nombre de 15 et se réunissent un vendredi sur deux pour échanger sur leur histoire et sur leur vie en France.
Pour nous, il s'agit d'abord de les écouter, puis de les informer, de les orienter et surtout de les accompagner.

D'où viennent ces femmes ?

La majorité des femmes que nous accompagnons (33%) viennent d'Afrique subsaharienne, d'abord du Congo puis du Mali, de Guinée, de Djibouti ou de Somalie. Elles viennent ensuite des pays d'Afrique du Nord (32%) puis d'Europe (29%).
Pour le Congo, on a reçu énormément de femmes qui venaient du Kivu et souhaitaient déposer une demande d'asile. Nous préparons avec elles le récit de vie dont dépendra la décision de l'OFPRA ; il y a tout un travail d'écoute à faire pour retranscrire ensuite leur histoire, ça prend du temps. Par ailleurs, on sait que 98% des demandes sont rejetées par l'OFPRA donc on prépare la suite avec notre réseau d'avocats à Rennes ou à Paris qui sont spécialistes en droits des étrangers mais également souvent militantes féministes.

Quelles sont les situations des femmes que vous rencontrez ?

La première violence est très souvent la violence administrative, le chantage aux papiers. Certains conjoints ne parlent même pas à leurs épouses du contrat d'accueil et d'intégration et au bout de quelques années, elles se retrouvent sur le territoire français sans aucune existence légale.
Les femmes que nous accompagnons sont en majorité arrivées dans le cadre du mariage donc en tant que conjointes de Français ; ensuite nous voyons des femmes venues pour cause de regroupement familial ou parce qu'elles ont osé quitter leur pays d'origine où elles étaient victimes d'un mariage forcé ou d'excision ou autres violences faites par des hommes de leur village. Quand elles ont des filles, nous les informons sur la possibilité de demander la protection pour que leurs filles ne soient pas victimes elles aussi de ces pratiques violentes ; c'est un argument qui peut peser à condition qu'elles aillent voir un médecin et qu'elles obtiennent un certificat médical.
On accompagne en ce moment une jeune femme Française qui a été mariée avec un Syrien et dont les enfants sont actuellement retenus en Syrie. Dans le cadre des mariages mixtes très souvent un des parents, majoritairement le père, décide de repartir dans le pays d'origine car il a gardé la double nationalité.
On reçoit aussi beaucoup de jeunes femmes, quelquefois très jeunes même, mariées avec des Français qui se retrouvent victimes de violences conjugales parfois même de racisme si elles sont originaires d'Afrique Subsaharienne mariées avec des « franco-français ».
Ce que je me permets de dire aux femmes Françaises – ne pas rester, quitter le conjoint violent le plus vite possible, aller déposer plainte, etc. - je ne peux pas le dire à une femme qui va perdre son titre de séjour et ne trouvera aucune structure pour l'héberger ! S'il y a des violences, elles ne doivent pas accepter un divorce par consentement mutuel ; il faut que se soit un divorce pour faute et ça prend du temps ! Il faut aussi pouvoir les orienter vers un médecin, mais très souvent elles ont le même que leur mari qui les accompagne lors des visites.
Nous avons aussi les cas de Français d'origine étrangère qui épousent une femme de leur pays d'origine pour faire plaisir à leur mère. Ils ont la nationalité française, ont une culture française, ont eu des copines françaises, mais subissent toujours un poids culturel très important et acceptent de faire venir des femmes qui une fois arrivées sur le territoire français, sont délaissées et deviennent la femme de ménage de leur belle-mère. Quand elles ne sont pas obligées en plus de lui faire des massages pendant que le conjoint continue à sortir dans les boites de nuit !
Chez les français convertis à l'Islam, il y a une nouvelle tendance aussi à aller chercher des filles dans les pays musulmans et ces femmes qui ne portaient pas le voile dans leur pays d'origine se retrouvent obligées de le porter en France.

Dans la loi d'égalité femmes/hommes actuellement en cours de vote à l'Assemblée nationale, il y a un volet sur cette question des femmes étrangères, apporte-t-il à votre avis des réponses intéressantes ?

Du moment qu'on prend en compte ces femmes, bien sûr, ça va dans le bon sens ! Nous nous battons pour dépoussiérer un peu les conventions bilatérales. On a la chance d'avoir un ministère aux droits des femmes pour qui c'est aussi une priorité !
Mais ce que je disais lors de la 7ème rencontre du Forum Femmes Méditerranée (le 26 novembre à Rennes – ndlr) c'est que je souhaiterais qu'on travaille sur un statut autonome. Les femmes qui viennent sur le territoire français ne devraient plus dépendre du conjoint. Si elles viennent dans le cadre du mariage, c'est en plus, mais elles ont des compétences elles aussi et leur légitimité à rester sur le sol français ne devrait pas dépendre de leur situation familiale. Si on se donne les moyens, je pense qu'on peut définir ensemble avec toutes les associations féministes ou qui militent pour les droits des femmes, un statut autonome pour ces femmes. Actuellement on constate une féminisation des migrations et si elles continuent à arriver beaucoup par le regroupement familial et le mariage, les femmes viennent aussi seules dans le cadre des études ou pour fuir leur pays.

Comment ces femmes étrangères venues de pays où elles n'ont pas les mêmes droits que les Françaises, perçoivent-elles la situation ici ?

Les femmes qui quittent leur pays d'origine veulent justement accéder à d'autres droits notamment celui de l'intégrité physique. Elles savent très bien qu'en France, il y a certaines choses qui ne se font pas et que l'excision ne concerne qu'une partie de la population mondiale par exemple. C'est la même chose pour les mariages forcés.
D'autres sont conscientes de l'évolution des droits des femmes dans leur pays d'origine et quand on va sur le sujet sensible du voile elles savent que des femmes dans leur pays d'origine militent contre le voile ou pour l'avancée des droits des femmes.
Cette année l'UAIR va préparer un temps d'information sur les conventions bilatérales et on voudrait mettre l'accent sur les dix ans du code de la famille au Maroc et l'évolution des droits des femmes dans ce pays où il y a eu beaucoup d'avancées. Maintenant une femme célibataire peut donner son nom à son enfant ; avant ce n'était pas possible, les enfants ne devaient naître que dans le cadre du mariage. Il y a aussi la possibilité pour une femme marocaine mariée avec un étranger de donner sa nationalité à ses enfants. En Tunisie, l'égalité femmes/hommes est maintenant dans la constitution. Les choses avancent partout !

Propos recueillis par Geneviève ROY

Infos pratiques : UAIR 62 rue de Dinan à Rennes - du lundi au vendredi de 9h à 12h et de 14h à 18h accueil téléphonique au 02 99 33 01 03 - accueil du public le mardi et le jeudi de 14h à 17h 30 - Permanences "femmes victimes de violences" le vendredi de 14h à 17h 30