On parle de plus en plus de ces « sorcières » d'une nouvelle espèce, féministes activistes vent debout entre autres choses contre l'injonction à la maternité. Et si avoir des enfants était tout aussi subversif que d'afficher son non désir d'être mère ?

« Je suis devenue mère à 20 ans, à base d'amour et d'inconscience totale, en plein syndicalisme étudiant et découverte de la vie d'adulte » déclare Lou Millour militante bretonne directrice d'une radio associative et « mère non conventionnelle ».

Parce qu'elle considère que le « mother shaming » lui a particulièrement pourri sa vie de maman et que c'est un sujet émergeant dont il est temps que les féministes s'emparent, elle organise dans quelques semaines à Concarneau le premier grand festival sur cette thématique : Very Bad Mother.

Lancé de façon un peu confidentielle, son projet s'est emballé lorsque de nombreuses intervenantes ont manifesté leur envie d'y participer.

 

 

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 Co-fondatrice du collectif quimperois aujourd'hui dissout GAST, Lou Millour est aussi à l'origine de plusieurs grands rendez-vous féministes bretons ces dernières années : Clitorik 1 et 2, Bois mes règles, Apostazik... Son dernier projet devait être « un petit truc » parce qu'elle sentait que la question des (bonnes) parentalités émergeait dans le monde féministe et qu'il « fallait discuter de ça ». Dans un article présentant son projet, elle se décrit ainsi : « j'ai conscience d'être une mère non conventionnelle dans le sens où il n'a jamais été question de mettre ma propre vie entre parenthèses pour élever mes gamins. J'ai continué à travailler beaucoup, militer beaucoup, sortir beaucoup et avoir beaucoup d'histoires d'amour. » Mais elle évoque aussi le « regard culpabilisant de la société »

Lancée discrètement sur sa page facebook personnelle, l'idée a vite pris une ampleur à laquelle elle ne s'attendait pas. Avec un petit groupe - « moins d'une dizaine de personnes » - la voilà donc qui s'apprête à accueillir près de Concarneau en avril prochain un public qui s'annonce nombreux. L'espace, des chapiteaux installés en plein air autour d'une brasserie, permet d'aller et venir librement. Chacun-e peut y installer sa tente ; une cantine solidaire sera proposée ainsi que des lieux de garderie pour les enfants. Bref, une véritable fête de famille en ce début de printemps pour parler de tout ce qui touche au fait d'avoir – ou pas – des enfants.

 

« Il faut sortir de la norme un-papa-une-maman ;

il y a plein d'autres modèles à explorer »

 

« C'est une réponse politique à la Manif pour Tous » estime l'organisatrice, un peu lassée des slogans aux tons pastel qui voudraient faire croire qu'il n'y a qu'une façon de faire et d'éduquer des enfants. « Il faut sortir de cette norme un-papa-une-maman – dit-elle – mais dès qu'on en sort on s'aperçoit que c'est douloureux et compliqué à vivre alors qu'il y a plein d'autres modèles à explorer. » Cette thématique qui finalement concerne tout le monde a jusqu'à présent été peu traitée. Pas assez estime Lou Millour qui observe que « le féminisme en France a travaillé sur les injonctions à être mère, l'IVG, l'avortement, la contraception mais en laissant totalement de côté tout ce qui tient au fait d'élever des enfants ».

Son intuition qu'il était temps de s'emparer du sujet était bonne. Les intervenantes de renommée nationale « toutes plus intéressantes les unes que les autres » se précipitent pour réserver leur place au festival : Ovidie, Charlotte Bienaimé, Morgane Merteuil... Lou Millour s'en réjouit ; « il faut – dit-elle – se mettre tou-tes ensemble pour éduquer les nouvelles générations ; c'est un problème social, en fait, ce n'est pas juste aux mères de s'en occuper ! »

Et quand elle parle de parentalités, Lou Millour y associe une multitude de thèmes : celles et ceux qui « ne veulent pas d'enfants mais se considèrent comme des allié-es » ; les beaux-pères et belles-mères qui doivent élever les enfants d'un-e autre ; l'accouchement à domicile ; la détresse post-partum ; l'homoparentalité et la trans-parentalité ; la contraception masculine ; la littérature jeunesse ; la pédocriminalité ; l'art d'être grand-mère... mais encore les violences policières, sociales et juridiques avec la présence du collectif des mères solidaires contre le fascisme ; « un beau pont qu'on va faire entre les Bretonnes et les femmes de banlieue parisienne » se félicite Lou Millour évoquant la soirée "carte blanche" proposée à Geneviève Bernanos.

 

« La société nous considère comme des mauvaises mères ;

on se réapproprie le stigmate »

 

« Et on va parler d'amour aussi » s'enthousiasme celle qui dédie ce festival à Avel, sa maman décédée l'été dernier. Et faire la fête « à donf » évidemment car dit-elle « nos événements sont toujours un peu punks ! » Performances artistiques et musique seront aussi au rendez-vous.

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« Quand on fait des enfants, principalement les nanas bien sûr – explique encore Lou Millour – on sort des milieux militants, festifs, culturels pendant au moins cinq ou six ans. Ce n'est plus acceptable car on a besoin d'air pour éviter le burn-out ; il faut des initiatives collectives pour sortir de cet isolement maternel. Ce sera mieux pour les mères et mieux pour les enfants aussi ! » ; pour que tout le monde en profite, des garderies et autres ateliers spécialement dédiés aux enfants sont prévus à Very Bad Mother.

« La thématique va continuer à grandir » espère Lou Millour qui énumère les publications, émissions de radio, podcasts, etc. qui commencent à s'y intéresser. Et rêve que son initiative « donne naissance à plein d'autres moments » sur cette question pour les militant-es mais aussi « les personnes non déconstruites » .

Elle compte notamment sur les discussions informelles pour « semer des petites graines » ; « on va aussi faire de la pédagogie – dit-elle – on n'est qu'au début de ce boulot-là ! »

On peut s'étonner du titre anglais choisi pour cet événement. « Je me suis réveillée un matin avec ce nom-là en tête ! » explique en riant Lou Millour. Plus sérieusement, elle ajoute : « la société nous considère comme des mauvaises mères, donc, on s'empare du mot, on se réapproprie le stigmate. Mais "mères indignes" en français, ça claquait moins ; je préfère Very Bad Mother. De toute façon quoiqu'on fasse, ce ne sera jamais bien, donc, assumons d'être des mauvais mères et disons-le avec joie ! »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : le festival Very Bad Mother aura lieu les 11 et 12 avril prochain à Concarneau à la Brasserie Tri Martolod – prix libre – camping gratuit possible sur place - crèche parentale autogérée et présence de l'association La Bulle pour accueillir les enfants – accessibilité aux fauteuils roulants et traduction de toutes les prises de parole en LSF
Consulter le programme sur la page facebook dédiée

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Ajout juillet 2020 - Finalement, la fête est encore reportée... et devrait avoir lieu en mai 2021