Negligees

Aujourd'hui lorsqu'une femme fait un malaise cardiaque, elle est prise en charge 37 minutes plus tard qu'un homme. Voilà une des informations que l'on retient à la lecture de l'ouvrage co-signé par Solenne Le Hen et Marie-Morgane Le Moël.

Dans Les Négligées, les deux journalistes démontrent que les femmes et les hommes ne sont pas égaux face à la santé. Au détriment des femmes, bien sûr.

A l'occasion d'une table ronde sur la santé des femmes, la Mutualité Française de Bretagne recevait Solenne Le Hen voilà quelques jours à Rennes. A ses côtés, la gynécologue du CHU rennais Krystel Nyangoh Timoh est venue donner de l'espoir à toutes celles qui souffrent d'endométriose, une de ces maladies féminines trop longtemps oubliées par la recherche.

 

Journaliste spécialiste des questions de santé, Solenne Le Hen se plaît à le répéter : « on part de très loin » ! Un médecin rencontré pour l'écriture de Les Négligées, lui disait sans frémir « sur la santé des femmes, on en est au Moyen-Age ! »

On croit rêver, ou cauchemarder, quand on sait que l'on parle là de la moitié de la population. Grâce aux différentes prises de conscience de ces dernières années, se dessine ainsi une situation alarmante. Parce que les femmes ont été totalement exclues de la recherche et des tests cliniques (pour des raisons de sécurité prétend-on) pendant des dizaines d'années, la majorité des médicaments aujourd'hui sur le marché ne sont pas adaptés pour elles.

Les femmes, apprend-on, assimilent les médicaments plus vite que les hommes et les éliminent plus lentement. Comme aucune étude n'a été réalisée à partir de ces données, elles sont sur-médicamentées et soumises à de plus grands risques d'effets secondaires. Pour la plupart des vaccins, les femmes auraient besoin d'une demi-dose seulement pour être protégées !

Errance médicale et retard de prise en charge

La liste est longue des dysfonctionnements qui affectent la santé des femmes. Manque de formation des professionnel.le.s  - la ménopause ne fait pas partie des études de médecine générale – manque d'information des soignant.e.s comme des patientes, manque de matériel adapté, manque d'écoute des femmes chez qui on minimise fréquemment la douleur, manque de financement des recherches consacrées aux maladies féminines, manque de femmes aux postes décisionnaires dans la recherche, etc.

logoMFBSymbole des inégalités, l'endométriose commence à faire parler d'elle. Selon les estimations, 10 à 20% des femmes menstruées seraient concernées par cette pathologie et les conséquences sont nombreuses y compris des troubles de la fertilité dans 30% des cas. « On comprend à peine les mécanismes de cette maladie donc on est encore loin de pouvoir inventer des médicaments qui permettraient de la guérir » souligne Solenne Le Hen qui estime qu'une femme n'est diagnostiquée qu'en moyenne au bout de sept ans d'errance médicale.

Indifférence donc de la recherche sur les maladies féminines comme l'endométriose mais aussi le fibrome ou le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), indifférence également pour toutes ces pathologies qui touchent les hommes comme les femmes mais plus fréquemment ces dernières comme nombre de maladies auto-immunes par exemple mais encore la migraine ou Alzheimer.

Quant aux maladies cardiovasculaires, elles sont la première cause de décès chez les femmes en France (56% de femmes contre 46% d'hommes). Or, là encore si on commence à savoir que les symptômes ne sont pas les mêmes pour les unes et les autres, on a tendance à retarder la prise en charge des femmes. Les instruments de diagnostic ne sont pas adaptés, dénoncent Solenne Le Hen et Marie-Morgane Le Moël, « il n'existe pas de critères spécifiques au sexe pour l'interprétation des électrocardiogrammes bien que les femmes aient une fréquence cardiaque au repos plus élevée que les hommes ».

Un hôpital de jour consacré à l'endométriose bientôt à Rennes

« Les facteurs héréditaires et la génétique ne représentent que 5% des maladies – explique pour sa part Krystel Nyangoh Timoh, gynécologue au CHU de Rennes – tout le reste c'est l'environnement, or, l'environnement des femmes c'est plus de précarité, plus de violences sexuelles et sexistes, plus de banalisation des symptômes et notamment de la douleur et moins d'écoute ». A titre d'exemple de ces inégalités médicales, elle a repéré sur le moteur de recherche scientifique qu'utilisent les chercheur.e.s, 1500 articles sur l'anatomie du clitoris contre 21 000 sur la prostate !

MutellesSpécialiste du traitement de l'endométriose, la professeure rennaise s’attelle aujourd'hui à mettre en place un hôpital de jour qui permettra aux patientes à l'horizon 2026 de trouver dans un même service des gynécologues et des sages-femmes formé.e.s pour établir le diagnostic mais aussi des professionnel.le.s à l'écoute pour les accompagner dans des parcours dédiés autour de la fertilité et la PMA, le soutien psychologique, les recommandations diététiques et même les adaptations à l'emploi en lien avec la médecine du travail.

Une avancée saluée par les associations de patientes et qui doit beaucoup à leurs mobilisations. Autour de la table ronde de la Mutualité Française de Bretagne, journaliste comme professionnelle de santé rappellent en effet l'importance du rôle des femmes elles-mêmes dans la reconnaissance et la prise en charge de ces maladies de femmes pour qu'elles ne soient plus considérées comme des « maladies de bonnes femmes » comme cela a souvent été le cas. « Il faut être assez humble pour se dire qu'on a beaucoup de choses à apprendre de ce que les femmes nous disent » défend Krystel Nyangoh Timoh.

Faute de réponses des médecins, les femmes ont souvent comme seule solution de se tourner vers ce que les journalistes dénoncent dans leur livre, ces charlatans de toute sorte qui profitent des failles laissées béantes par les scientifiques. Difficile de savoir précisément combien de femmes sont concernées mais les estimations tournent autour de 2 millions de femmes pour l'endométriose, 1 million pour la fibromyalgie et autant pour le SOPK notamment ; « autant de femmes – écrivent Solenne Le Hen et Marie-Morgane Le Moêl – emplies d'interrogations qui obtiennent rarement des réponses à leurs questions de santé. Autant de femmes fragilisées aussi. En somme, un énorme vivier pour des pseudo-thérapeutes malintentionnés ».

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : lire Les Négligées, enquête au cœur du business de la santé des femmes de Solenne Le Hen et Marie-Morgane Le Moël, éditions Harper Collins