Environ 40% des demandeurs d'asile qui arrivent en France sont des femmes.

Depuis quelques années, à Rennes, l'UAIR a constaté qu'elles étaient de plus en plus nombreuses à reconnaître avoir subi des violences. Parfois dans leur pays d'origine, mais fréquemment aussi au cours de leur migration voire même à leur arrivée sur le territoire français. A tel point que l'association a mis en place une permanence d'accueil et un groupe de parole pour accompagner ces femmes migrantes.

Le 27 novembre, avec quelques-uns de ses partenaires – l'ASFAD, le CHU et la DRDFE - l'association proposait une table ronde sur cette question.

Maitre Gaëlle Le Strat, avocate au barreau de Rennes, spécialisée dans l'accompagnement des demandeurs d'asile, s'est interrogé sur ce que permettra la nouvelle loi du droit d'asile en vigueur depuis juillet 2015.

UAIRtableronde

« Les femmes qui viennent nous voir évoquent souvent des violences liées à leur vécu dans leur pays d'origine, les guerres, leur appartenance à un parti politique ou une ethnie – explique Samira Gharrafi chargée de mission à l'UAIR - Il leur faut parfois beaucoup de temps pour arriver à exprimer ce qu'elles ont subi : des viols, un mariage forcé, des mutilations sexuelles... » Ces femmes « contraintes de s'exiler parce qu'elles refusent des lois, des coutumes ou des pratiques inégalitaires » sont souvent à nouveau victimes de violences tout au long de leur parcours migratoire. « Quand elles viennent nous voir, elles sont à bout » témoigne encore Samira Gharrafi.

Avec l'UAIR ces femmes vont pouvoir trouver un lieu d'écoute et de partage, commencer à écrire leur récit en vue d'une demande d'asile, mais aussi être orientées vers des médecins et des psychologues. Le groupe de parole « Elles diront d'elles » va leur permettre de sortir de l'isolement, de vivre une solidarité entre femmes et de travailler sur leur estime de soi. C'est aussi pour elles, le lieu où elles vont pouvoir mettre un nom sur les violences subies et ainsi les faire reconnaître.

Surtout ne rien cacher

Une démarche essentielle pour Gaëlle Le Strat. L'avocate le martèle : « il ne faut rien cacher ! » Elle sait comme ses confrères et consœurs qu'il y a un certain nombre de viols commis par les passeurs, parfois par des compatriotes, durant le parcours d'exil. La Cour Nationale du Droit d'Asile (CNDA) et l'OFPRA sont informés de ces pratiques et savent que forcément une femme sur son parcours aura pu être exposée à un risque important d'agressions sexuelles ou de viol dans les camions, sur les bateaux, sur la route, dans les camps. « Ce n'est pas pour ça qu'on lui accordera le droit d'asile – explique l'avocate - mais c'est important de ne rien masquer. Il faut libérer la parole sinon il y a quelque chose qui ne collera pas dans le dossier. »

Or, pour libérer la parole, il faut du temps. Et la nouvelle loi du droit d'asile votée en juillet dernier laisse moins de temps pour préparer les dossiers et les auditions à l'OFPRA d'abord, puis à la CNDA ensuite. « La loi vient modifier les conditions d'accès mais surtout les délais - regrette maître Le Strat – Au lieu d'avoir cinq mois on a quatre semaines ! Ce n'est pas un progrès c'est une difficulté plus importante pour les associations d'aide aux demandeurs d'asile comme pour nous les avocats ! »

Pour gagner du temps et mieux défendre ses clients, l'avocate insiste sur l'importance des certificats médicaux délivrés soit par des médecins de ville mais plus souvent, notamment à Rennes, par la médecine légale. « C'est indispensable – dit-elle – On a besoin d'éléments médicaux à la fois physiques et psychologiques. »

Bien préparer l'audition

Les femmes en demande d'asile peuvent faire valoir un certain nombre de violences notamment l'excision non pas si elles-mêmes en ont été victimes mais lorsqu'elles deviennent mères de petites filles nées sur le territoire français et qui risquent à leur tour l'excision dans le pays d'origine. Maître Le Strat accompagne également des femmes victimes de violences conjugales ou de discriminations liées à l'orientation sexuelle. Son travail, explique-t-elle, est de préparer le dossier non seulement en écoutant la demandeuse d'asile mais aussi en faisant des recherches sur le pays d'origine, sur les filières de migrations. Dans ses plaidoiries, elle va « parler de l'environnement, de l'excision en Guinée ou à Djibouti, des violences conjugales en Albanie ou au Kosovo, du viol comme arme de guerre au Congo, etc. »

Les demandeurs et les demandeuses d'asile doivent, de leur côté, dire leur parcours personnel. Une audition parfois difficile que l'avocate va préparer avec soin. « En quelques mois, on a le temps, mais en quelques semaines, est-ce qu'on pourra encore le faire ? » s'interroge-t-elle.

LeStratEn attendant, elle évoque ces longs dialogues où elle prépare les personnes à répondre aux questions des juges. « Nous, ils nous racontent avec leurs mots. Mais devant la cour, il ne faut pas raconter, il faut expliquer » dit-elle avant d'ajouter : « Je peux parfois être un peu brutale mais je ne suis pas psychologue ; ce que je veux, moi, c'est leur apprendre à être précis-e-s dans leurs réponses. Elles doivent être claires, prenantes, envahissantes, parfois. Moi, je n'ai pas besoin qu'elles me racontent leur viol, par exemple, mais s'il y a un jour où il faut dire les choses, c'est le jour de l'audition ! Même si les larmes viennent ce n'est pas grave. Le juge est habitué, j'ai des mouchoirs dans mon sac, on fait une demande de huit-clos et puis c'est tout ! Il faut que les gens soient concentrés sur ce qui leur est arrivé personnellement. C'est « je » qui fait la demande et personne d'autre ! »

Demander la protection subsidiaire

Pour ces personnes victimes de violences, l'avocate possède une carte supplémentaire dans son arsenal : la protection subsidiaire. « C'est souvent ce qu'obtiennent le femmes victimes de violences conjugales dans leur pays d'origine ou celles qui ont fui des mariages forcés » explique Samira Gharrafi.

En effet, cette procédure se déroule en parallèle de toute demande d'asile. Si la demande d'asile traditionnelle concerne les situations où la personne se considère comme victime de violences dont l'état s'est rendu coupable (persécutions pour motifs politiques, syndicaux, en raison de son orientation sexuelle ou de son genre, de sa religion ou de son ethnie) la demande de protection subsidiaire s'applique aux violences pour lesquelles l'état ne peut pas apporter sa propre protection.

C'est notamment ce qu'on appelle la violence généralisée par exemple en cas de guerre ou de défaillance grave d'un état (c'est vrai actuellement pour les ressortissants de Somalie, de certaines provinces d'Afghanistan et bien sûr de Syrie) ou lorsque l'on est persécuté par une mafia (actuellement surtout en Russie, Ukraine, Géorgie).

La protection subsidiaire est aussi valable pour les violences conjugales ou les tentatives de mariages forcés, par exemple, lorsqu'une femme va demander de l'aide aux représentants de son état et qu'elle n'en reçoit pas. Devant la CNDA, elle devra cependant pouvoir apporter la preuve qu'elle a bien essayé de se faire aider dans son pays avant de le quitter.

Si la protection subsidiaire est accordée, le demandeur ou la demandeuse d'asile reçoit une carte de séjour d'un an. Et cette carte est renouvelable tant que le danger persiste. Si la situation peut changer parfois rapidement en cas de conflit notamment, pour les femmes victimes de violences conjugales c'est généralement une protection qui pourra s'étendre assez longtemps.

Geneviève ROY